Fritz Reiner et la télévision après la Seconde Guerre mondiale
La diffusion de concerts de musique orchestrale est annoncée en mai 1930 par le chef Leopold Stokoswki, déjà connu pour le caractère non conformiste de sa direction pendant les captations radiophoniques et qui travaillait en collaboration avec les Bell Labs.
Fritz Reiner a été lui aussi un des autres grands chefs d'orchestre américain à donner des concerts télévisés. Les deux biographes de Reiner, Philip Hart et Kenneth Morgan ont retracé ses rapports avec la télévision, qui ont été plus tardifs que ceux de Stokowski. Nous traduisons ici les extraits de leurs ouvrahges relatifs à cette collaboration, qui a duré de 1949 à 1969.
Fritz Reiner est venu assez tardivement à la direction d'orchestre pour la télévision, durant sa collaboration avec le MET (1949-1950). La représentation d'ouverture du Rosenkavalier de Richard Strauss au MET, le 21 novembre 1949, fut télévisée. Sponsorisé par Texaco et proposé sur le réseau ABC, ce programme a été diffusé à New York, Philadelphie, Baltimore, Washington, Détroit et Chicago. Le Metropolitan avait diffusé la soirée d'ouverture pendant trois saisons en tant que programme de soutien. En 1952, il s'est tourné vers la télévision payante en circuit fermé dans l'espoir d'obtenir un retour financier (Hart, 1994, 146)
L'expérience de de diffusion payante en circuit fermé de télévison
Le 11 décembre 1952, la représentation de Carmen par Reiner fut retransmise directement depuis le Met par Theater Network Television dans trente et un théâtres de vingt-sept villes américaines, ce qui constituait une première. La retransmission se fit en noir et blanc, projetée par un équipement spécial sur des écrans de cinéma ; les prises de vue rapprochées étaient plus efficaces que les prises de vue à longue distance, qui apparaissaient parfois floues et confuses.(Morgan, 2004, 133) Les spectateurs payèrent trois dollars et plus pour avoir le privilège douteux de regarder une image floue en noir et blanc projetée sur un grand écran, accompagnée d'un son médiocre. L'entreprise, entreprise par Theater Network Television, ne fut pas un succès ni pour l'entrepreneur ni pour le Metropolitan. Ils abandonnèrent le projet de proposer deux autres diffusions de ce type.(Hart, 1994, 146)
L'article de Life publié le 1er janvier 1953 rend compte de cette expérience décevante :
"L'industrie de la télévision, en croissance rapide, qui tourne ses yeux à multiples lentilles vers les sports, la politique et même les salles d'opérations dans les hopitaux, et déclare 20,5 millions de postes récepteurs, a aussi trouvé un moyen de se rendre utile pour les intérêts privés. La méthode est l'organisation de projections télévisées en circuit ferme (closed-circuit telecasts) qui, en transmettant les programmes par le biais de lignes téléphoniques plutôt que par voie hertienne, apporte sur les écrans des salles de cinéma des spectacles qui ne peuvent être vus sur des écrans ordinaires. Cette aubaine pour les exploitants de salles assiégés paraît aussi en être une pour les autres promoteurs. Quand le match Walcott-Marciano a été diffusé sur les écrans de cinéma l'automne dernier, les théâtres étaient à guichets fermés. Il y a quelques semaines, le Metropolitan Opera, voyant une chance de réduire son énorme déficit, a vendu aux salles une représentation en direct de Carmen. Dans 27 violles, 60 000 personnes ont payé jusqu'à 7,20 $ un siège pour voir dans leur salle locale le même opéra que 3000 fans d'opéra voyaient au MET.
Les spectateurs, que l'on voit ici dans des photographies prises avec des bulbes de flash infrarouge, ont entendu la musique distordue, résonnant souvent comme un disque usé. Les visages des chanteurs devenaient des formes floues et fantômatiques et leurs figures étaient telleemnt allongées qu'un critique dit avoir vu "des gens ressemblant à des bananes trop mûres". La couleur manquait tristement. Mais, apprenant de ses erreurs avec les opéras, la télévision en salle (theater TV) s'approche de son grand rêve - apporter des spectacles en direct de Broadcway dans les salles de centaines de villes des Etats-Unis.
Non sans ironie, l'article suivant rendait compte des déboires d"une expérience de ventes de tapis en télé-achat, elle aussi manquant de couleurs.
Critique d ela diffusion de Rosenkavalier par ABC, Daily News, 22 November 1949
Annonce de la; première diffusion TV
d'un opéra du MET, sur le ,réseau ABC
Time, 20 Decembrer 1948
By courtesy of Mark Schubin
Lansing State Journal, 25 December 1949
Janesville Daily Gazette, 321 December 1949
Life, 1st January 1953
Représentation télévisée de Carmen dans les salles de cinéma, le 11 décembre 1952
(Source : Metropolitan Opera Archives)
La diffusion télévisée des concert de l'Orchestre symphonique de Chicago dirigé par Fritz Reiner
Reiner a par la suite donné de nombreux concerts en diffusion radio ou télévision, en collaboration avec le Philarmonique de Chicago. La première apparition télévisée de l’orchestre eut lieu au Civic Theater de Chicago, le 25 septembre 1951, sous la direction de Rafaek Kubelik. Sponsorisées localement par Chicago Title and Trust sur WGN-TV, les émissions d'une heure en 1957 étaient également diffusées sur le réseau Dumont, qui diffusait des films kinescopes des émissions dans d'autres villes. Bien que présenté comme l'Orchestre symphonique de Chicago, le groupe de programmation employait environ la moitié de son personnel en rotation. Certains administrateurs considéraient cette série comme indigne de leur orchestre, en raison à la fois de sa taille réduite et du répertoire plus léger qu'il jouait. Le revenu supplémentaire des musiciens tempéra quelque peu ces appréhensions, en particulier parce que le sponsor les payait, soulageant ainsi la pression des musiciens dans les négociations pour le contrat saisonnier de base. Le directeur de l'Orchestre, Kuyper soutenait fortement les émissions télévisées, car, en tant que manager, il en reconnaissait la valeur. Il recevait également une rémunération supplémentaire en tant que conseiller de production. Grâce à l’intérêt de Kuyper pour la télévision, l’Orchestre symphonique de Chicago a reçu plus de visibilité télévisée que tout autre orchestre américain de l’époque. (Hart, 1994, 169). .
La série se poursuivit tout au long de la décennie de Reiner à Chicago, parfois avec lui à la tête, parfois avec des chefs invités sur le podium. De 1958 à 1963, les émissions télévisées furent présentées dans un programme hebdomadaire intitulé Great Music from Chicago, à partir duquel des kinéscopes furent commercialisés via des stations indépendantes dans lr monde entier. La qualité de ces films en noir et blanc était variable ; les contrastes dynamiques importants n’étaient pas réalisables avec les microphones utilisés ; et généralement l’orchestre était réduit à soixante-cinq musiciens (ou moins) pour s’adapter à l’espace du studio et au budget. Reiner n’était pas très enthousiaste à l’idée de faire des émissions télévisées en raison de ces compromis musicaux, mais il savait que ces programmes renforceraient sa réputation. Ils étaient également lucratifs ; En 1955-1956, il gagnait mille cinq cents dollars par émission. Malgré leurs limites, ces kinéscopes sont la meilleure preuve visuelle du travail de Reiner ; certains ont survécu avec une qualité sonore et d’image acceptable. Diverses émissions radiophoniques dirigées par Reiner pendant la saison d’abonnement 1957-1958, mais diffusées à l’origine uniquement à New York, sont conservées pour la postérité. (Morgan, 2004, 160)
En mai 1958, la Chicago Title and Trust annonça la fin de la série après treize années de diffusion à la radio et à la télévision. En collaboration directe avec WGNTV, Kuyper conçut une nouvelle série hebdomadaire, Great Music from Chicago, dans laquelle l'orchestre jouerait un rôle majeur. La station vit dans ce projet la possibilité de vendre la série en syndication vidéo à d'autres stations indépendantes à travers les États-Unis et à l'étranger. Une fois encore, Reiner ne dirigea que le premier et le dernier programme. Kuyper confia quatre programmes à Walter Hendl, soit plus que tout autre chef d'orchestre. Cette série se poursuivit jusqu'en 1963, mais la maladie de Reiner limita sa participation ultérieure. (Hart, 1994, 170).
La saison 1959-1960 des émissions de WGN-TV a suivi le modèle de l'année précédente, la station appartenant à Tribune continuant à compiler une série de programmes sous le titre Great Music from Chict^o pour la syndication. En 1958-1959 et 1959-1960, Reiner a ouvert et fermé la série. Il avait à ce moment-là perdu tout intérêt pour les activités télévisées de l'orchestre. La qualité du son était bien en deçà de ce qu'il considérait comme approprié. Ajoutée à une période hebdomadaire de huit répétitions ou concerts, sans parler de l'augmentation des activités d'enregistrement, la séance de trois heures du dimanche soir avec seulement une partie de son orchestre est devenue un fardeau appréciable à mesure qu'il vieillissait (Harft, 1994, 220)
Reiner considérait que la radio et la télévision étaient des moyens d'élargir l'audience de la miusique classique. Selon Kenneth Morgan,
"Reiner a noté qu’à la radio, on pouvait ajuster l’équilibre orchestral en plaçant les instruments à différents endroits, mais souvent, une interprétation en direct était diffusée, et il était donc difficile de garantir une qualité élevée. Pour diriger des orchestres pour des films, on disposait de suffisamment de temps de répétition pour enregistrer et réenregistrer jusqu’à ce qu’une restitution satisfaisante soit obtenue. Les chefs d’orchestre et les techniciens pouvaient placer les instruments sans se concentrer sur leur disposition visuelle. Mais la télévision était le média le plus difficile pour présenter des interprétations orchestrales, car la création musicale se faisait sans les avantages du temps et des budgets que l’on trouve dans les films."
Documentation réunie et traduite par André Lange. Remericments à Mark shubin , Aer septembre 2024
Los Angeles Mirror, 12 December 1952
Fritz Reiner dirigeant le Philarmonique de Chicago dans la 7ème symphonie de Beethoven, Enregistrement Live en 1954, Reamlstérisé en 2007. Source: American Time Traveller channel on Youtube?
Il s'agit probablement d'un des kinescopes rélises pour le réseau de tlévision Dumont.
Fritz Reiner dirige l'Orchestre philarmonique de Chicago dans l'ouverture d'Egmont de Beethoven (1954)
Source Chaîne Youtube tempomovimiento
Bibliographie
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Philip HART, Fritz Reiner : a biography, Northwestern University Press, 1994
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Kenneth MORGAN, Fritz Rainer, Maestro and Martinet, University of Illinois Press, 2004.