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​Les relations entre le cinéma et la télévision 
au Royaume-Uni (1942-1955)

L’optimisme de J. Arthur Rank

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En vue de préparer la relance de la télévision après la fin de la guerre, une commission (The Hankey Committee) fut instituée en septembre 1943. Cette commission était composée de représentants du Ministère des Postes (Post Office), du Secrétariat d’Etat aux Affaires industrielles et à la Recherche scientifique et de la BBC. Parmi les témoins qu’elle auditionna, on trouve outre les noms de J.L. Baird, d'Isaac Shoenberg (EMI), celui de J. Arthur Rank, devenu le propriétaire du principal groupe cinématographique britannique et également détenteur de brevets en matière de télévision et celui de Glenvill Hall, Vice-President de la British Film Producers’ Association.

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Le témoignage de Rank était surtout focalisé sur la possibilité de diffuser vers les salles de cinéma. Il imaginait que la BBC, quatre ou cinq ans après la fin de la guerre, diffuserait vers le public et que l’industrie du cinéma aurait ses propres studios de télévision en vue de produire des films qui seraient télédiffusés vers les salles. Il n’envisageait pas que la télévision puisse éroder la fréquentation des salles de cinéma, qui était en pleine apogée. Pour lui, les deux formes de divertissement étaient complémentaires et la télévision stimulerait la fréquentation des salles plus qu’elle ne la menacerait.    Rank et Hall déclarèrent qu’ils parlaient en leur nom propre, et non au nom de l’industrie cinématographique, dont certains membres voyaient avec inquiétude l’arrivée de la télévision. Mais Rank considérait qu’il serait suicidaire pour l’industrie cinématographique de combattre une organisation telle que la BBC, bénéficiant du soutien de l’Etat. A plusieurs reprises par la suite, Rank confirma sa disposition à collaborer avec la BBC, pour autant que la Corporation adopte des mesures favorables à l’industrie cinématographique. Il considérait notamment que la télévision ouvrait un nouveau marché pour les anciens films qui avaient terminé leur carrière en salles mais qui conservaient une " valeur résiduelle ".

 

En 1946, J.A. Rank déclara au Television Advisory Committee que "la télévision n’affecte pas l’industrie cinématographique, mais qu’en raison des avancées techniques que l’on peut raisonnablement attendre, l’industrie cinématographique prévoit la possibilité d’une superposition, partielle ou totale, dans le domaine qu’elle a servi jusqu’ici". Il plaidait dès lors pour un accord sur les zones d’influences respectives, sur le modèle des arrangements passés par la BBC avec la presse écrite en ce qui concerne la diffusion de nouvelles.

 

L’hostilité de l’industrie cinématographique face à l’essor de la télévision

   

Les services de la BBC reprirent le 7 juin 1946 par la diffusion du Mickey’s Gala Premiere dont la diffusion avait été interrompue le 1er septembre 1939. Malgré les vues optimistes de Rank, l’industrie cinématographique se montra bien peu coopérative et refusa catégoriquement de fournir des copies à la Corporation. Même la possibilité de diffuser un film vieux de dix ans tel que le Mayerling d’Anton Litvak (1936) fut refusée. La diffusion des dessins animés de Disney fut interrompue fin 1946 et les dirigeants de la BBC durent se contenter des films distribués par Rank et par Korda et de quelques classiques tels que Birth of a Nation (diffusé le 7 juillet 1947) dans une version écourtée de 60 minutes, Der Blaue Angel (diffusé le 1er décembre 1947), Alexandre Nevsky (version écourtée diffusée le 21 mai 1948) et Les Enfants du Paradis (diffusé en deux parties les 3 et 4 août 1948). Parmi les films moins prestigieux le Renfrew of the Royal Mounted d'Albert Herman (USA, 1937) et les films de série-B de Tex Ritter furent diffusés à plusieurs reprises. Une émission consacrée à l’histoire du cinéma, Film History, présentée par Roger Manwell, était un monologue du présentateur devant la caméra.

 

La BBC confrontée à la nécessité d'une politique de production de fiction

 

Il faut dire que les dirigeants de la BBC n’étaient pas nécessairement convaincus de la nécessité de manifester massivement des films. La qualité de diffusion était largement inférieure à la qualité des images en salles et la télévision était perçue comme plus propice à une esthétique du direct, telle qu’elle pouvait se manifester dans les dramatiques.

 

Cette opposition esthétique fit l’objet de textes théoriques. M. Barry, Head of Television Drama, considérait que le producteur et le réalisateur passant du cinéma à la télévision auraient beaucoup de choses à apprendre, en particulier en ce qui concerne la performance en continu des acteurs, très différente de la prise de vue segmentée du cinéma. (1)

   

Le développement de la programmation et de l’audience (en particulier sous l’effet d’entraînement de la retransmission du Couronnement de la Reine Elizabeth) (2 juin 1953) nécessitait cependant de résoudre le problème de l’approvisionnement en films. En 1953 une note interne de la BBC constatait l’hostilité persistante de l’industrie cinématographique britannique et l’urgence de démarches vers l’étranger pour trouver un approvisionnement en films.

   

En définitive, l’hostilité de l’industrie cinématographique à l’essor de la télévision aura eu, en Grande Bretagne, un effet bénéfique : la BBC aura eu à mettre en place des formes nouvelles de production, les dramatiques TV, dont émergera, dans les année 60, une jeune génération d’auteurs et de réalisateurs qui, formés à la télévision, entreprendront le renouvellement de la création cinématographique.

 

Meet Mr Lucifer (1953) : les studios Ealing exorcisent la télévision

    

En 1953, Michael Balcon et les Studios de Ealing produisent le film Meet Mr Lucifer du réalisateur Anthony Pelissier. Selon la recension de Britmovie, Meet Mr Lucifer était basé sur la pièce de théâtre Beggar My Neighbour de Arnold Ridley, qui avait écrit dans les années 20 un mélodrame à succès The Ghost Train. Arnold Ridley devait connaître la gloire télévisuelle dans les années 70 en interprétant le sénile soldat Godfrey dans la fameuse série de la BBC  Dad's Army.

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Sam Hollingworth est un acteur provincial de pantomime qui, durant une représentation, tombe dans la trappe du souffleur et se trouve dans une région de l'enfer face à M. Lucifer. Le diable pense que les gens sont rendus trop heureux par la télévision quand elle devrait les rendre misérables. Le film montre comment la télévision pourrait rendre les gens malheureux. Un couple de jeunes mariés devient malheureux à cause de la télévision, de même qu'un célibataire écossais qui tombe amoureux de la chanteuse Lonely Hearts à l'occasion de son apparition à l'écran. Le reste du film montre les effets désastreux de la télévision sur les citoyens britanniques, par ailleurs normaux et rationnels. On y voit des films en trois dimensions. Parmi les acteurs on trouvait des célébrités de la télévision d'alors.

   

Selon le critique de Britmovie, "le principal intérêt du film est probablement dans la peinture des horreurs des standards de la télévision en 1953, deux avant avant l'ouverture des premières stations de l'ITV". La réalisation a été confiée à un réalisateur extérieur aux cercles habituels des studios Ealing, qui refusèrent de travailler sur ce film, le considérant comme une attaque sans courage contre la menace que représentait le nouveau medium.

   

Selon David Fisher, il s'agit de la réponse du cinéma britannique à la rapide pénétration de la télévision dans les foyers. Le slogan du film était : "[Television is] an instrument of the Devil, a mechanical device to make the human race utterly miserable."

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André Lange, 25 décembre 2020 / 19 juin 2020

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J. Arthur Rank (1888-1972)

(1) M. BARRY, " Problems of a Television Producer ", BBC Quarterly, 6:3, Autumn 1951.

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Un cours extrait de "Meeting Mr. Lucifer", réédité en DVD dans un coffret consacré aux films de Ealing Studio

 Sources :

A. BRIGGS, Sound and Vision, The History of Broadcasting in the United Kingdom, vol.4, Oxford University Press, Oxford, 1979, 2nd edition 1995.

T. VAHIMAGI, British Television, BFI / Oxford University Press, Oxford, 2nd edition, 1996.

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Sur J. Arthur Rank :

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MacNAB G., J. Arthur Rank and the British Film Industry, Routledge, London, 1993.

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