L'étude de Jules Antoine Lissajous sur l'analyse optique des mouvements vibratoires (1857) à l'origine de l'analyse par miroirs oscillants
Diapason avec miroirs de Lissajous (en B).
(Jamin, Cours de physique de l'Ecole polytechnique, 1859
Jules Antoine Lissajous (1822-1880)
Jules Antoine Lissajous (1822-1880) est un physicien français célèbre notamment pour ses études sur les ondes sonores. Dans son fameux Mémoire sur l’étude optique des mouvements vibratoires, il élabore une méthode de visualisation des mouvements oscillatoires des corps vivants. Comme il l'explique en préambule, cette idée lui est venue en observant l'efficacité pédagogique du recours, pour les cours d'optique, à la projection de planches par pratiquée par son collègue Paul Desains en utilisant les appareils mis au point par Jules Dubosq. A l'époque, les figures acoustiques de Chladni et le kalédiophone de Wheastone étaient pratiquement les seules représentations visuelles des phénomènes vibratoires.
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Une méthode d'observation des mouvements vibratoires des ondes acoustiques
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Pour obtenir les représentations graphiques des vibrations, Lissajous fixe un miroir à l'extrémité d'une des branches d'un diapason, sur la face convexe (Fig.1 Planche 1 de Lissajous et fig. 458 de Jamin). Il est alors possible d'observer directement les vibrations, soit en reocurant à la lumière d'une bougie, soit par projections vers les miroirs obtenues en orientant un faisceau lumineux vers eux. Cette methode lui permet d'élaborer un catalogue de courbes répertoriés dans une large planche en annexe de son article.
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La transposition de la méthode pour l'analyse de l'image en vue de sa transmission (Maurice Leblanc, 1880) et la méthode des miroirs oscillants
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Lissajous ne se doutait probablement pas que sa méthode, conçue pour les besoins de l'acoustique, allait être transposée dans le domaine de l'optique pour analyser les vibrations lumineuses. C'est moins de six mois après sa mort que, le 1er décembre 1880, un ancien élève de l'Ecole polytechnique, Maurice Leblanc, publie un article "Transmission électrique des perceptions lumineuses" qui est inspiré de la méthode de Lissajous. Leblanc n'explicite pas vraiment cette référence, mais elle sera désignée par Jules Armengaud dans sa conférence sur le photophone de Graham Bell (16 novembre 1880), par Lazare Weiller dans son article sur la vision à distance (1889) et par Emile Desbeaux dans sa Physique populaire (1891). La méthode Lissajous a ainsi ouvert la voie à la méthode d'analyse de l'image par miroirs vibrants, qui sera explorée par divers inventeurs dont les plus célèbres sont Jan Szczepanik (1897) et Georges Rignoux, qui utilise des diapasons dans ses deux premiers brevets (1906). Bien que spécialiste de l'acoustique, Lissajous est ainsi celui qui ouvrira la voie à ce que certains auteurs appelent l'"analyse harmonique de l'image".
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Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les fabricants d'instruments se sont ingéniés à inventer des dispositifs de démonstration permettant de générer des figures de Lissajous, en utilisant soit des diapasons, comme le faisait Lissajous, soit des paires de pendules oscillant dans des plans différents, qui, s'ils étaient attachés à des crayons, produisaient des motifs Lissajous complexes sur papier. C'est dans ce contexte que les électrciens anglais Ayrton et Perry ont proposé en 1878 la notion d'art cinématique. Avec l'invention du tube cathodique au début du XXe siècle, ces dispositifs de démonstration ingénieux ont disparu, mais les "courbes Lissajous" restent une référence de l'oscillographie électronique. .
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Illustratin in Amédée GUILLEMIN, Le son : notions d'acoustique physique et musicale, 1875
J. JAMIN, "Etude optique des mouvements vibratoires", in J. JAMIN, Cours de physique de l'Ecole polytechnique, Mallet-Bachelier, 1859, pp.525-529
Téléphote avec diapason de Lissajoux. Illustratin in Emile DESBEAUX, Physique populaire, 1891.
Diapasons avec miroirs dans le brevet FR382535 de Georges Rignoux (1906)
Les tentatives de télégraphie optique pendant le Siège de Paris (1870)
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Lissajous ne fut pas seulement un théoricien. Durant le Siège de Paris (1870), il imagina un système de télégraphie optique qui aurait permis de communiquer avec la province. Victor Meunier a raconté comment le départ retardé du ballon La bataille de Paris ne permit pas à Lissajous et à son collègue Vincent Hioux de rendre son système opérationnel, mais fut néanmoins à l'origine d'expériences menées à Bordeaux. (voir quelques articles de presse de l'époque réunis ici)
Figures de la planche 1 accompagnant l'article de Lissajous.
La planche 2 accompagnant l'article de Lissajous.
La méthode de Lissajous dans J. TYNSDALL, Sounds, 1867
La méthode de Lissajous dans J. TYNSDALL, Le Son (traduction par l'Abbé Moigno), 1869
Extrait de Jules Antoine LISSAJOUS "Mémoire sur l’étude optique des mouvements vibratoires", in : Annales de Chimie et de Physique, troisième série, tome 51, pages 147-231, Paris, 1857,
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​"J'ai d'abord opéré avec des diapasons, ce petit appareil étant de tous les corps vibrants celui qui est le plus commode à manier; ce n'était du reste que l'application particulière d'un principe dont la généralité ressortira nettement de ce qui va suivre.
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Pour rendre visible, soit directement, soit par projection, le mouvement vibratoire d'un diapason, je fixe à l'exrémité d'une des branches sur la face convexe, fig. 1, Pl. 1, un petit miroir plan en métal M. (...) Je regarde dans ce miroir l'image réfléchie d'une bougie placée à quelques mètres de distance ; puis je fais vibrer le diapason : je vois aussitôt l'image s'élargir dans le sens de la longueur des branches : si je fais alors tourner le diapason autour de son axe, l'apparence change, et j'aperçois dans le miroir une ligne brillante et sinueuse, dont les ondulations accusent par leur forme même l'amplitude plus ou moins grande du mouvement vibratoire.
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Si l'on veut agir par projection dans une chambre obscure , on fait tomber sur le miroir un faisceau de lumière solaire, le rayon réfléchi donne sur la muraille ou sur un écran une trace qui s'élargit dans le sens des vibrations dès que l'on ébranle le diapason, et qui se transforme en une ligne sinueuse dès que l'on fait tourner le diapason autour de son axe.
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Le même procédé s'applique à des corps vibrants qui, par leur poids et leur disposition, ne se prêtent pas aisément à un déplacement rapide ; il suffit en effet, au lieu de faire tourner le corps, de recevoi r le rayon réfléchi par le premier miroir sur un second miroir que l'on fait tourner plus ou moins vite autour d'un axe à la fois perpendiculaire à la direction moyenne du rayon réfléchi, et situé dans le plan même où ce rayon exécute ses vibrations; on voit ainsi, soit directement dans le miroir mobile, soit par projection sur un écran , la ligne sinueuse qui démontre l'existence du mouvement vibratoire.
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Si l'on veut rendre le phénonème plus net et plus brillant, on emploie les dispositions suivantes : 1°. Par vision directe. — On prend pour source de lumière une lampe entourée d'une cheminée opaque dans laquelle on a percé un petit trou, et l'on regarde le phénomène à l'aide d'une lunette que l'on a préalablement mise au point, de façon à voir nettement l'image réfléchie avant de donner aucun mouvement à l'appareil.
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Par projection. — On prend pour source de lumière le soleil ou la lumière électrique que l'on fait passer à travers un diaphragme étroit de forme circulaire O, fig. 2, on fait réfléchir sur les miroirs M et m le faisceau qui a traversé cette ouverture, puis on le fait passer à travers une lentille L (achromatique s'il est possible), que l'on place de façon à former sur l'écran EF une image 1 de l'ouverture aussi nette que possible.
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L'explication de ces divers phénomènes est des plus simple. Le pinceau de lumière réfléchi par le miroir doit osciller dès que le miroir oscille lui-même; l'extrémité de ce pinceau doit décrire dans l'œil ou sur l'écran une ligne droite H, fig. 3, dont les divers points restent illuminés pendant un certain temps, à cause de la persistance de la sensation dans l'oeil. Si la durée de la sensation est supérieure de beaucoup à la durée d'une oscillation complète, la ligne paraît éclairée dans toute son étendue d'une façon permanente, et elle est nécessairement plus lumineuse aux extrémités H et G, fige 4, où le mouvement de l'image est moins rapide, parce que la somme des ébranlements reçus par l'œil dans le même temps est plus considérable. Si l'on joint au mouvement oscillatoire du miroir un mouvement de rotation autour de son axe, alors l'extrémité du pinceau réfléchi trace une ligne sinueuse S, fig. 3, soit dans l'œil, soit sur l' écran.
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Les diverses parties de cette ligne deviennent successivement visibles, mais comme la sensation produite dans l'œil ne cesse pas immédiatement, cette ligne paraît illuminée dans une étendue qui dépend de la durée plus ou moins grande pendant laquelle la sensation persiste.
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Ce principe peut du reste être mis en jeu de beaucoup de manières différentes, qui se réduisent aux éléments suivants: donner par un moyen quelconque un vif éclat à l'un des points du corps vibrant, de façon que le mouvement de ce point se distingue nettement du mouvement des autres ; secondement combiner le mouvement oscillatoire du point avec un déplacement continu dirigé perpendiculairement à la direction des vibrations. C'est ainsi, par exemple, que l'on peut rendre visible la ligne sinueuse qui représente le mouvement oscillatoire, en déplaçant l'œil avec rapidité dans un sens perpendiculaire aux vibrations.
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Ces premières expériences ne sont en quelque sorte que les préliminaires de la méthode, le développement et l'application sous une autre forme d'idées déjà mises en œuvre dans d'autres appareils, notamment dans l'ingénieux kaléidophone de M. Wheastone. Je ne dois pas non plus dissimuler la part d'inspiration que j'ai due, lors de mes premières recherches, au souvenir de l'emploi des miroirs à rotation rapide, utilisés d'une façon si remarquable par MM. Wheastone, Arago, et en dernier lieu par M. Foucault.
A.L., 5 août 2024