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4. Le mythe d'Edison et de ses trois appareils de vision à distance : telephonoscope, telephote et kinetograph
 

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Le mythe du "sorcier de Menlo Park"

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L'attribution fantaisiste de l'invention du téléphonoscope n'est qu'une illustration parmi d'autres du véritable mythe qui, dès la fin des années 1870, entoure le "sorcier de Menlo Park".

 

Wyn Wachhorstt (1) a bien montré que ce mythe se constitue dès les années 1877-1878, après l'invention du phonographe, la "machine qui fait parler les morts", autour d'un certain nombre d'anecdotes biographiques répétées à l'envi mais aussi d'associations à des mythes pré-existants (le magicien, Prométhée, Faust, Napoléon, le Professeur...). L'attribution à Edison de pouvoirs surnaturels dans ses capacités d'inventeurs est souvent illustrée par des plaisanteries telles que celle publiée le 1er avril 1878 par le New York Daily Graphic où on le crédite de l'invention d'une machine qui va "nourrir la planète entière en fabriquant des biscuits, de la viande, des légumes et du vin à partir de l'air, de l'eau ou de la terre". La couverture de la même publication, le 19 juillet 1879 représente l'inventeur en magicien, En juillet 1880, le magazine londonien Design and Work, ironise sur le fait que l'on attend toujours le diaphote annoncé par Edison (cité dans The Operator, July, 15, 1880).

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En France, le mythe d'Edison est notamment véhiculé par le magazine L'Illustration mais aussi par Le Figaro. Le roman L'Eve future de Villiers de l'Isle Adam - dont la première publication sous forme de feuilleton commence dans Le Gaulois en septembre 1880 - se présente explicitement comme un exercice sur ce mythe. Edison y est présenté comme l'inventeur de l'andréide, pure entité "magnéto-électrique" (2).

 

Albert Robida, directeur et principal auteur et illustrateur du magazine La Caricature, est un des plus imaginatifs pour jouer du mythe (3). La couverture du n°1 de cet hebdomadaire, paru le 3 janvier 1880, croise d'ailleurs habilement le mythe d'Edison avec celui d'Emile Zola : sous le titre "Nana-Revue" une pulpeuse Nana rousse se penche, d'une manière assez allusive, sur un "photo-phonographe". Dans le n°2, du 10 janvier 1880, on trouve, parmi les "Prédictions pour l'année 1880" :

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Albert ROBIDA, "Nana-Revue", La Caricature, n°1, 3 janvier 1880

Albert ROBIDA, "Le fidélimètre d'Edison", La Caricature, n°25, 19 juin 1880

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Edison en magicien, The Daily Graphic, 19 July 1879.

(1)  W.WACHHORST, Thomas Alva Edison. An American Myth, The MIT Press, Cambridge MA, 1981. Il resterait à étudier le versant européen de ce mythe.

(2) Villiers de l'Isle-Adam, dont l'oeuvre s'inscrit dans le mouvement, issu du romantisme, de critique du positivisme scientifique, s'était documenté de manière assez précise sur les travaux d'Edison avant d'écrire son roman. On ne trouve pas dans l'Eve future de référence à un éventuel appareil de transmission des images à distance. Pour une analyse de ce roman, voir NOIRAY, J., Le romancier et la machine dans le roman français (1850-1900). Tome II, Jules Verne - Villiers de l'Isle Adam, Librairie José Corti, Paris, 1982.

(3) Voir notre contribution LANGE.A., "Entre Edison et Zola : Albert Robida et l'imaginaire des technologies de communication", in COMPERE D. (sous la direction de), Albert Robida. Du passé au futur, Encrage,  Paris, 2006, pp.89-119..

Le n°5 de La Caricature du 31 janvier 1880 évoque dans "Edison for ever" l'invention de la lampe électrique. Le n°25, du 19 juin 1880, se délecte d'une "Nouvelle et merveilleuse invention d'Edison : le fidélimètre", appareil permettant aux maris de mesurer à distance le degré de fidélité de leurs épouses. Un Edison souriant, en extension, est représenté en couverture et les cinq lettres de son nom répétées à l'envi. Dans le n°49, un article de Higrec, "Le téléphodore" attribue à Edison l'invention d'un appareil permettant la transmission à distance des odeurs.

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"SCIENCES - Le savant Edison poursuivra ses recherches: il inventera la télé-claque, pour donner des gifles à distance, le phono-revolver, pour duels, et trouvera enfin, après des années de recherche, le télémaire, pour marier les Américains célibataires, toujours plus occupés, avec les plus lointaines neautés de toutes les parties du monde. Plus de temps perdu, grâce à cet admirable instrument, on s'abonne à la Société des télémaires internationaux et, crac ; on est époux!

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Parmi les inventions destinées à révolutionner le monde en 1880, nous devons mentionner aussi le télétramway, toujours Edison, qui supprime les omnibus et les chevaux et permet d'expédier les voyageurs comme de simples dépêches.

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"Revue électrique", Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, 5 novembre 1881.

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"Le téléphodore, La Caricacture",

n°49, 4 décembre 1880

 

La réaction d'Edison au canular du dioscope (décembre 1881)

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La première intervention publique d'Edison est une réaction au canular du dioscope, lancé début octobre 1881 par le quotidien londonien  Daily  Telegraph et qui s'était rapidement propagé aux Etats-Unis. Selon ce canular, le dioscope, présenté dans le cadre du Congrès international d'électricité de Paris, permet la transmission à domicile, par fil, de captation de spectacle.

 

Le canular a probablement été inspiré par la démonstration de télé-photographie réalisée par l'électricien anglais Shelford Bidwell. En décembre 1881, une déclaration d'Edison sur la démonstration de Bidwell et la rumeur du dioscope est  rapportée par diverse journaux. L'article le plus ancien  que nous avons pu identifier est le "Another Wonderful Invention" de The Courier Journal, 27 December 1881 (Louisville, Kentucky), mais il est probable que celui-ci se base sur un article paru dans un organe new-yorkais.  "Mr Edison, in reply to a question as what he thought of the dioscope, said : "The ready imagination of the French has tinetured most that has appeared in the papers regarding Mr. Bidwell's invention, but I must admit that he has attained whatever success he claimed for his instrument. Still, not enough is promised to justify the wild rumors that orevail in some quarters. In turning sound into electricity you are able to move matter, but to turn light into electricity is a very different thing, especially as it would be necessary to transmit all the hues of a picture or a scene of an opera. Still, it is not an unreasonable plan, nor one impossible of accomplishment. But should it succeed, what good would it do ? It has no commercial value, but is merely a luxury. Until satisfied that I can do some good, I am unwilling to tackle such a thing, but as soon as I al convinced that it can be useful, I shall want nothing better".

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L'inventeur reconnaît le succès de son collègue britannique mais indique qu'on est loin des rumeurs sur les capacités du dioscope, qu'il attribue à la fantaisie des journalistes français. Selon lui, la transformation de la lumière en électricité est beaucoup plus complexe que celle du son. Le projet n'est cependant absurde et pourrait même être réalisable. Cependant Edison n'en voit pas l'utilité et la valeur commerciale et ne se penchera sur cette question que lorsqu'il sera convaincu de son utilité.

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La liste "Things doing and to be done" du 3 janvier 1888

 

Si l'on ne repère pas dans les archives Edison de véritable dossier sur des travaux relatifs à la vision à distance, on pourra néanmoins noter que sur sa fameuse "things doing and to be done" du 3 janvier 1888 (4) apparaissent des termes qui peuvent laisser à penser que la diffusion à distance des images ont effectivement fait partie de ses préoccupations quelques mois avant son voyage en Europe. On trouve en effet dans la liste des termes tels que photograph mirror, photograph relay, photograph telephone practical, cable photograph, 

The Courier Journal 27 December 1881a.jp
The Courier Journal 27 December 1881b.jp

(4) Le document complet peut être consulté ici :Technical Notes and Drawings Research and development [NA021]  Notebook Series -- Notebooks by Edison: N-88-01-03.2 (ca. 1888-1890) [NA021AAF; TAEM 99:200] 

 

 

"The Wizard in Paris", Fort Worth daily gazette., August 19, 1889

Première page de la liste "Things doing and to be done" d'Edison, datée du 3 janvier 1888. Source Thomas Edison Papers at Rutgers University

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Edison a commencé à travailler sur l'image animée avec son assistant W.K.L. Dickson vers 1887 (5) En février 1888, il a reçu la visite d'Edward Muybridge et il semble que les deux hommes aient discuté de la possibilité de combiner le Zoopraxinoscope et le phonographe. Le 8 octobre 1888 rédige un caveat où il annonce son projet de mettre au point un appareil permettant la reproduction des images en mouvement, ce qu'il appelle un kinetoscope et charge son assistant Dickson de travailler sur ce projet.

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La déclaration au Boston Journal, 12 mai 1889 : le projet de "far-sight machine"  

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Le 12 mai 1889, le Boston Journal publie les déclarations d'Edison concernant ses projets pour l'Exposition universelle de 1892, dont il était alors envisagé qu'elle se tienne à New York, et qui en définitive aura lieu à Chicago. L'inventeur annonce qu'il travaille sur pas moins de soixante-dix inventions différentes. "Une des plus particulières et qui promet de grand résultats est ce que j'appelle une machine à voir au loin (a far-sight machine). Au moyen de celle-ci, j'espère être en mesure d'accroître la portée de la vision par centaines de miles, de manière telle qu'un homme à New York puisse voir les images de ses amis à Boston avec une facilité similaire à celle de voir une performance en scène. Ce serait une invention valable pour une place proéminente à l'Exposition internationale et j'espère l'avoir perfectionné bien avant 1892. Mais ce n'est pas tout. Je puis en toute tranquillité annoncer de nombreuses améliorations aux inventions électriques, de différentes espèces  qui vont intéresser et instruire les visiteurs de toutes les parties du monde".

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Cette déclaration d'Edison, peu citée par ses biographes, a cependant été largement reproduite ou citée par la presse professionnelle et par la presse américaine (notamment Electrical Review, 25 May 1899 ; Scientific American, 1st June 1889  La déclaration au Boston Journal arrive en Angleterre un mois plus tard et suscite un certain scepticisme "Was Mr. Edison in the Earnest ?" titre la St James Gazette (12 June 1889). "We confess that a declaration attributed to Mr. Edison by the Electrical Review rather tries our faith. (...) If this be acomplished the modest request 'Yeah gods annihilate but time and space and make two lovers happy' will not need to be repeated. By the aid of the phonograph or the telephone and the 'long night machine' Edwin and Angelina will be made happy at low cost" écrit The  NottinghamEvening Post (13 June 1889).  "Mr Edison, who has become more deaf than ever...", titre la Freeman's Journal, Dublin, Friday 21 June 1889. En juillet, le magazine satirique britannique publie des dessins sur la "far sight" machine" du Profesor Goaheadison qui permet de voir entre "Schicago and Borston".

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Les coupures de presse dans le scrapbook tenu par son assistant Bachelor  confirment l'intérêt de l'inventeur pour la vision à distance.

(5) On trouvera une analyse détaillée des travaux d'Edison relatifs au kinétoscope dans MANNONI, L., Le grand art de la lumière et de l'ombre. Archéologie du cinéma, Nathan-Larousse, Paris, 1994. Mannoni se base sur les ouvrages américains suivants : HENDRICKS, G., The Edison Motion Picture Myth, Berkeley, Los Angeles, 1961 ; HENDRICKS, G., The kinetoscope, New York, 1966 ; MUSSER, C., Before the Nickelodeon, Edwin S. Potter and the Edison Manufacturing Co, Berkeley, Los Angels, 1991.

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Texte de l'article "Edison's Latest", Boston Journal, May 12, 1889, tel que reproruit dans Mining and Scientific Press, 13 July 1889, p.32

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L'exposition Edision à l'Exposition universelle de Paris (Source : Electrical review, 1889)

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La déclaration d'Edison sur le téléphote à Paris en  juillet 1889

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En France, le mythe d'Edison atteint son apogée à l'occasion de la visite que fait l'inventeur à l'occasion à l'Exposition universelle de 1889. Edison visite l'Exposition universelle de Paris en août 1889 et son guide n'est autre qu'Etienne Marey, qui lui fait visiter l'Exposition française de photographie (où exposent entre autres Nadar et les frères Lumière) et lui montre les résultats qu'il avait obtenu avec son chronophotographe.

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Avant l'arrivée d'Edison, Le Figaro et l'édition parisienne du New York Herald rendent compte, le 23 juillet, d'un pli qui aurait déposé à l'Académie des sciences par un inventeur français, M. Courtonne, présentant les principes d'un téléphote concurrent de celui d'Edison. Cette information sera largement reprise dans la presse française et états-unienne, sans qu'il soit possible d'identifier avec précision ce M. Courtonne.

 

Une rumeur  circule, dès avant l'arrivée d'Edison à Paris selon laquelle il arrivait "avec le téléphote dans la poche". Dans l'article "Sa Majesté Edison", dans le Figaro du 8 août 1889, dans lequel il compare l'inventeur à Zeus, Georges Robert écrit : "Edison a inventé le téléphone, le phonographe, une lumière qui détrône cette vielle lune cassée qui promène depuis des siècles ses morceaux sur nos têtes. Il invente le téléphote. Il fait tout pour nos. Ne faisons nous rien pour lui ?" Le journaliste paraît bien informé : "Il travaille à une talking doll, poupée qui parlera pendant une heure. Il vient d'achever son séparateur de minerai de fer et il espère inventer un bateau volant. Il ferait au dedans le vide par la compression de l'air, qui actionnerait deux ailes. Enfin, il s'occupe du téléphote, qui, justement retarde son arrivée parmi nous".

 

Lors de son arrivée au Havre, le 11 août, Gaston Calmette observe l'enthousiasme du public : "Tous impatients de saluer enfin Edison, le grand chercheur auquel la science moderne doit ses progrès les plus surprenants, Edison qui n'est jamais venu sur le continent européen et qui, chaque année, jette sur ce vieux monde qui ne le connaît pas quelques-unes de ses découvertes sublimes : hier, la lampe électrique incandescente et le téléphone, aujourd'hui, le microphone et le phonographe; demain peut-être, le téléphote, cet instrument merveilleux au moyen duquel on pourra voir à dix mille lieues la personne qui vous parlera !"  Calmette rapporte même un entretien avec le Dieu : "Quand on l'interroge sur le téléphote, il répond que ses travaux sont en excellente voie et qu'avant un an il en fera connaître les résultats. En attendant, il va créer une Société des phonographes analogue à la Société des téléphones" (Le Figaro, 12 août 1889).

 

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"G. Calmette, "Edison en France",

Le Figaro, 12 août 1889.

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LUQUE, "A.T. Edison", La Caricature, 21 septembre 1889

Le 13 août, l'édition parisienne du New York Herald rapporte un entretien que son journaliste a obtenu avec Edisoon dans son appartement de l'Hotel du Rhin. Sous le sous-titre "A Seeing Machine", une des questions porte explicitement sur la possible invention par Edison d'"une machine à l'aide de laquelle un homme à New York pourrait voir ce que faisait sa femme à Paris", comme une sorte de reprise du fidélimètre de Robida. Edison répond en riant : "Je ne sais pas si ce serait un réel bienfait pour l'humanité. Les femmes protesteraient." Mais Edison confirme qu'il travaille sur la question et que ce sera sa priorité en rentrant aux Etats-Unis : "Cette invention-là serait utile et pratique et je ne vois pas pourquoi elle ne deviendrait pas bientôt une réalité, et une des premières choses que je ferai en rentrant en Amérique sera d'établir cet appareil entre mon laboratoire et mes ateliers de téléphone."  De manière étonnante (car on ne trouve pas de trace ailleurs de cela), il affirme avoir déjà obtenu "des résultats satisfaisants en reproduisant des images sur cette distance, qui est seulement d'un millier de pieds". Et de manière tout aussi étonnante, il affirme qu'il serait ridicule de parler de la possibilité de se voir de New York à Paris, ce que la rotondité de la terre empêcherait de faire ! 

Le 16 août, Le Figaro rend compte de cette conversation.

 

The Brooklyn Citizen, en date du 7 octobre 1889, sous le titre "Edison's Talk" fait référence à l'entretien de Paris, et évoque, avec un certain scepticisme son annonce de l'importance de son entreprise au pavillon américain de l'Exposition universelle. "Au sujet d'autres propositions, nous ne sommes pas aussi sûrs. Il adore titiller ses auditeurs avec des déclarations extraordinaires, mais tellement extraordinaires sont les choses qu'il a faites qu'on n'est sage à ne pas se prononcer trop avant entre faits et plaisanteries. Il confie qu'il est en train de travailler sur un instrument qui transportera sur la distance l'apparence aussi bien que la voix d'une personne qui parle, ou, en d'autres mots qui soumettra la photographie à la transmission électrique de manière telle qu'on puisse voir aussi bien qu'entendre son propre correspondant à des milliers de miles de distance. Pour surprenante que soit cette proposition, elle ne l'est guère plus que le phonographe ou le téléphone. De fait, cette proposition serait seulement une modification du téléphone. Celui-ci enregistre les variations des impulsions de l'air, ce qui produit sur l'esprit, à travers l'oreille, l'impression du son. Le téléphote transportera les impulsions beaucoup plus délicates de la lumière. La différence entre les deux est la longueur d'ondes, mais leur relation est établie de nombreuses manières bien que jamais autant que par le fait que l'appareil auditif et l'appareil occulaire dans la tête d'un homme sont interchangeables, en tout cas en ce qui concerne les nerfs de transport et qu'ils sont analogues dans la méthode de recevoir et de transmettre des sensations. Cela ne devrait surprendre personne si dans un siècle on puisse voir l'illumination de la cathédrale Saint-Pierre à partir d'un bureau de téléphote (telephote office) à Brooklyn".

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Si tel est bien ce qu'Edison a dit, il n'y a rien de très original par rapport à ce qui s'écrivait depuis 1877 et le délai annoncé (un siècle) indiquait clairement qu'il y avait beaucoup du concept à la réalité. La rumeur de son invention va pourtant se propager. Dans l'article  "Le téléphote" paru dans Le magasin pittoresque (1889), C.Colin rend compte de l'attribution intempestive à Edison de l'invention d'un appareil permettant de transmettre les images à distance. Il est piquant de constater qu'un historien contemporain tel que Jacques Perriault, pourtant heureux précurseur de l'"archéologie de l'audio-visuel", se base sur l'article de Colin pour attribuer à son tour l'invention du téléphote à Edison. ("Nous terminerons par une autre invention de T.A. Edison, qui montre, à son tour, combien les modèles technologiques de ces hommes étaient en avance sur leur époque".) (6)

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The Star,  Beattie, Kansas, 16 August 1889

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Extrait de "Edison's Millenium", Edition parisienne du New York Herald, 13 August 1889.

"Une conversation avec Edison" (extrait), Le Figaro, 16 août 1889

(6) Jacques PERRIAULT, Mémoires de l'ombre et du son. Une archéologie de l'audio-visuel, Flammarion, Paris, 1981, p.199.

"Edison's Talk", Brooklyn Citizen, 7 octobre 1889 (Source Thomas Edison's Papers at Rutgers University)

L'Exposition chez soi, Boulanger, Paris, 1889, p. 639

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Pages du cahier de clippings d'Edison avec des articles de presse reprenant ses déclarations sur un appareil de vision à distance (juin-août 1889).

Siurce ; Edison's Papers, Rutgers University.

Déclaration du 6 octobre 1889

 

Après Paris, Edison part pour Berlin, puis Heidelberg et repasse à Londres avant de s'embarquer pour les Etats-Unis. On retrouve dans les clippings des archives d'Edison un article de l'édition du 23 septembre 1889 du New York Herald faisant suite à un entretien avec Edison, victime d'un refroidissement à Londres mais très satisfait de son séjour à Paris. Interrogé sur ses projets projets, il élude la question, mais indique que ses prochains travaux ne sont pas sans rapport avec l'électricité.

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Le 6 octobre, Edison est de retour à New York et commente pour les journalistes les résultats de son voyage. L'Exposition de Paris l'a enthousiasmé, mais il indique n'avoir rien appris en matière d'électricité. Il confirme qu'il travaille sur un appareil qui permettrait de voir son interlocuteur au téléphone, mais qu'il n'est pas sûr qu'il y ait un marché, or il ne s'intéresse qu'aux inventions qui ont un débouché commercial. Ce pragmatisme a surpris ses interlocuteurs européens.

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Hertz, Liesegang et Marey

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Ses déclarations au Pittburgh Dispatch, 7 octobre 1889 nous apprenne qu'il a rencontré le Professeur Hertz. Celui-ci a publié deux ans auparavant ses premiers articles sur les effets photoélectriques de deux étincelles. Il indique que celui-ci conduit des recherches abstraites qu'il n'est pas possible d'expliquer à un public non familiarisé, mais Edison reconnaît que le professeur allemand "va nous expliquer ce que c'est que l'électricité"  Il était cependant bien trop tôt en 1889 pour que soit évoquée l'hypothèse de la transmission d'images, et mêmes de sons, par les ondes hertziennes, dont Hertz n'avait pas encore démontré le potentiel.

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Il est possible qu'en Allemagne, Edison ait aussi rencontré le chimiste Raphaël Eduard Liesegang Celui-ci, deux ans plus tard, va lui dédier sa brochure Beiträge zum Problem des elektrischen Fernsehen. Probleme der Gegenwart, la première publication en allemand entièrement consacrée à la vision à distance. Liesegang cite la déclaration d'Edison au New York HeraldIl semble qu'une correspondance  ait existé entre les deux hommes en 1889-1890 et qu'Edison se soit intéressé au Phototel proposé par Liesegang et même quil ait cherché à acquérir l'appareil de télévision (Fernsehapparat) du chimiste allemand. C'est du moins ce qu'atteste un article paru dans la Deutsche Allgemeine Zeitung du 1er novembre 1939 (7). C'est également en 1890 que Liesegang déposera aux Etats-Unis une demande de brevet pour son phototel. En 1890, Liesegang déposera une demande de brevet aux Etats-Unis pour son Phototel. 

A Paris, Edison a également été stimulé par ses discussions avec Etienne-Jules Marey, Edison déposa quatre caveats relatifs à un appareil de cinéma. La quatrième, déposée le 2 novembre 1889, est relative à l'utilisation de film sensible et transparent, perforés des deux côtés "comme sur les bandes du télégraphe automatique de Wheatstone".  Dès le 2 septembre 1889, Dickson a commandé à George Eastman des rouleaux de films. Les historiens du cinéma dans cette évolution des travaux d'Edison, l'influence des recherches françaises.

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L'annonce du 12 mai 1891 du kinetograph comme appareil de vision à distance

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Le troisième épisode se joue dans le contexte de la préparation de la Columbian World Exhibition qui doit se tenir à Chicago en 1893 pour célébrer le 400ème anniversaire de l'arrivée de Christophe Colomb.. L'inventeur se rend à Chicago pour la préparation de l'événement et, le 12 mai, rencontre les journalistes, qui lui demandent quelles seront les inventions qu'il apportera à l'Exposition.(8) .

 

Le premier article semble être celui du Chicago Evening Post du 12 mai 1891. De nombreux articles de presse rendent compte des déclarations d'Edison, de manière plus ou moins complète. Les plus complets sont ceux de The Wichita Daily Eagle (24 mai 1891), The Wheeling Intelligence, (25 mai 1891) et Washington Post (27 juin 1891). 

 

En combinant le contenu des différents articles, il est à peu prêt possible de reconstituer la communication de l'inventeur dans ses détails.

 

Edison annonce qu'il devrait venir à l'Exposition avec "deux ou trois choses à montrer qui je pense seront une surprise et plairont aux visiteurs du département Electricité de l'Exposition, dont, en tout cas, je suis convaincu qu'elle sera un grand succès. Deux de ces inventions ne sont pas encore prêtes pour être décrites ni même caractérisées. La troisième, cependant, est quasi parfaite et je n'hésite pas à dire quelque chose à son sujet. Elle comprendra des éléments à la fois du téléphone et du phonographe, et sera égale, et même dépassera la somme de leurs mystères combinés. Mais l'invention n'aura pas de valeur commerciale. Elle aura plutôt une valeur sentimentale. Elle n'est pas encore parfaite. Quand elle le sera, elle vous surprendra. 

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J'espère être capable par cette invention de projeter (to throw upon) sur une toile (canvas) l'image parfaite de n'importe qui et de reproduire ses paroles. Ainsi, si Madame Patti devait chanter quelque part, l'invention mettra son image complète (full-lenght picture) sur la toile de manière si parfaite qu'elle permettra de distinguer chaque détail et expression de son visage, de voir toutes ses actions, et d'écouter la ravissante mélodie de sa voix incomparable. L'invention fera pour l'oeil ce que le phonographe a fait pour la voix, et reproduira la voix tout aussi bien; n fait de manière plus claire.

 

J'ai déjà perfectionné l'invention à un point tel qu'il est possible de représenter (picture) un combat professionnel (prize-fight), les deux hommes sur le ring et l'intensité des visages intéressés de ceux qui les entourent. Vous pouvez entendre le son des coups, les acclamations d'encouragement et les hurlements de déception. Et quand l'invention aura été perfectionnée, ajoute M.Edison avec une trace de lueur d'enthousiasme sur son visage, un homme pourra être assis dans sa bibliothèque à la maison, et disposant d'une connexion électrique avec un théâtre, il verra reproduit sur son mur ou sur un morceau de toile les acteurs et entendra tout ce qu'ils disent. La seule chose que l'invention requière est la finesse de reproduire les caractéristiques et les expressions. C'est mon intention de tenir prêt pour l'Exposition mondiale une telle combinaison heureuse de la photographie et de l'électricité de manière à permettre un homme de s'asseoir dans son propre salon et de voir représenté (depicted) sur un rideau (curtain) devant lui les formes des interprètes dans un opéra sur une scène distante, et d'entendre la voix des chanteurs. Quand le système sera perfectionné, ce qui j'espère sera le cas pour l'exposition, les muscles du visage du chanteur, chaque regard de son oeil et chaque expression seront vues. Chaque couleur dans les vêtements des interprètes sera également reproduite. De plus, le spectateur, assis au coin du feu, verra chaque personne dans la pièce bouger de sa position d'une manière naturelle, juste comme si elles étaient les vraies personnes elles-même

 

Je peux placer un appareil de manière telle qu'il dominera (command) un coin de rue et après l'avoir laissé enregistré (register) les vues des passages (passing sights) durant un laps de temps, je peux les projeter (cast) sur une toile de manière telle qu'ils transportent (carry) ainsi chaque caractéristique et mouvement des passants, même les tics sur les visages pourront être vus et si un de vos amis passe durant ce laps de temps, vous pourrez le savoir. L'invention sera appelée kinetograph. La première partie du mot signifie "mouvement" et la seconde 'écrire" et les deux ensemble signifient la représentation (portrayal) du mouvement. L'invention combine la photographie et la phonographie".

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De cette déclaration, il ressort plusieurs éléments qui sont généralement occultés dans les histoires du cinéma. Tout d'abord l'idée d'Edison est bien que le kinetograph doit fournir une image projetée, sur une toile, un rideau ou un écran. Certes, le kinetoscope d'Edison ne réalisera pas ce projet, qui implique que le spectateur se penche sur une boîte pour regarder des images microscopique, et il faudra attendre C. Francis Jenkins et les frères Lumière, pour assister à de véritables projections. Ensuite, l'idée est bien qu'il y ait transmission des spectacles (d'opéra, de théâtre, de sport) pour une consommation à domicile. Certes, l'idée n'est pas neuve. Elle avait été formulée dès 1878 par le polonais Julian Ochorowicz (qui citait également la cantatrice Adelina Patti)par Albert Robida en 1882 dans son roman Le Vingtième Siècle ou encore, en 1888, par Edward Bellamy dans sa dystopie Looking Backward: 2000–1887. .Mais il est important de noter que la réflexion d'Edison a évolué par rapport à sa déclaration de 1889, qui parlait plutôt d'un complément visuel à la téléphonie, mais pas de transmission de spectacles. Notons enfin qu'Edison parle bien de transmissions en couleurs, ce qui est une innovation complète par rapport à l'état de la photographie à cette date.

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Bien sûr, la proposition jetée en pâture aux journalistes est exagérée, mais elle a le mérite de définir un programme, que finalement d'autres réaliseront.

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Les réactions dans la presse à ces déclarations, entre le 13 et le 27 mai (date du dévoilement des caractéristiques du kinetograph) sont très diverses. The Marville Times fait de la surenchère et annonce qu'Edison a mis au point un appareil qui permet d'entendre les sons qui sont émis sur le soleil. "Bientôt ce gars communiquera avec les habitants de la lune" (13 mai 1891). Le Prof. Wiggins, expert en prédictions météorologiques annonce qu'il écrit un roman qui décrira la vie sur Jupiter et qui intégrera l'invention d'Edison (The Helena Independent, 24 mai 1891). La possibilité de regarder les combats sportifs à distance va supprimer un tas de problème pour la police, ironise le Saint Paul Daily (19 mai 1891). "Les amoureux pourront s'entendre et se voir à distance, mais cela n'aura aucun charme, à moins de trouver un autre stratagème" observe The Morning Call (21 mai 1891). De même The Wahpeton Times écrit : "A moins que la machine de M. Edison ne transmette l'odeur du blend de whisky, des oignons et du chou brûlé, les clients des pugilats se plaindront de ce qu'une indéfinissable essence manque pour la jouissance complète des démolitions à longue distance" (28 mai 1891).The Sedalia Weekly Bazoo note la concurrence que le kinetograph va représenter pour les photographes "The man with the kodak may begin to tremble for his occupation" (26 mai 1891). 

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En France, un billet du journal Le Mot d'ordre (28 mai 1891) compare cet appareil annoncé au téléphonoscope qu'Albert Robida avait décrit dans Le Vingtième siècle (1882). Dans Le Monde illustré (23 mai 1891), Pierre Véron reprend la thématique classique du spectacle à domicile, mais regrette que cet "inouïsme" ne sera pas disponible avant sa mort.

 

Mais divers commentateurs sont d'emblée séduits par la proposition : "Si Edison réalise ses promesses à l'Exposition mondiale, le mot "surprise" pourra être rayé du dictionnaire. Les gens ne considérerons plus rien comme impossible" (Pittsburg Dispatch, 27 mai 1891).  The Morning Call (21 mai 1891) évoque "la réalisation des rêve des auteurs spéculatifs qui ont décrit la vie telle qu'elle sera dans les siècles à venir"  et The Indianapolis Journal évoque le roman de Bellamy, dont Edison va réaliser l'utopie (14 mai 1881). Pour The Wheeling Daily Intelligencer (25 mai 1891), "Edison n'est pas un jongleur et quand il dit quelque chose, il sait de quoi il parle. Un dispositif (contrivance) qui apporte un combat de boxe dans les plus humbles chaumières marquera une avance remarquable pour notre civilisation".

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Les plus enthousiastes auront certains dû déchanter, malgré la nouveauté de l'appareil, lorsque le kinetograph sera présenté.

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L'article paru dans le numéro daté de mai 1891 de la revue Phonogram est cité par les historiens du cinéma (C. Musser, L.Mannoni) (9) comme la seule source relatant la première présentation du kinetoscope à bande pelliculaire perforée, qui eût lieu le 20 mai 1891 lors d'une visite du Women's Club au laboratoire d'Edison à West Orange, soit huit jours après l'annonce faite le 12 mai à Chicago. Le 28 juin 1891, Edison communique finalement à la presse la description technique du kinetograph et son "téléphone cosmique". Les deux articles les plus souvent cités par les historiens sont ceux, plus détaillés, parus dans The Sun, du 28 mai 1891, qui publie un schéma de l'appareil et dans le Scientific American du 20 juin 1891, qui propose la première photographe d'un ruban de pellicule. Le 31 juillet 1891, Edison formule les demandes de brevet du kinetoscope et du kinetograph. Une nouvelle présentation aux journalistes a lieu le 29 avril 1893 et la première démonstration officielle a lieu le 9 mai 1893 à la réunion annuelle du Départment de physique du Brooklyn Institute of Arts and Sciences.

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Extrait de "Inventor Edison Home", Chicago Tribune, 7 October 1889

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Extrait de "Count Edison Home", Pittsburgh Dispatch, 7 October 1889

(7) "Fernsehen und Farbfilm vor 50 Jahren. Zum 70. Geburtstag von Raphael Eduard Liesegang". Von unserem Berichterstatter Otto Peters. Deutsche Allgemeine Zeitung 1. November 1939.

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..."Edison   wollte im Jahre 1890 bereits einen Fernsehapparat Liesegangscher Konstruktion haben. Als vor einem Jahr die ersten Farbfilme liefen, erinnerte man sich daran, daß der Frankfurter Gelehrte vor Jahrzehnten schon, ehe noch die Franzosen mit ihren Arbeitern herauskamen, den Farbfilm im Prinzip erfunden hatte."... "...Starken Eindruck hat auf Liesegang Kapps "Philosophie der Technik" gemacht. Sie legte die Grundlage zu seinen zukünftigen wissenschaftlichen Arbeiten. Sein Streben ging seit den 90er Jahren dahin, aus der Natur und aus dem Organisierten für die Technik und das praktische Leben zu lernen. Er zog Vergleiche zwischen dem Auge und dem Foto und erkannte, daß der Nerv in Wirklichkeit nichts anderes als ein Telegraf ist. Er sagte sich, wenn das Sehbild zum Auge telegrafiert wird, sollte man das nachzumachen versuchen.

 

So kam er im Jahre 1889 schon zur Übertragung eines Linsenbildes durch den elektrischen Strom. Edison trat mit Liesegang in einen Briefwechsel. Beide blieben bis zum Tode des Amerikamers in wissenschaftlicher Freundschaft verbunden. Ebenfalls schuf Liesegang die Grundlagen zur heutigen Farbenpgotographie. - Wieder kam er mit Edison zusammen, als er seinen Phonograph konstruierte, der die Laute aufschrieb und sie dann wiedergab."....

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L'Illustration, 14 septembre 1889 (dessin conservé dans les clippings d'Edison (Rutgers University)

(8) Je remercie Mark Schubin d'avoir attiré mon attention sur ces déclarations d'Edison, qui n'apparaissent ni dans les biographies de l'inventeur ni dans les classiques de l'histoire du cinéma ainsi que sur les pages du scrapbook de 1889. Les déclarations d'Edison à Chicago ne sont citées ni par Paul Israel, Robert Conot ou Laurent Mannoni.

Corbett and Courtney Before the Kinetograph (Collection Library of Congress)

Le kinetograph.

Schéma paru dans The Sun, 28 mai 1891.

Le kinetograph dit '1889"

(en réalité datant probablement de 1891).

Courtesy National Edison Park.

(9) MUSSER, C. The Emergence of Cinema: The American Screen to 1907, Volume 1, University of California Press, 1990, p.68 ; MANNONI L.,op.cit. , p.364.

Dickson greeting, 1891

Un des plus anciens test  réalisé avec la caméra exéprimentale du  kinetograph  Edison-Dickson-Heise sur pellicule 3/4. Collection Library of Congress

"Le téléphote n'a jamais existé que dans l'imagination des news-paper men"

 

Le 28 avril 1893, dans son laboratoire de West Orange, Edison reçoit l'envoyé du Figaro, l'écrivain et bibliophile Octave Uzanne. Les deux hommes ont sympathisé lors de la visite de l'inventeur à Paris, en 1889. Peut-être Uzanne avait-il évoqué à cette occasion le génie prospectif de son ami Albert Robida, qui, dans Le Vingtième siècle (1882) avait poussé beaucoup plus loin que Du Maurier la déclinaison des usages possibles du téléphonoscope ?

 

Uzanne, qui visiblement ignore les articles de la presse américaine de mai 1891, demande à Edison si le kinetographe est la même chose que le téléphote. La réponse, qui paraît dans Le Figaro du  9 mai 1893 est cinglante. (10)

(10) UZANNE, O., "Sensations d'Amérique. Une visite chez Edison", Le Figaro, 9 mai 1893. Le texte est repris, avec une illustration, dans le recueil des différents articles de l'écrivain relatant son voyage aux Etats-Unis : UZANNE, O., Vingt jours dans le Nouveau Monde, May et Motteroz, Paris, 1893, p.59-72.

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Sur les aspects de l'entretien relatifs au kinetograph, on se reportera à MANNONI, L., Le grand art de la lumière et de l'ombre. Archéologie du cinéma, Nathan Université, pp.367-372.

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Uzanne évoquera également le kinetograph d'Edison dans le chapitre "La fin des livres" de ses Contes pour bibliophiles, illustrés par Albert Robida, Ancienne Mison Quantin, Paris 1895.  On trouvera un souvenir de Uzanne relatif à Edison (1908) sur le très riche site qui lui est consacré par B. Hugonnard-Roche.

UZANNE, O., Vingt jours dans le Nouveau Monde, May et Motteroz, Paris, 1893,

(Coll. A. Lange)

La relance du mythe en février 1904

 

L'interview de Uzanne est la dernière évocation par Edison que nous connaissions des questions liées à la vision à distance. Probablement a-t-il pris conscience que la transmission des images était prématurée et qu'il fallait d'abord perfectionner le kinetograph et assurer la production de films. Mais a-t-il pour autant cessé de s'intéresser à la question ? En février 1904, un article du London  Mail, qui va avoir une diffusion internationale, Edison aurait fait dans les jours précédents une nouvelle annonce d'un système de vision à distance par fil et couple le mythe d'Edison avec celui de Jan Szczepanik, qui date de 1898 et que l'on aurait pu croire éteint après le fiasco de l'annonce de la démonstration de son Telelectroscope à l'Exposition universelle de Paris. (1A)

 

Il serait d'ailleurs intéressant de savoir si Edison, en 1898, s'est intéressé au Telelectroscope de Jan Szczepanik, que Mark Twain avait surnommé l"Edison autrichien". Plusieurs articles sur cet appareil sont parus dans la presse américaine, et on n'imagine mal que Mark Twain, qui avait rencontré et soutenu Szczepanik à Vienne, n'ait pas évoqué ses travaux lorsqu'il rencontra son ami Edison. Et qu'a pensé du téléphote du français Rignoux qui fit la une du Scientific American Supplement le 22 mai 1915 ? Et comment reçut-il, en 1925, les succès de C. Francis Jenkins  dans la diffusion d'images à distance par son Radiovision, ce même Jenkins, de vingt ans son cadet, qui, dès 1894 avait obtenu un brevet pour son Phantoscope et avait été un des principaux challengers sur le marché des techniques cinématographiques ?

 

Faute de documents indiquant une évidence d'éventuels travaux, il faut bien admettre que l'apport d'Edison est ténu. La publication des archives Edison est en cours aux Etats-Unis, mais il s'agit d'un projet immense. Les archives Edison représentent environ quatre millions de pages. L'édition intégrale n'en est qu'à son cinquième volume, correspondant aux écrits d'Edison en 1879....

 

En attendant, le mythe continue : Internet, qui est également le moyen le plus efficace de propager les mythes (et les bêtises) fournit la possibilité à un quidam d'écrire que "Plus récemment, les découvertes de Thomas Edison, conjuguées à celles de Constantin Senlecq donnaient naissance au tube cathodique, déjà baptisé "télévision" lors de l'exposition universelle de 1900." !

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André Lange, 17 janvier 2000 / Révisions 16 et 27 décembre 2017, 29 janvier 2018, 4 février 2018., 23 juin 2020., 6 avril 2023, 9 avril 2023, 6 mai 2023; 25 mai 2023.

La caméra du kinetograph par Albert Robida (Illustration pour "La fin des livres" in UZANNE O. et ROBIDA A., Contes pour les bibliophiles, Ancienne Maison Quantin, Paris, 1895. (Coll. A. Lange)

"(11) A.M. "Seeing by Wire", London Mail v. 20 février 1904

 Sources générales de référence sur Thomas Edison

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Thomas A. Edison Papers" de Rutgers University

(A propos de ce site, voir : "The Undiscovered World of Thomas Edison", The Atlantic Monthly, December 1995. )

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HENDRICK, G., The Edison Motion Picture Myth, University of California Press, 1961.

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ISRAEL, J.B., NIER, K., CARLAT, L., The Papers of Thomas Edison, The John Hopkins University Press, Baltimore and London, 5 volumes parus.

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MUSSER, C. The Emergence of Cinema: The American Screen to 1907, Volume 1, University of California Press, 1990, p.68 ; MANNONI L.,op.cit. , p.364.

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MUSSER C., Edison Motion Pictures, 1890-1900: An Annotated Filmography (Smithsonian Studies in the History of Film & Television), Smithonian Books, 1998.

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Collection Inventing Entertainment: The Early Motion Pictures and Sound Recordings of the Edison Companies, Library of Congress

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"Bavardage", Le mot d'ordre, 28 mai 1891

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Le Monde illustré, 23 mai 1891

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