Les poèmes technologiques au début du 19ème siècle
Consacrer des poèmes aux technologies de communication est une pratique dont on date volontiers l'origine à la fin du 19ème siècle, lorsque se sont multipliées ce que Stéphane Mallarmé appelait les « engins de captation du monde moderne », les romantiques français, à quelques exceptions près, ayant refusé de se compromettre avec les machines du progrès (1). C'est surtout au début du 20ème siècle, avec l'essor du cinéma et des technologies de télécommunications que les écrivains et les poètes ont intégré ces appareils dans leurs oeuvres, soit comme thématique, soit comme éléments perturbateurs de l'écriture classique (2)
Il est cependant possible de déceler des prémisses d'une telle tendance dès le 17ème siècle. Ainsi le poème de Bernard de La Monnoye, La Gloire des armes et des lettres sous Louis XIV. - Prière pour le Roy (1675) inclut déjà une éloge des inventeurs et des allusions au télescope et à la trompette parlante. Mais c'est surtout au début du 18ème siècle que la multiplication des technologies de divertissement (fantasmagorie, femme invisible, panoramas,...) que l'on voit apparaître des chansons, des poèmes satiriques mais aussi des sortes d'odes évoquant ces premières formes de la société du spectacle. C'est que, comme le note un certain Jonathan Sly, lecteur du Belfast Commercial Chronicle, Jonathan Sly, dans son texte "The Age We Live In" les fantasmagories, les eidophuscons, les cosmoramas, les panoramas et les spectacles d'invisible girls ouvrent une nouvelle période de richesse, d'esprit, de divertissement et de plaisirs, distincte de celle des grands classiques de la littérature britannique des 17ème et 18ème siècles (John Milton, Thomas Sherlock, Robert Lowth, Robert Blair)
(1) Voir DURAND P., "Le livre machine. Une allégorie mallarméenne", in ROELENS, N. et JEANNENET N. (dir.); L'imaginaire de l'écran / Screen imaginary Rodopi, 2004 pp;13-45. ; DURAND P., Médiamorphoses, Presses universitaires de Liège 2000.
(2) Voir notamment GOLDSTEIN L., The American Poet at the Movies: A Critical History, University of Michigan Press, 1994; ; KAHN, D. and WHITEHEAD, G., Wireless Imagination. Sound, Radio and the Avant-Garde, The MIT Press, 1992.
(3) "SLY J., "The Age We Live In", Belfast Commercial Chronicle , 11 January 1809
Les poèmes à la femme invisible
Les spectacles de la femme invisible, qui se montrent à Paris à partir de 1800, en Angleterre à partir de 1802 et aux Etats-Unis dès 1800 ont suscité divers poèmes ou évoquésdans certains d'entre eux. Le premier est une chanson, attribuée à Chateauvieux et Ligny, (3), qui ironise sur les deux spectacles parisiens concurrents, celui de Laurent et celui d'Etienne-Gaspar Robertson. Vers faciles, mais dont on notera que ceux adressés au Directeur de la Phantasmagorie (Robertson) évoque le thème orphique du retour des morts du "noir séjour".
(3) Le Fagot d'épines, ou recueil de couplets mordans, piquans, galans, etc. volés à droite et à gauche. Seconde édition, Chez le Receleur, Paris, 1801, pp.98-99
"To the Invisible Girl" de Thomas Moore (1804)
Quatre ans plus tard, la Femme invisible arrive à Washington sius le nom d'Invisible Lady. John Dennie, le rédacteur en chef du journal littéraire local, The Port Folio, en profite pour publier un poème inédit, "To the Invisible Girl" du poète irlandais Thomas Moore u'il vient de rencontrer. Ce poème sera édité en 1806 dans le recueil Epistle, Odes and other Poems. La publication du poème est précédée d'une courte note expliquant ce qu'est le spectacle de la femme invisible, "acoustical deception" et d'une note de l'Editor rappelant l'épisode de la tête enchantée dans le Quichotte de Cervantès. (4) Le poème est également reproduit dans The Maryland Gazette, 4 October 1804 après un article décrivant le spectacle "The Invisible Lady" et cherchant à en déchiffrer le mystère acoustique. "While the mystery of the invisble fair has non-plussed the musing philosopher, it has afforded scope for the omnia tentans of the poet ; and with the exquisitly beautiful line of Moore, addressed to the incomprehensible, we shall close our remarks".
Thomas Moore / grav. par [James] Thomson ; d'après une peinture de J. Jackson (Source : Gallica)
(4) "To the Invisible Lady", The Port Folio, 16 June 1804, p; 171; Sur les circonstances éditoriales des pré-publications des poèmes de Thomas Moore par Dennie, voir ELDRIDGE, H.G., "The American Republication of Thomas Moore's "Epistles, Odes, and Other Poems": An Early Version of the Reprinting "Game", The Papers of the Bibliographical Society of America, Vol. 62, No. 2 (Second Quarter, 1968), pp. 199-205
"Pat's Visit to the Invisible Girl"
Le thème érotique de la femme invisible fantasmée est repris sur un mode satirique par l'auteur de "Pat's Visit to the Invisible Girl", publié dans le recueil collectif Flowers of literature, for 1805, Crosby & C°, London 1804.
Le kaléidoscope comme