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Le téléphote",  
L'Indépendance belge, 
Bruxelles, lundi 12 août 1889.

 

Cet article paru dans la rubrique "Lettres et sciences" du quotidien bruxellois L'Indépendance belge, est, à notre connaissance, la première référence sur les travaux relatifs à la vision à distance parue en Belgique. Ce texte sera traduit en anglais, sous le titrre "The Telephote"  par The Telegraphic Journal and Electrical Review, London, August 16, 1889.

   

Il atteste de la rumeur circulant au moment de l'arrivée d'Edison à Paris selon laquelle l'inventeur américain aurait mis au point un téléphote. Cette rumeur semble avoir été lancée par l'article "Sa Majesté Edison" paru dans Le Figaro du 8 août 1889.

   

Les expériences de Courtonne sont mal documentées. Son nom apparaît dans un article du Figaro du 23 juillet 1889 et dans un article du Scottish Leader du 26 juillet 1889.

 

L'article de L'Indépandance belge n'est pas signé. Il émane probablement du correspondant parisien, qui alimentait régulièrement le journal en articles sur l'Exposition universelle de 1889. Il n'est pas clair, lorsque l'auteur parle de "notre Académie des Sciences", si il s'agit de l'Académie des Sciences française ou de l'Académie des Sciences de Belgique.

 

Aucun mémoire ou pli cacheté sur le téléphote n'est mentionné dans les tables des Comptes rendus de l'Académie des Sciences des années 1881-1895. Une note de chimie organique d'un certain H. Courtonne est publiée dans les Comptes rendus de 1882, mais rien n'atteste qu'il s'agisse de la même personne.

 

L'Indépendance belge reviendra à plusieurs reprises sur la visite d'Edison à Paris mais sans plus mentionner le nom de Courtonne. Epinglons cependant cette amusante déclaration attribuée à Edison dans un article publié le 20 août 1889 : "Ne me demandez pas d'inventer un instrument permettant à un mari de voir ce que fait sa femme à une grande distance. Je tiens à ne pas me mettre les femmes à dos". Cette déclaration, peut-être apocryphe, est en contradiction avec celle rapportée par Gaston Calmette dans Le Figaro du 12 août 1889. 


 

Le téléphote

    

Si d'aventure quelque peintre impressionniste a la fantaisie de caractériser notre époque par une allégorie exacte et puissante, j'imagine qu'il représentera la science dans les traits d'une fée, dont la baguette magique fera passer sous les yeux d'un public étonné toute une succession de tableaux ou les merveilles les plus foudroyantes  se dérouleront comme naturellement, une pièce à grand spectacle, jouée devant les habitants du monde, sans entr'actes, tandis que l'auditoire, jamais rassasié, dira "Encore ! Encore ! et qu'on continuera à jeter sans interruption dans la gueule énorme de l'esprit humain les miracles qu'on saura dérober au pays des magiciens et des sorcières.

   

L'arrivée d'Edison a remué le monde scientifique de Paris, cet étonnant savant dont le cerveau dédaigneux des douze travaux d'Hercule, a enfanté six cent dix inventions, vient en France, portant dans les plis de son manteau une innovation dont on mène déjà grand bruit : il s'agit du téléphote.

   

Je dois ajouter que ce téléphote est déjà revendiqué par un jeune savant français, M. Courtonne, qui, du reste, a rédigé un rapport soigneusement renfermé dans un pli cacheté et confié à la garde de notre Académie des Sciences.

   

Voilà tantôt cinq années que M. Courtonne travaille à sa découverte, et il ne se soucie pas d'être lésé dans ses droits par M. Edison, lequel a, du reste, bien d'autres titres glorieux à son actif.

   

Voici suivant les explications mêmes de M. Courtonne, en quoi consiste le téléphote : c'est un appareil qui consiste à transporter la vue à distance : il ne s'agit pas naturellement d'un télescope, ce qui n'offrirait rien de bien original comme découverte ; le rayon visuel sera simplement transporté à l'endroit qu'on désirera contempler par des fils électriques qui y seront attachés ; ainsi Marseille relié à Paris par ces fils, on pourra, pour ainsi dire, transporter ses yeux sur la Cannebière et suivre sans effort tout ce qui se passera sur ce point.

M. Courtonne avoue, du reste, qu'il n'a pas encore fait d'expérience à une si grande distance que celle qui sépare Marseille de Paris, mais qu'il a déjà étendu son rayon d'action jusqu'à 200 kilomètres environ et qu'avant trois mois il s'engage à avoir résolu le système pour des distances bien plus considérables.

 

Edison, qui n'ignore pas les travaux de M. Courtonne a écrit à son jeune confrère pour lui annoncer son arrivée et lui demander une entrevue ; il y aura je pense d'indicible émotion lorsque ces deux savants se communiqueront leurs recherches et examineront ensemble si ils ont abouti au même résultat par des moyens différents ou bien si il y a entre le produit de leurs travaux une coïncidence toute fortuite. Dans quinze jours le monde savant sera fixé sur cette passionnante question.

   

On peut dire que le jour où cette invention aura reçu une application officielle (et que l'on a tout lieu de penser que l'entrevue de MM. Edison et Courtonne accéllerrera ce résultat), il se produira à coup sûr un bouleversement profond dans la vie humaine, dont l'industrie, la stratégie, la presse et tout ce qui joue un rôle dans le grand mécanisme humain tireront un profit inestimable.

  

On croit rêver quand on pense qu'un jour les yeux planteront-là le corps humain et s'en iront voyager "incognito" sur les points du territoire qu'on leur ordonnera d'explorer.

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