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Deux textes de Paul Valéry (1871-1945)
sur la télévision

Paul VALERY, "La conquête de l'ubiquité",

in De la musique avant toute chose (textes de Paul Valéry, Henri Massis, Camille Bellaigue, etc.), Editions du Tambourinaire, Paris, 1929.

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Reproduit in Paul VALERY, Oeuvres, vol.II, Coll. "La Pléiade", Gallimard, Paris, 1960, pp.1284-1287.

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Dans ce texte, Paul Valéry s'interroge sur les conséquences prochaines du développement des technologies de reproduction et de diffusion sur l'"industrie du Beau" :

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" (...) Ni la matière, ni l'espace le temps ne sont depuis vingt ans ce qu'ils étaient depuis toujours. Il faut s'attendre que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts, agissent par là sur l'invention elle-même, aillent peut-être jusqu'à modifier merveilleusement la notion même de l'art.

   

Sans doute ce ne seront d'abord que la reproduction et la transmission des oeuvres qui se verront affectées. On saura transporter ou reconstituer en tout lieu le système de sensations, - ou plus exactement, le système d'excitations, - que dispense en un lieu quelconque un objet ou un événement quelconque. Les oeuvres acquerront une sorte d'ubiquité. Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement dans elles-mêmes, mais toutes où quelqu'un sera, et quelque appareil. Elles ne seront plus que des sortes de sources ou des origines, et leurs bienfaits se trouveront ou se retrouveront entiers où l'on voudra. Comme l'eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi seront-nous alimentés d'images visuelles ou auditives, naissant et s'évanouissant au moindre geste, presque à un signe. Comme nous sommes accoutumés, si ce n'est asservis, à recevoir chez nous l'énergie sous diverses espèces, ainsi trouverons-nous fort simple d'y obtenir ou d'y recevoir ces variations ou oscillations très rapides dont les organes de nos sens qui les cueillent et qui les intègrent font tout ce que nous savons. Je ne sais si jamais philosophe a rêvé d'une société pour la distribution de Réalité Sensible à domicile".

   

Un extrait de "La Conquête de l'ubiquité" figure en exergue du célèbre texte du philosophe allemand Walter Benjamin "L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique".(1)

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Paul VALERY, "Notion générale de l'art", in  La Nouvelle Revue française, Gallimard, Paris, 1er novembre 1935.

 

Reproduit dans Paul VALERY, Oeuvres, Tome I, Collection "La Pléiade", Gallimard, Paris, 1957, pp. 1412-1415.

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Dans ce texte, Valéry revient sur le thème de l'impact du développement technologique sur le statut de l'art. Sa connaissance de l'état des recherches sur "l'oscillographique cathodique" paraît évidente :

 

"Déjà les inventions de la Photographie et du Cinématographe transforment notre notion des arts plastiques. Il n'est pas du tout impossible que l'analyse très subtile des sensations que certains modes d'observation ou d'enregistrement (comme l'Oscillographie cathodique) font prévoir, conduise à imaginer des procédés d'action sur les sens, auprès desquels la musique elle-même, même celle des "ondes" paraîtra compliquée dans son machinisme et surannée dans ses desseins. Entre le "photon" et la "cellule nerveuse", peuvent s'établir des rapports très surprenants."

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En conclusion, cependant, Valéry laisse percer sa méfiance et ses inquiétudes :

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"Toutefois divers indices peuvent faire craindre que l'accroissement d'intensité et de précision, et l'état de désordre permanent dans les perceptions et les esprits qu'engendrent les puissantes nouveautés qui ont transformé la vie de l'homme, ne rendent sa sensibilité de plus en plus obtuse et son intelligence moins déliée qu'elle ne fut. "

 

 

L'Illustration, Paris, 7 mars 1936.

(1) Walter BENJAMIN "L'oeuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique", traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, in Essais II 1935-1940, Collection "Médiations", Editions Denoël, 1983.

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