LECTURES
FRIEDRICH KITTLER, UNE PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE DETERMINEE PAR LES MEDIAS
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Friedrich KITTLER, Gramophone, Film, Typewriter, Les Presses du Réel, Dijon, (1986) 2018
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Friedrich KITTLER, Médias optiques. Cours berlinois 1999, L’Harmattan, 2015
Lorsqu’au début des années 80 je préparais mon livre Stratégies de la musique, je recherchais, avec les moyens du bord, les textes ayant accompagné l’invention et les développements du phonographe pour essayer de comprendre comme la nouvelle invention s’était insérée dans la vie musicale. Je me souviens avoir découvert un texte curieux de la fin du 19ème siècle comparant le phonographe au cerveau humain et suggérant qu’il serait intéressant de vérifier par l’analyse des lobes du cerveau des assassins si l’on pourrait y retrouver les traces des cris de leurs victimes. Ce curieux propos, cyborg avant la lettre, me donna un avant-goût des délices que peut représenter l’investigation historique sur les technologies de communication au moment de leur émergence et de ce que l’on se plaît à désigner aujourd’hui comme archéologie des médias. Mais comme ce texte ne concernait pas directement mon propos, je l’écartai à regrets de mon corpus.
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Ce texte comparant le cerveau et le phonographe aurait certainement intéressé Friedrich Kittler, à l’époque assistant au Deutsche Seminar de Freiburg et qui préparait Grammophon, Film, Typewriter, un de ses livres majeurs, qui devait paraître la même année que mes Stratégies de la Musique [1]. Evidemment, à l’époque, jeune chercheur en communication de l’Université de Liège, je n’avais jamais entendu parler de Kittler. Mes références allemandes en matière de recherche sur les médias étaient Adorno et Habermas, encore très peu traduits en français à l’époque. Je lisais Einleitung in die Musiksoziologie en italien, et je m’étais procuré dès sa sortie Theorie des kommunikativen Handelns pour en traduire à grand peine le chapitre sur la déconstruction du concept de réification. Mes collègues les plus proches me regardaient avec un certain dédain, un peu comme un attardé, m’invitant plutôt à lire l’un Derrida et Foucault, l’autre Bateson et Watzlavick.
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Une dizaine d’années plus tard, alors que je commençais à chercher de vieux ouvrages sur la télévision sur les poussiéreux rayonnages « Media » dans les combles de la regrettée librairie bruxelloise Posada, je pris entre les mains Grammophon, Film, Typewriter de Friedrich Kittler, dont je ne savais toujours pas qui il était, alors qu’il était devenu en 1993 Professeur (Lehrstuhl) d’esthétique et d’histoire des médias à la Humboldt-Universität de Berlin. L’ouvrage m’avait attiré par son titre curieux, sa couverture rouge et noire mais surtout son iconographie mêlant les planches techniques fin de siècle, les schémas techniques et les pochettes de disque de Jimi Heindrix. Je comprenais bien qu’il y était question d’une machine à écrire que Nietzsche aurait testée, mais sans plus. Ma connaissance de l’allemand était restée poussive et je n’avais plus le temps ni l’énergie pour me lancer dans la lecture d’un livre aux contours intellectuels peu identifiables. J’achetai néanmoins le livre, qui resta longtemps sur les rayons de ma bibliothèque comme une curiosité que l’on garde par coquetterie. Ce n’est que très récemment – grâce à des collègues suisse et luxembourgeois [2], ce qui n’est pas complètement un hasard - que j’ai pris conscience que je possédais là l’édition originale d’un des livres considérés aujourd’hui en Allemagne, aux Etats-Unis et au Canada comme un des plus importants de la pensée allemande de la fin du 20ème siècle.
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Cette prise de conscience tardive de l’importance de l’œuvre de Kittler – dont Grammophon, Film, Typewritter n’est qu’un opus - pourrait s’expliquer par le fait que, depuis longtemps, j’avais quitté les réseaux de la recherche académique sur les médias pour me livrer à des expertises sur les enjeux contemporains des marchés audiovisuels et, de manière plus dilettante. Mais mon éloignement de la recherche théorique n’est pas la seule raison. La raison principale d’une certaine manière est bien plus grave : elle tient au fait que la France découvre l’œuvre de Kittler, décédé en 2011, avec près de trente ans de retard. Grammophon, Film, Typewritter, publié en 1986, paraît en 2018, soit trente-deux ans de décalage éditorial. Cette lenteur de l’édition française à publier certaines œuvres majeures de la philosophie allemande n’est pas nouvelle : Dialectique de la raison d’Horkheimer et Adorno n’avait été traduite qu’avec vingt-sept ans de retard et L’Espace public de Habermas ne fut accessible en français que « seulement » seize ans après sa parution. Rassurons-nous, les choses s’accélèrent malgré tout : la première traduction en français de la Phénoménologie de l’Esprit par le napolitain Vera ne fut publiée qu’en 1870, soixante-trois ans après la publication initiale.
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Le retard dans la découverte et surtout la traduction de l’œuvre de Kittler en France ne manque pas d’intriguer, d’autant que Kittler fut un correspondant et ami de Jacques Derrida dès 1979.[3] Comme l’analyse Katia Scherzmann, le problème de la traduction n’explique pas tout. L’absence de traduction est probablement le résultat d’une résistance française au « posthumanisme » de Kittler et à son approche transdisciplinaire. Il faut donc saluer l’initiative du philosophe Emmanuel Alloa [4], ainsi que Les Presses du Réel, dynamique maison d’édition établie à Dijon, spécialisée dans les ouvrages sur les esthétiques et mouvements d’avant-garde, de nous fournir enfin une traduction en français de Grammophon, Film, Typewriter. Saluons aussi l’initiative d’Audrey Rieber et de Peter Berz, qui, il y a deux ans, avaient fourni une traduction de Médias optiques, Cours berlinois 1999 du même Friedrich Kittler, parue très modestement chez L’Harmattan, avec le soutien du Goethe Institut. Si l’on ajoute à cela la traduction plus ancienne de quelques textes de Kittler, dont des extraits de sa première œuvre importante, Aufschreibesysteme 1800-1900, dans le recueil 1900 Mode d’emploi [5], la livraison que lui a consacré l’an dernier la revue Appareil [6] et les traductions, présentations et commentaires disponibles sur Internet en anglais [7] et chez de rares auteurs francophones [8], on peut considérer qu’une grande partie de l’œuvre du théoricien allemand nous devient enfin accessible.
L’œuvre de Kittler ne peut se résumer en quelques lignes (comme la logique de la publication pour un écran numérique l’impose). Pour faire bref, écrivons qu’elle se nourrit de l’œuvre – en se permettant de souligner leurs limites - de quelques théoriciens « post-structuralistes » français (Derrida, Foucault, Lacan) de la pensée canadienne sur les médias (Innis, McLuhan), des auteurs phares de l’informatique et de théorie de l’information (von Neumann, Turing, Shannon), de littérature allemande (Goethe, Rilke, Kafka, Jünger, Gottfried Benn,…) et américaine (Thomas Pynchon), le tout sur la musique des Pink Floyd et avec les épices de Nietzsche et de Heidegger. Cet ensemble composite, mixé avec brio, peut s’interpréter comme une réponse et opposition tacite à la Théorie critique de l’Ecole de Francfort dans sa version historique blessée (Adorno, Horkheimer) comme dans sa version néo-kantienne, procédurale et qui assume son adhésion à l’institutionnalisme social-démocrate européen (Habermas).
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Les penseurs allemands aiment les philosophies de l’Histoire : celle qui s’écrit en phases successives d’externalisation de l’Esprit (Hegel), en successions de modes de production marqués par la lutte des classes (Marx) ou des civilisations (Spengler). L’Ecole de Francfort cependant nous avait appris à nous méfier des grandes synthèses totalisantes, valorisant le fragment contre la totalité (Adorno et Horkheimer), l’archive contre la synthèse finalisée (Benjamin) ou en pactisant avec les prudences interprétatives de l’herméneutique (Habermas). Kittler revient quant à lui à une sorte de philosophie déterministe et téléologique de l’Histoire, guidée par cette fois par l’évolution des médias.
« Médias » (comme chez McLuhan, chez Régis Debray, ou plus récemment chez Yves Citton, mais avec d’autres prémisses) doit s’entendre dans un sens beaucoup plus large que les seuls mass media ou moyens de communication de masse. Pour Kittler – en référence au modèle proposé par la théorie de l’information de Claude Shannon - les médias modalités matérielles de stockage, de transmission et de traitement de l’information. Sont considérés comme médias non seulement le phonographe, le film, la machine à écrire, la télévision ou l’ordinateur, mais également l’alphabet grec, les réseaux routiers ou encore le carnet de notes d’Eckermann enregistrant la parole de Goethe. Kittler applique rétrospectivement aux médias historiques les critères d’analyse que Shannon avait définis dans ses travaux pour la Bell Telephone, mesurant l’information indépendamment de son contenu. Bien qu’elle ait marqué les débuts du structuralisme linguistique d’un Roman Jakobson ou les études sur la socio-dynamique de la culture d’un Abraham Moles, la théorie de l’information était tombée en désuétude dans la pensée française mais une réédition de sa traduction[9], l’effet Kittler et la théorisation des langages numériques devrait lui rendre un peu d’actualité. En s’appuyant sur cette théorie, Kittler peut à la fois reprendre l’axiome de McLuhan (« The medium is the message ») tout en écartant la conception des médias de celui comme prothèse du corps humain.
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La thèse forte de Kittler, affirmée dès la première ligne de l’Avant-propos de Gramophone, Film, Typewriter, est que « les médias déterminent notre situation ». De cette conception radicale résulte que les hommes – ou plus exactement dans la terminologie de Kittler le «soi-disant homme » - ne sont que le produit des médias qu’ils utilisent et que le sens des messages non pas véhiculés mais inscrits dans les médias n’a plus aucune importance (ou une importance secondaire nuancera sur le tard Kittler[10]). L’espoir qu’Adorno ou Habermas pouvaient encore placer dans un usage émancipé et démocratique des moyens de communication de masse – en particulier dans le cadre du service public – se trouve ici balayé par une vision déterministe où les médias imposent leur loi jusqu’à annihiler le sens des textes, et donc la pertinence de l’herméneutique, discipline intellectuelle de référence dans les sciences humaines allemandes (y compris chez Habermas). Pire, Kittler proclamait que son objectif était de chasser l’humain des Humanities, une formule qui pourrait bien annoncer l’abdication définitive face à l’intelligence artificielle. La vision de l’Histoire de Kittler, indiscutablement matérialiste, mais post-humaniste, est finalement bien plus désespérante que le pessimisme qu’il reprochait à Adorno et Horkheimer dans leur chapitre « Industries culturelles » de Dialectique de la Raison.
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En dépit de ce pessimisme théorique – qui ne s’exprime jamais en termes nostalgiques - la lecture de Gramophone, Film, Typewriter est pourtant assez joyeuse. En amont de cet horizon philosophique, le livre fourmille de propositions intéressantes, d’éléments de narrations souvent oubliés par les histoires des technologies. Très rapidement résumé (pour quatrième de couverture et communiqué de presse) la psychanalyse découle de l’invention du phonographe, le cinéma s’inscrit dans une logique d’art de la guerre, l’émancipation des femmes procède de la machine à écrire.
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Même pour ceux qui – comme moi – ont quelques difficultés à comprendre ou à adhérer à toutes les thèses et propositions de Kittler, ses provocations intellectuelles (au sens éminemment stimulant que l’on peut donner au mot provocation), la richesse de sa culture et le brio de son style engendrent l’intérêt et la sympathie. Gramophone, Film, Typewriter séduit notamment d’exhumation de textes littéraires cités in extenso tels que « Bruit premier » de Rainer Maria Rilke ou « Goethe parle dans le phonographe » de Salomo Friedlander. Comme les traducteurs l’expliquent, la pensée de Kittler emprunte des terminologies à diverses disciplines mais saisit souvent l’occasion de mixer le sens d’un terme commun à des champs sémantiques distincts. L’exemple le plus marquant étant sans doute l’équivalence posée entre les sens du mot Übertragung transmission, dans le sens technique de la théorie de l’information, et transfert dans la psychanalyse freudienne.
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Les livres de Kittler procèdent un peu comme les films de Godard : par collages sidérants de narrations de moments historiques et de propos théoriques ou littéraires qui provoquent la surprise, l’adhésion ou le refus. Comme chez Godard, il y a chez Kittler ce sourire malicieux de celui qui vous lance un défi : essayez donc de me réfuter, vous n’y arriverez pas, car il ne s’agit pas de réfuter puisque je ne suis là que pour rendre compte avec mon savoir, mes paradoxes et mes jeux de mots d’un mouvement de l’Histoire qui nous dépasse.
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Je me garderai bien ici de porter un jugement d’ensemble sur Gramophone, Film, Typrewriter et encore moins sur l’ensemble de son œuvre, dont il me reste à découvrir des parties essentielles, y compris son œuvre inachevée Musik and Mathematiks, que l’on dit très heideggérienne, ce qui, par les temps qui courent, n’est pas le meilleur argument de vente. L’adhésion du philosophe de Fribourg au nazisme et son antisémitisme – de plus en plus évidents – ne semblent pas avoir gêné Kittler, qui le considérait comme son philosophe de prédilection.[11]
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La prise en considération de la matérialité des médias impliquait pour Kittler que l’on aborde la technicité de ceux-ci. Kittler avait dans sa jeunesse travaillé sur les circuits électroniques et était un passionné de langages informatiques, dont il intégra l’étude dans son enseignement. En conséquence, il se moquait volontiers des « cultural studies » dont les représentants universitaires, disait-il, ne connaissaient souvent les mathématiques que par ouï-dire.
Avec de telles positions, on aurait pu espérer de Kittler qu’il fasse quant à lui œuvre de technicité – ce qui implique une certaine rigueur procédurale - dans sa synthèse des histoires des techniques. Or, dès qu’on y regarde de plus près, sa manière même de raconter l’histoire des techniques résiste mal à l’analyse et procède par sélection arbitraire des récits qui tendent à valoriser la thèse d’ensemble plutôt que par exploration prudente des matériaux historiques. Kittler, qui reproche notamment à Derrida de décontextualiser les textes des philosophes grecs n’hésite pas à décontextualiser la genèse des technologies de communication.
La pratique de sélection de micro-récits au bénéfice de la démonstration d’ensemble a notamment été critiquée par Lisa Gitelman, une des spécialistes les plus qualifiées dans la connaissance et l’analyse des archives d’Edison, dont le Scripts, Grooves and Writing Machines peut se lire comme une réponse historienne à la philosophie de l’histoire proposée par Kittler.[12]. Gitelman ne nie évidemment l’importance soulignée par Kittler de l’invention du phonographe comme moment historique de l’inscription du réel, reconfigurant à terme le statut de l’écrit et de l’imprimé, mais elle le fait en contextualisant les travaux de l’inventeur, et en ironisant sur la dévotion néo-romantique de Kittler à Edison, qu’il qualifiait de « the marvelous One ».
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Ce sont des critiques du même ordre que j’adresserai à Kittler en ce qui concerne la télévision. Il en est très peu question dans Gramophone, Film, Typewriter, comme si la problématique de la vision à distance par l’électricité, par le biais de projets d’appareils appelés téléscope électrique, téléphote, télectrosope, phoroscope ou autre diaphote n’avait pas été contemporaine des perfectionnements du phonographe et antérieure même à l’invention du cinéma ou de la machine à écrire [13]. Edison lui-même en avait à plusieurs reprises la promesse, avant de livrer son kinetoscope. Pour connaître la lecture historique de la télévision par Kittler, il faut se reporter à l’avant dernier chapitre de Médias optiques (le dernier chapitre étant consacré à l’oméga historique que constitue selon Kittler l’ordinateur). Dans ce chapitre, Kittler affirme tout de go « Avant qu’elle ne soit mise au point, la télévision, contrairement au film, ne pouvait même pas être rêvée. Lorsque Punch, le journal britannique, édita en 1880 une caricature sur laquelle on pouvait voir l’homme du futur regarder la télévision, son principe technique était déjà au point. Et lorsque Liesegang publia en 1899 sa Contribution sur la question de la télévision électrique, donnant un nom au nouveau médium, son principe avait déjà pris la forme d’un schéma de principe. La télévision n’était et n’est pas le souhait du soi-disant homme, mais un effet civil secondaire, mais un effet civil secondaire d’une électronique en grande partie militaire. Il fallait le dire clairement ».[14]
Je ne suis guère qualifié pour répondre à Kittler en philosophie, mais j'ai quelque peu étudié l'histoire de la télévision, y compris du point de vue technique et je puis affirmer sans trop de craintes de me tromper que ces quelques lignes, écrites et prononcées en 1999 sont un tissu d’inexactitudes [15] et d’absurdités. Je ne puis me contenter du constat d'un philosophe, Jean-Pierre Déotte qui écrit que Kittler "apporte beaucoup s’agissant de domaines très techniques comme la télévision". Je m’en tiendrai à quelques remarques.
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1° Il est absurde de dire que la télévision ne pouvait pas être rêvée. Le rêve d’un appareil ou d’un dispositif permettant de voir à distance est très ancien : on en trouve des traces dans le mythe du miroir magique qui s’exprime dans Le Roman d’Alexandre du Pseudo-Calisthène, dans celui d’un Virgile magicien répandu dans la littérature médiévales, dans les Histoires véritables de Lucien de Samosate, la Giphantie de Tiphaigne de La Roche, le théâtre élisabéthain, le Macbeth de Shakespeare, les contes populaires, la littérature galante du 18ème, la littérature romantique et bien sûr dans le Faust de Goethe, qui est pourtant une œuvre que Kittler, au départ historien de la littérature allemande, mobilise volontiers.[16]
Le rêve de la possibilité de voir à distance – et le travail d’invention qu’il entraîne - sont bien antérieurs à celui de capter le mouvement sur une pellicule photographique ou de se réunir dans une salle pour regarder une projection. Avant même que la découverte des propriétés photosensibles du sélénium (1873), l’invention du téléphone (1876) et la conception d’un œil électrique artificiel par les frères Siemens (1876) ne lance le mouvement de recherche d’une solution électrique qu’entament quasi simultanément de Paiva à Porto, Senlecq dans le Nord Pas de Calais, George R. Carey à Boston, Perosino à Turin ou Ochorowicz à Varsovie, des esprits aussi prospectifs que Gianbattista Della Porta, Athanasius Kircher ou Claude Chappe avaient examinés la possibilité de dispositifs à base de miroirs (dont Kittler semble ignorer que Freud en fit installer un dans son appartement de la Bergstrasse) [17].
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2° Il est vrai que ce rêve de voir à distance était en partie d’origine militaire et la mise en évidence par Kittler, largement inspirée par Paul Virilio, de l’importance des guerres comme accélérateurs des innovations n’est pas contestable. Il n’est pas nécessaire d’avoir accès aux archives des services militaires pour démontrer cela : quelques uns des premiers contributeurs à la problématique de la télévision, à la fin du 19ème siècle, sont des militaires (Benedict Schöffler, Maximulian Plessner, Constantin Perskyi) ; Mark Twain nous décrit Jan Szczepanik, "Edison autrichien", entouré par les attachés militaires à la cour de Vienne ; dès 1890, Rickinson, dans un article de Scientific American, un des tout premiers théoriciens de la codification numérique de l’image indique la transmission des cartes militaires comme une des principales applications de son système. En ce qui concerne les mythes littréraires de la vision à distance, il n’est pas anodin que la formulation la plus ancienne connue soit celle du Roman d’Alexandre du Pseudo Callisthène, un grec alexandrins du IIème ou IIIème siècle, traduit dans diverses langues au Moyen âge, œuvre pseudo-historique qui narre comment le Pharaon magicien Nectanebo utilisa un bassin d’eau pour observer les mouvements des forces ennemies de la coalition qui le menaçait et s’enfuit en temps utile vers la Macédoine.
Mais, comme en atteste une abondante littérature postérieure, que je suis occupé à réunir sur ce site, d’autres ressorts, bien humains, apparaissent dans le mythe du miroir magique : le désir de voir une personne aimée ou sa famille dont est éloigné ; la surveillance des rivaux ou rivales, des conjoints ou conjointes ; le souhait de voir d’autres lieux, d’assister à des événements lointains, y compris des spectacles de divertissement, de découvrir des populations nouvelles, terrestres ou lunaires. Les utilisations commerciales, comme la possibilité pour les marchands de faire voir leurs produits, ou encore la capacité policière de rechercher les délinquants ou les fauteurs de troubles font partie des usages du médium citées bien avant sa mise au point technique. Et comme Kittler – dont la famille avait quitté l’Allemagne de l’Est pour s’établir dans la République fédérale - fait systématiquement l’impasse sur le marxisme et le rôle de lutte des classes dans l’Histoire, y compris dans les technologies,, on ne pourra s’empêcher de signaler que la première téléphotographie publiée en France, avec le système Korn, est celle de Richard Bell, leader des cheminots britanniques, "le grand agitateur qui faillit provoquer (une) grève" (L’Illustration, 16 novembre 1907), les potentialités du sélénium enfin maîtrisées étant immédiatement utilisées pour montrer à la bourgeoisie française le visage moustachu et sournois d’un syndicaliste anglais, tout en s’excusant du « bruit » dans l’image, en raison des imperfections dues à une transmission encore incertaine.
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3° Il est complètement absurde d’écrire que le principe technique de la télévision était déjà au point lorsque Punch a publié, le 9 décembre 1878, le fameux dessin « Edison’s Telephonsocope » de George du Maurier. Je veux bien qu’on remette en question – comme le faisait Kittler dans son entretien avec Armitage – trop de linéarité dans le récit historique de l’évolution des technologies. Mais delà à défendre des thèses absurdes ! Le principe technique de la télévision ne peut se réduire au fait qu'elle recoure à l'électricité, qui en serait son principe. En 1878, la définition d’un système technique de vision à distance n’en était qu’à ses balbutiements. Les frères Siemens avaient présenté en 1876 leur concept d’œil électrique artificiel [18], dont Kittler a certainement ignoré l’existence car on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait disserté sur la première application qu’en proposa un journaliste de Scientific American : rendre la vision aux aveugles. En 1878 seuls deux chercheurs, absolument marginaux, Adriano de Paiva et Constantin Senlecq, avaient émis publiquement l’idée que le recours aux propriétés du sélénium pourrait permettre de transmettre les images par l’électricité, hypothèse erronée qui allait égarer les recherches pendant près d’un demi-siècle.
Quant au dessin de du Maurier dans Punch, ce qu’il propose n’est pas la télévision de masse, mais une visiophonie à usage familial, qui ne deviendra une réalité sociale qu’avec le succès de Skype 2.0 en 2006. Le modèle de la visiophonie est le modèle dominant à la fin du 19ème siècle et la conception de la télévision s’adressant à un public multiple ne se précisera qu’après la mue de la T.S.F. en radio. L’affirmation de Kittler est d’autant plus navrante que les premiers chercheurs britanniques qui s’intéresseront à la possibilité de la transmission des images, les électriciens Ayrton et Perry, n’hésiteront pas à dire que c’est le dessin de Du Maurier qui a suscité leur imagination.[19]
Affirmer que la télévision n’a donc pas été rêvée mais est une simple résultante de l’industrie électronique en grande partie militaire est non seulement faux historiquement, mais est également une insulte au labeur – souvent solitaire – de dizaines de chercheurs et expérimentateurs qui ont travaillé sur la question avant que des entreprises électroniques telles que Bell Telephone, EMI, Telefunken ou RCA ne s’emparent de la question. Que le travail des pionniers soit resté infructueux jusque dans les années 20 pourrait plus s’expliquer par le manque d’intérêt des institutions militaires, de l’industrie électrique et des pouvoirs publics que par leur mainmise sur l’industrie électronique sur le projet d’accomplissement du rêve. Même un Lazare Weiller, inventeur avisé, enrichi dans l’industrie de la tréfilerie, investisseur ambitieux dans la T.S.F. à longue distance et homme politique conscient du rôle stratégique des télécommunications, n’a visiblement pas cherché à mobiliser les capitaux qui auraient été nécessaires pour développer son propre projet de phoroscope et son concept de roue à miroirs [20], dont Kittler, dans une tradition historiographique héritée, à travers Walter Bruch, de la propagande nazie, ignore complètement l’existence pour mieux célébrer le disque de Paul Nipkow, miraculeusement inventé le soir de Noël 1883.[21]
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Le reste du chapitre est à l’avenant – il serait fastidieux et mesquin de relever toutes les erreurs de détail - et témoigne de la superficialité de Kittler dans l’utilisation de sa documentation. Le plus navrant dans ce chapitre est qu’il se termine (en 1999 !) par l’éloge du système japonais de TVHD MUSE, qui avait été éliminé dès 1986 par l’opposition des diffuseurs et constructeurs européens, opposition qui devait conduire, en 1994 à l’adoption de la première norme européenne de télévision numérique opérationnelle, le MPEG-2, dont Kittler, cinq ans après son adoption, ne soufflait mot.
En matière de télévision, Kittler fait du badinage historique. Cela devait être dit clairement.
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Si je me suis attardé un peu longuement sur ce seul chapitre de la télévision dans Médias optiques, c’est uniquement parce que c’est celui sur lequel je dispose d’une relative compétence. Comme il ne m’apparaît pas fiable, ni dans la référence aux faits ni dans la reconstruction historique, ni dans le diagnostic politique puis-je me fier aux autres écrits de Kittler relatif à des domaines où mes connaissances et mes capacités critiques sont moindres ? Je me souviens que Jürgen Habermas déclina un jour l’invitation d’intervenir dans un colloque de l’UER, argumentant qu’il n’avait rien de précis et d’original à dire sur la télévision. C’était une réponse décevante de la part du grand théoricien de l’espace public et de l’agir communicationnel, mais c’était assurément une réponse plus sérieuse que les brillantes mais approximatives synthèses du fondateur des Medienwissenschaften.
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Kittler ne prétend pas fournir une histoire des technologies, mais ce qu’il nous propose est un bien une philosophie de l’Histoire déterminée par les technologies, sans autre déterminant. Qui plus est, les technologies apparaissent comme définitivement signifiantes dès leur conception (le plus souvent militaire, selon Kittler), sans tenir compte de leurs détournements, appropriations, usages déviants. Une telle vision – aussi brillamment articulée et apparemment documentée soit-elle – résiste mal à l’analyse historienne. Sa prétention à écarter toute problématique sémantique dans la communication est aussi absurde que la position économiste qui consisterait à prétendre que l’histoire du 20ème siècle pourrait se réduire à l’évolution du degré de concentration et des marges bénéficiaires de l’industrie culturelle sans tenir compte des œuvres créées/produites, distribuées et consommées/interprétées. Ou encore que l'histoire des médias modernes découle uniquement des nécessités de l'accélération de la rotation du capital, analysée par Marx dans le Livre II de Das Kapital, lesquelles ont certainement dynamiser le développement des réseaux de télécommunications, mais ne peuvent tout expliquer. Ou encore que les médias sont uniquement des appareils idéologiques destinés à la propagation de l'idéologie dominante afin de faciliter la reproduction du système capitaliste. Toute narration de l'Histoire réduite à des modèles mono-explicatifs doit susciter la méfiance. La thèse défendue par Kittler dans son texte “There is no software” selon laquelle il ne serait même plus possible d'écrire l'Histoire à l'époque des technologies électroniques et de l'ordinateur me paraît contre-dite par l'indéniable progrès que constitue pour la recherche historique la numérisation massive des archives, écrites, sonores et audiovisuelles et qui permet d'accéder beaucoup plus facilement aux documents.
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On pourra s’étonner de la contradiction entre ma satisfaction de voir l’œuvre de Kittler enfin traduite et ma critique, après première lecture, de deux de ces livres. C’est que je pense qu'il y a quelque chose de juste dans son insistance sur l'importance de la dimension techniques des médias, et en particulier des médias de masse. Le dédain avec lequel certains historiens ou sociologues (en particulier en France) des médias, et en particulier de la télévision, marquent pour la technologie et l'impact qu'elle peut avoir non seulement sur les conditions de perception, mais sur les modalités opératoires des médias, leur organisation politique et leur économie relève d'une culture où la fascination pour les jeux de pouvoirs politiques l'emporte sur l'exercice pénible qui consiste à essayer de comprendre comment fonctionne les machines. On accordera à Kittler que celles-ci sont souvent devenues des "boîtes noires", mais il ne me paraît pas acceptable de réduire l'ensemble de l'histoire à la détermination technologique.
Les livres de Kittler, comme ceux de McLuhan, de Baudrillard ou encore de Virilio, méritent d’être lus par les chercheurs en communication de l’espace francophone : pour sortir d’un provincialisme intellectuel, pour y trouver matière à réflexion, y faire leur miel d’éléments historiques peu connus. Mais la vigilance critique s’impose : vigilance historienne mais aussi vigilance idéologique fasse à une philosophie de l’histoire dont on ne peut oublier qu'elle est née dans les milieux intellectuels néo-conservateurs allemands des années 70-80.
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Kittler – qui ne cachait pas son admiration pour Heidegger, Jünger ou Carl Schmitt – assumait son héritage familial et positionnement conservateurs. Consciemment ou non, il donnait ainsi raison à Jürgen Habermas qui, en 1981, avait fait scandale à Paris avec son article « La modernité : un projet inachevé » (Critique, n°413) où il analysait la réception allemande de Bataille, Foucault et Derrida comme le fait des « jeunes conservateurs anarchisants », trop heureux de voir les intellectuels français réhabiliter Nietzsche, Heidegger, Schmitt, Gehlen.[22] Dans son intervention au colloque d'hommage à Kittler, « The sirens go silent », Geoffrey Winthrop-Young, traducteur en anglais de Grammophon, Film, Typewriter et considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’œuvre du théoricien allemand, propose une explication similaire telle que collectée auprès des témoins du début de la carrière universitaire de Kittler. Selon lui, la réception des « post-structuralistes » français aurait été favorisée par les conservateurs contre la gauche, à l’époque hégémonique dans les Universités, mais les conservateurs n’auraient pas été à même de contrer l’évolution de ce jeune courant se retournant contre eux-mêmes.
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La philosophie kittlérienne de l'Histoire déterminée par les médias pourrait, si l’on n’y prend garde, devenir en France et dans l'espace francophone, de manière tardive, un des nouveaux fétiches du technologisme conservateur ambiant.
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André Lange
21 mars 2018
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[1] KITTLER, F., Grammophon. Film.Typewriter, Brinkmann & Bose, 1986.
[2] FICKERS A. and WEBER A.-K., « Towards an Archaeology of Television », VIEW, Journal of European Television History and Culture 4 (7), 2015.
[3] Sur les relations entre Kittler et Derrida, voir SCHWERZMANN, K. « La lettre morte » – Friedrich Kittler en correspondance avec les poststructuralistes”, Appareil, 19/2017.
[4] Emmanuel Alloa est Maître de conférences à l’Université de Saint-Gall. On lui doit, entre autres, d'intéressants recueils sur la philosophie de l'images et un intéressant article sur le concept de médias chez Aristote, ALLOA, E., (ed.) ; Penser l’image, Presses du Réel, 3 volumes, 2010, 2015, 2017 ; ALLOA, E. , "Metaxu. Figures de la médialité" Revue de métaphysique et de morale, 2009/2 (n° 62), p. 247-262.
[5] KITTLER, F.A., 1900 Mode d’emploi, Choix de textes, traduction et notes Bénédicte Vilgrain, Théâtre typographique, 2010.
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[6] RIEBER A. et WAELTI S. (sous la direction de), Friedrich Kittler : Esthétique et théorie des médias, Appareil, 19/2017, qui contient notamment la traduction d’un des premiers textes de Kittler, « Exorciser l’homme des sciences humaines : programmes du poststructuralisme ».
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[7] KITTLER, F., Aufschreibesysteme 1800/1900. Wilhelm Fink Verlag, München, 1985 ; traduction en anglais : Discourse Network 1800 /1900, Standford University Press, 1992.
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KITTLER F., Essays. Litterature. Media. Information System. Edited and introduced by Johnston J., Overseas Publishers Association, Amsterdam, 1997.
KITTLER, F., The Truth of the Technological World. Essays on the Genealogy of Presence, Standford University Press, 2013.
Différents textes de Kittler sont disponibles sur Internet: “There is no software”, CTheory.net, 1995 ; “The History of Communication media”. Introduction au dossier Global Alorithm, CTheory.net, 1996, Voir également ARMITAGE J., « From Discurse Network to Cultural Mathematics. An Interview with Friedrich A. Kittler », Theory, Culture and Society, Volume: 23 issue: 7, December 2006, pp. 17-38,
Parmi les présentations et commentaires de la pensée de Kittler, outre les introductions respectives d’Emmanuel Allo et de Peter Berz dans les deux ouvrages traduits, on pourra consulter les présentations de David E. Wellbery de la traduction de Discourse Network 1800 / 1900, de Geoffrey Whintorp Young à la traduction anglaise de Gramophone, Film, Typewriter (Standford University Press, 1999), Voir également le chapitre « Media Theory and New Materialism » in PARIKKA, J., What is Media Archaelogy ?, Polity, 2012, pp.63-89. Cet ouvrage du chercheur finlandais, marqué par les théories de Kittler mais aussi par la tradition des cultural studies britanniques vient d’être traduit en français, Qu’est-ce que l’archéologie des médias ? Université Grenoble Alpes, 2018.
On pourra également trouvera sur Youtube de nombreuses vidéos cours ou de conférences de Kittler ainsi que les captations du colloque d’hommage The Sirens Go Sielnt organisé par Avital Ronell et Arne Höcker (Deutsches Haus at NYU, March 14-16, 2013).
[8] CITTON, Y, Médiarchie, Paris, Seuil, 2017.
[9] SHANNON C. et WEAVER W., Théorie mathématique de la communication, Le Sel et le Fer, Cassini, 2018.
[10] Voir notamment ses déclarations dans son interview par Armitage, op.cit.
Friedrich Kittler : "Warum Pink Floyd ?" (avec sous-titres en anglais). Source : Sanitysux / Youtube
[11] Signalons, pour lever toute ambiguïté sur la traduction française, que son initiateur, Emmanuel Alloa, ne partage pas le silence de Kittler sur l'adhésion de Heidegger au nazisme. Voir son article « Affaire Heidegger : nouveau scandale en vue », Le Monde, 3 mars 2015.
[12] GITELMAN, L., Scripts, Grooves, and Writing Machines: Representing Technology in the Edison Era
Stanford University Press, 1999.
[13] Pour les détails historiques, je renvoie aux documents et analyses sur le présent site où recherches et les récits d’anticipation de la télévision à la fin du 19ème siècle se trouvent amplement détaillés. La création de ce site (1999) est postérieure aux cours berlinois de Kittler, mais des sources solides sur les premières décennies de la télévision, qu’il s’agisse de sources allemandes anciennes mais classiques (Korn et Glatzel, 1911 ; Schröter, 1932) ou de travaux plus récents tels que ceux de Georges Shiers, Albert Abramson ou Richard Burns n’ont visiblement pas été utilisés. Sur la télévision, Kittler s'en réfère à trois ouvrages allemands. L'ouvrage de W. Bruch, Kleine Geschichte des deutschen Fernsehens, Haude und Spener, 1967 a longtemps bénéficié de l'aura de son auteur, réputé inventeur du système de télévision en couleurs PAL, mais sa fiabilité a été remise en question par les historiens allemands à partir des années 80. Les deux autres ouvrages utilisés par Kittler sont le fait de journalistes (RING, W., Die 5. Wand. Das Fernsehen, Econ, Düsseldorf, 1962 et SIMMERING, K., HDTV - High Definition Television. Technische, ökonomische und programme Aspekte einer neuen Fernsehtechnik, Universitätsverlag Brockmeyer, 1989, ce dernier écrit dans le contexte du débat européen de la fin des années 1980 sur la stratégie en matière de haute définition).
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[14] KITTLER, F., Médias optiques,, op.cit., p.238
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[15] Parmi les inexactitudes : le dessin de George du Maurier, dans Punch, a été publié le 9 décembre 1878 et non en 1880 ; la brochure de Liesegang Beiträge zum Problem des electrischen Fernsehens. Probleme der Gegenwart date de 1891 et non de 1899 ; cen n'est pas Liesegang mais un enseignant autrichien qui est le premier à utiliser le terme Fernsehen pour désigner la problématique de voir à distance par l'électricité ; le brevet n'a pas été délivré par l'office impérial allemand le 6 janvier 1884 (date de son dépôt) mais le 15 janvier 1885, la RCA n'était pas dirigée par Zworykin mais par le Général Sarnoff, etc.etc. A ces erreurs factuelles s'ajoutent les imprécisions de la traduction qui lorsqu'elle parle de "radio impériale" oublie de mentionner qu'il s'agit de la radio du IIIème Reich et non de celle de l'Empereur Guillaume..
[16] L’exploration de cette thématique est ancienne. Raphael Eduatd Liesegang, dans ses Beiträge citées par Kittler faisait lui-même allusion à cette dimension rêvée dans les contes et épopées et au miroir magique du Faust de Goethe. Voir sur ce site LANGE A., « Le grand chimiste allemand Raphael Eduard Liesegang contribue à la question de la télévision électrique, "problème du présent" (1889-1899) »,
Voir également LAUFER, B. "The Prehistory of Television", Scientific Monthly, November 1928, pp.455-459. Laufer qui était curateur d’anthropologie au Musée des Sciences naturelles, explore la récurrence du thème de la vision à distance dans les contes.
Pour une synthèse récente, mais encore incomplète, voir WILLAERT, T., "How Literature Imagined Television, 1880–1950"​, Orbis Litterarum, November 2017
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[17] Voir à ce sujet BALTRUSAITIS, J., Le miroir ; Essai sur une légende scientifique, - Révélations, science-fiction et fallacies, Le Seuil, 1978.
[18] SCHUBIN, M., "What Sparked the Video Research in 1877. The Overlooked Role of the Siemens Artificial Eye", Proceedings of the IEEE, vol.105, n.3, March 2017.
[19] John PERRY and W.E. AYRTON, "Seeing by Electricity", Nature, April 22, 1880
[20] Voir LANGE, A. « Lazare Weiller, météore de l’histoire de la télévision », mars 2018.
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[21] Voir LANGE, A., « Une idée et son mythe », décembre 2017. La propagande nazie - et Bruch et Kittler à sa suite passe complètement sous silence la principale alternative au disque de Nipkow, la roue de Weiller, dont le principe avait été défini en 1889 par Lazare Weiller (Juif converti au catholicisme) alors que celle-ci avait été utilisée en Allemagne dans l'appareil qu'Augustus Karolus avait conçu, en 1928, pour Telefunken et qui était considéré comme l'appareil le plus en pointe avant l'arrivée de la télévision électronique. Voir : LANGE A., "Impact de la roue à miroir. 2ème partie 1920-1929", mars 2018.
Geoffrey Winthrop-Young
The Sirens Go Silent: A Commemorative Colloquium for Friedrich Kittler Organized by Avital Ronell & Arne Höcker Deutsches Haus at NYU, March 14-16, 2013
[22] Voir l’avant-propos des traducteurs dans HABERMAS, J., Le discours philosophique de la modernité. Douze conférences, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochliz, Gallimard, 1988, p.V.