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Le teleautoscope de T. Baron Russell : une anticipation optimiste de début de siècle
 

(T. BARON RUSSELL), "A Hundred Year Hence",

Supplement of the Derry Journal, 13 April 1903

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Après l'effervescence anticipatrice des deux dernières décennies du 19ème siècle, la première décennie du 20ème siècle est relativement plus parcimonieuse en matière de contributions fantaisistes sur la possibilité de voir à distance par l'électricité. Le thème est-il devenu trop banal ? La recherche trop discrète ? Dans ce contexte, les écrits de T. Baron Russell présentent un certain intérêt.  

 

T. Baron Russell est un écrivain anglais de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle qui n'est plus guère connu par les historiens de la littérature que par la critique, plutôt indulgente, que le jeune James Joyce consacra à son roman naturaliste Borlase and Son, paru en 1903. Il avait publié auparavant diverses nouvelles et romans (The Mandate, A Guardian of the Poor) et, en 1893  Current americanisms : a dictionary of words and phrases in common use, essai dans lequel il était les spécificités linguistiques de l'anglais américain il observait l'américanisation progressive de la langue anglaise.

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Dans sa recension de Borlase and Son (1), Joyce louait l'actualité du roman ainsi que l'humour et le pouvoir prophétique de l'auteur. Lorsqu'il écrit cette critique, Joyce avait-il déjà connaissance de l'essai d'anticipation  "A Hundred Years Hence" paru initialement dans le Morning Leader et que reprennent divers journaux britanniques ?

 

Dans ce premier texte d'anticipation, Baron Russell, un peu comme Albert Robida ou Jules Verne l'avaient fait vingt ans plus tôt. image l'évolution des technologies de communication, avec une précision qui, rétrospectivement, nous paraît assez pertinente, même si elle est parfois un peu trop radicale. La téléphonie va devenir sans fil, ce qui n'ira pas sans poser des problèmes de sécurité et de confidentialité des conversations. Les machines à écrire vont disparaître au profit de sortes de dictaphones, qui n'utiliseront plus les cylindres de cire mais un support adapté à la diffusion par tubes. La comptabilité sera réalisée sur des machines à calculer qui effectueront les opérations arithmétiques sans erreur. Un appareil que Baron Russell appelle le teleautoscope permettra la conversion des ondes lumineuses  et leur transmission de la même manière que le téléphone permet de transmettre le son. Tout pourra être photographié. Il sera possible  de se voir à distance, de mener un procès ou de signer un contrat entre Londres et San Francisco sans avoir à se déplacer. T. Baron Russell était probablement au courant des progrès réalisés en matière de téléphotographie par Korn et Belin.

 

Dans des articles sur le même thème repris dans la presse américaine, Baron Russell imagine l'impact de ces nouvelles technologies sur l'évolution du journalisme. Dans cent ans, estime-t-il, tout le monde lira les journaux, mais d'une manière différente : non plus pou connaître les idées du rédacteur en chef, mais pour les comparer aux siennes propres et se rafraîchir la mémoire. La presse sera en couleur, imprimée par rayons-X. Avec le développement du teleautoscope, les lecteurs pourront disposer en direct de photographies des événements (curieusement Baron Russell semble imaginer ici uniquement des images fixes. Il n'y aura plus de correspondants de guerre car il n'y aura plus de guerres (l'auteur n'avait pas prévu que 2003 serait l'année de la seconde Guerre du Golfe !). Le divorce entre la littérature et le journalisme sera complètement prononcé et la transmission de pensée électrique (que Graham Bell avait évoquée en 1893) sera effective.

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Peut-être encouragé par l'éloge de Joyce, Baron Russell publie en 1905 un essai d'anticipation plus vaste A Hundred Years Hence: the expectations of an optimist. dans lequel il aborde d'autres domaines de la vie sociale. Le teleautoscope y réapparaît, cette fois avec la possibilité d'une diffusion sans fil. L'auteur n'a pas toujours la vision aussi pertinente. Ainsi il imagine la disparition dans le courant du 20ème siècle des sports violents tels que le football, la boxe ou le catch ou encore la disparition du recours à l'alcool.

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En 1914 circule dans divers journaux américains un texte "Looking Ahead One Hundred Years", qui cite les prédictions de T. Baron Russell, mais qui ne sont pas signés. La prévision est cette fois à l'horizon d'avril 2014. Il existe un climat de hustling  mais c'est parce que les familles sont très soucieuses de consacrer autant de temps que possible à la  culture et à la réflexion ("for culture and thought"). Les foyers familliaux sont transformés en "terriers àlapin"  et sont remplis d'appareils scientifiques et de divers appareils audiovisuels 'téléphones, kinescopes, teleautoscope et tout une série d'autres appareils en -scopes.

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(1) La recension de Joyce, parue dans le Daily express, November 19, 1903 est la dernière qu'il publie. Elle se termine par cette phrase mordante "For the rest, the binding of the book is as ugly as one could expect". Elle est reproduite dans  JOYCE S. and MASON E. The early Joyce : the book reviews, 1902-1903, The Mamalujo Press, 1955, p.46

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Les différents textes d'anticipation de T. Baron Russell

 

(T. BARON RUSSELL), "A Hundred Year Hence",Supplement of the Derry Journal, 13 April 1903 (="A Century Hence - Peep at a Businessman", Hampshire Telegraph, 9 May 1903

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T. BARON RUSSELL, "A Hundred Years Hence", The Ogden Standard, 9 May 1903 (= "The Newspaper of the Future. An Englishman's View" The Courier Journal, Louisville, Kentucky, 10 May 1903 ; "What  Journals of the Future May Be, Buffalo Evening News,  23 May 1903 : "Newspaper 100 Years from Now", Pittsburgh Weekly Gazette, 31 May 1903 ; "Newspaper 100 Years from Now", The Fort-Wayne Journal Gazette, 14 June 1903 ;

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T. BARON RUSSELL, A Hundred Years Hence. The Expectations of an Optimist, Fisher Unwin (London) 1905 , A.C. Mc Clurg, Chicago, 1906

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"Christmas A Hundred Years from Now", The Renville Star Farmer, December 24, 1909, p. 6

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"Looking Ahead One Hundred Years", The Austin American, 1st November 1914. Egalement dans The Times Dispatch, 1st November 1914, The Spokeman Review, 8 November 1914

Extrait de "Looking Ahead One Hundred Years", The Austin American, 1st November 1914.

André Lange, 9 juin 2020

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