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George Louis Palmella Busson du Maurier 
et le soi-disant téléphonoscope d'Edison : Skype avant la lettre
Punch's Almanack for 1879 (Punch, 9 December 1878)
La première représentation imaginaire d'un écran de télévision "Edison's Telephonoscope" par George du Maurier (1878)

George du Maurier, "Edison's Telephonoscope", Punch, 9 December 1878

(by courtesy of David Fisher, Terramedia)

George du Maurier (1834-1896) eût pu n'être que le grand-père de Daphné du Maurier, la romancière britannique dont Hitchcock immortalisa la Rebecca. Mais George du Maurier, qui était d'origine française, fut surtout l'un des piliers du magazine satirique britannique Punch (1841 -1901) pour lequel il dessina pendant trente ans des caricatures des inanités de la upper class.

 

Les technologies de communication comme thème de caricature  

 

Punch s'adressait aux hommes de la classe moyenne aisée et est une source privilégiée pour les études sur l'époque victorienne. Comme souvent avec la presse satirique, beaucoup de l'humour allusif se perd lorsque l'on n'est pas spécialiste des situations politiques ou des modes d'une période précise du siècle. Dès les années 1850 Punch a inclus des dessins, des textes faisant référence explicitement, mais aussi de manière plus indirecte aux développements technologiques (train, télégraphe, photographie...). Son attitude vis-à-vis du progrès est souvent ambivalente : il y a un certain enthousiasme a traiter des thèmes technologiques et la technologie est certainement considérée comme un vecteur de progrès. Mais les inquiétudes qu'elles créent, leur impact sur les moeurs, et les possibilités qu'elles ouvrent à un imaginaire parfois délirant sont de bons sujets pour les caricaturistes. Les études qui ont été faites sur le traitement des technologies dans Punch portent essentiellement sur les décennies 1850 et 1860.(1) 

 

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Swain "Edison Anti-Gravtitational Under-Clothing", Punch, 9 December 1878.

(coll. André Lange)

Swain, "Prometheus Unbounded, Or Science, Olympus", Punch, 9 December 1878  

(Coll. André Lange)

"The Museum of Modern Antiques", Punch, 9 December 1878

(Coll. A. Lange)

Cave à enregistrement, Punch, décembre 1877

Dessins du véritable téléphonoscope d'Edison,17 May 1878 in Technical Notes and Drawings (Edison Papers at Rutgers University, by courtesy of Swann Galleries).

Premeir dessin d'Edison 'un telephonoscope, 2 April 1878, Edison Laboratory Notebook.

(2) Note sur le site The Thomas Edison Papers at Rutgers UniversityLetter of Uriah Painter to Edison, Washington DC, 5-13-1878, in ISRAEL, P.B.,NIER, K. and  CARLAT, L. (ed.), The Papers of Thomas A. Edison, vol.IV, The Wizard of Menlo Park, The John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1009, pp.281-282.

    Painter écrit : "Hurrah for the telephonoscope. I'll get patent on it for you promptly as the others.  (...) Get up Patent application for Telephonoscope right away".

La note des éditeurs de cette magistrale édition des archives Edison (qui, malheureusement, n'en est encore qu'à la fin des années 1870 !) est la suivante :

"The telephonoscope was a device for receiving sound over great distance. Its basic design consisted of long paper funnels to the ends of which were connected flexible tubes for insertion into the listener's ears. When used with a speaking tube, the device reportedly enabled conversation to be "carried on through a distance of one and a half to two miles in an ordinary tone of voice. A low whisper, uttered without using the speaking trumpet, is distincyly audible at a distance of a thousand feet, and walking through grass and weeds may be heard at a much greater distance" (Prescott, 1879, 563). Edison made a preliminary note-book drawing of this device on 2 April and on 10 May made sketches for a draft caveat. The instrument susequently became known as the megaphone. "Edison's Ear Telescope", New York Sun; "The Megaphone", New York Herald, both 8 June 1878, Cat. 1240, items 660-61, Batchelor (TAEM, 92:227), "Edison's Megaphone", Sci. Am. 38 (1878): 113-114.

 

Edison explored ways of adapting the telephonoscope for use as a personal hearing aid, a device he termed the auriphone). He sketched ways in which the listening tubes could collapse telescopically to make them portable, and considered various shapes and arrangements of resonator tubes. Doc. 1361; NS-78-002, Lab. (TAEM 7:762); "Ears for the Deaf", New York Daily Graphic, 5 June 1878; "The megaphone", New York Herald, 8 June 1878, Cat. 1240, items 645, 661, Batchelor (TAEM, 94:221, 227).

George du Maurier

Le téléphonoscope d'Edison mentionné dans The Daily Evening Traveller, 23 May 1878

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Une variante : le TelescopophoneThe Sun, June 7 1878 :

Resituer le dessin de du Maurier dans son contexte

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I. Roberts (2017) a reconstitué, dans un très intéressant article, le devenir de l'appareil durant le second semestre 1878. Le 7 juin 1878, The Sun souligne l'absurdité du nom de l'appareil, puisque la voix ne peut être vue. D'où la nécessité de changer le nom.  A partir de juillet,  des articles paraissent dans la presse sur le megaphone et la diversité des usages de l'appareil va de la diffusion des cancans à la surveillance dans les prisons. Mais les critiques sur le caractère peu opérationnel de l'appareil se multiplie. En septembre 1878, Edison présente son ampoule électrique et ses théories sur l'intérêt de développer l'énergie électrique, ce qui entraîne bientôt l'electric light mania, qui se propage en Angleterre et fait la joie des caricaturistes. Selon Roberts, le dessin de du Maurier, mais aussi les autres dessins de l'Almanak for 1879 de Punch doivent se comprendre dans ce contexte. Roberts avance l'idée que les lecteurs de Punch, en voyant le dessin du telephonoscope étaient bien au courant des déboires d'Edison avec son appareil. Le dessin de du Maurier offre l'avantage de fournir un cadre à l'écran, à une époque où le cinématographe n'existe pas encore. Dès le début du 20ème siècle, le dessin sera cité comme une anticipation de la télévision. (Voir en particulier "Du Maurier's Cartoon in London "Punch" 34 Years ago Anticipated Edison", The Sun, New York, March 16, 1913? En France, le terme telephonosocpe devra sa fortune au talent d'Albert Robida qui, dans Le Vingtième Siècle et La Vie électrique va décliner les usages sociaux à venir de ce qui ne s'appelle pas encore la télévision.

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Eléments de bibliographie

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APPELBAUM, S. and KELLY, R., Great Drawings and illustrations from Punch 1841-1901, Dover Publications Inc., New York, 1981.

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KELLY, Richard, The Art of George du Maurier, Ashgate Scolar Press, 1996, 264 pp

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"George Du Maurier, Illustrator and Novelist (1834-1896): An Overview"  (> The Victorian Web)

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ROBERT, Isy, "Edison's Telephonoscope' : the visual telephone and the satire of electric light mania", Early Popular Visual Culture, 15:1, pp.1-25, 2015.

Le téléphonoscope d'Edison

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Dans l'Almanach for 1879 de Punch (paru le 8 décembre 1878), George du Maurier fait écho à la rumeur selon laquelle Edison venait de mettre au point le téléphonoscope, censé permettre la communication visuelle à distance.

   

Le dessin de Du Maurier représente un couple de parents qui, assis dans leur fauteuil, regardent leur fille jouer au tennis à Ceylan et dialoguent avec elle. 'Notons que la jeune femme jouant au tennis est un thème récurrant dans Punch en 1878). Comme le père s'enquiert, en chuchotant, de la jolie compagne de sa fille, celle-ci lui promet une présentation en fin de partie.

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Voici le texte de la légende : 

(Every evening, before going to bed, Pater and Materfamilias set up an electric camera obscura over their bedroom mantel-piece, and gladden their eyes with the sight of their Children at the Antipodes, and converse gaily with them through the wire.)
Paterfamilias (in Willow Place): “Beatrice, come closer, I want to whisper.”

Beatrice (from Ceylon): “Yes, Papa dear.”
Paterfamilias: Who is that charming young lady playing on Charlie’s side!
Beatrix: “She’s just come over from England, Papa. I’ll introduce you as soon as the game’s over!” 

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Les historiens de la télévision sont unanimes à reconnaître dans ce dessin de du Maurier la première anticipation graphique de la télévision, tenant compte de la mise au point du téléphone. Il est vraisemblable que du Maurier ait eu vent du téléphonoscope d'Edison, imaginé quelques mois plus tôt, mais son appareil n'a rien à voir avec celui du "magicien de Menlo Park", même du seul point de vue de la transmission du son, puisque le téléphonoscope d'Edison. Plus que de la télévision comme moyen de diffusion de masse - une idée plus tardive - il s'agit ici en fait d'une anticipation de la visiophonie, ou de ce qui est popularisé aujourd'hui par des applications Internet du type de Skype.

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Edison est bien l'inventeur d'un téléphonoscope, qu'il présente à un de ses correspondants, Uriah Painter, dans une lettre (perdue) du 5 mai 1878, et que Painter propose immédiatement de faire breveter, dans une lettre du 13 mai 1878. Mais il s'agit d'une sorte de double cornet acoustique, permettant de transmettre des conversations sur une distance de 1 à 2 miles. Edison avait fait un premier dessin sur un carnet de note le 2 avril 1878. Le 10 mai, il fit des schémas en vue d'une demande de brevet. Les dessins apparaissent dans un ensemble intitulé "Laboratory Notebooks", réunis dans Notes and Drawings by Edison, propriété de Swann Galleries qu'Edison aurait présenté à l'artiste James E. Kelly en mai 1878.

 

L'instrument fut ensuite connu sous le nom de mégaphone.  Edison étudiera par la suite les applications pour les mal-entendants sous le terme d'auriphone. Divers articles sont parus dans la presse américaine début juin 1878 sur le megaphone, aussi appelé Edison's Ear Telescope( 1).

 

L'intérêt d'Edison pour les possibilités d'utiliser le sélénium pour la transmission d'images à distances fut très relatif, comme on le lira ici.

Nous présentons ici une sélection de dessins de l'année 1878, particulièrement intéressante puisque les annonces du téléphone et du phonographe sont tout récents. Une allégorie dessinée par Swain, "Prometheus unbounded or Science, Olympus"" illustre parfaitement l'esprit du temps, de même que le "Museum of Modern Antiques" qui imagine avec une prescience qui nous paraît aujourd'hui d'une extrême pertinence, la péremption rapide des nouvelles technologies.Différents dessins font allusion au téléphone et au phonographe, mais la photographie n'est pas non plus oubliée. Mais c'est surtout le nom d'Edison qui prête à l'imaginaire fantaisiste. Outre le téléphonoscope, sur lequel nous allons revenir dans un instant, on trouve trois dessins à un sous-vêtement anti-gravitation supposé inventé par le sorcier de Menlo Park, ce qui donne l'occasion de représenter des personnages volants avec une liberté qui annonce les images des couples de Chagall, des cosmonautes en apesanteur ou encore des effets de magie obtenus par le recours aux effets visuels dans le cinéma numérique. Un autre dessin montre un couple concernant le "Weather Agenda" inventé par Edison et qui annonce bel et bien les prévisions météorologiques consultables sur nos tablettes ou nos smartphones.

 

Dans un autre dessin (paru en décembre 1877), on voit un bourgeois stockant dans sa cave les voix des grands chanteurs d'opéra de l'époque. Le commentaire est aussi explicite que fantaisiste : "Grâce au téléphone, le son est converti en électricité, et ensuite, en complétant le circuit, transformé à nouveau en son. Jones convertit en électricité toute la belle musique qu'il entend durant la saison, les met en bouteille puis les range dans des casiers pour les utiliser durant ses réceptions d'hiver. Tout ce qu'il a à faire, lorsque ses hôtes arrivent est de sélectionner, déboucher et de compléter le circuit. Et voilà !".

André Lange, 18 janvier 2000? Révision décembre 2017.

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