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Une main affichée sur l'écran du système Termen de télévision. 'Source : Urvalov, 1990)

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Termen devant l'appareil émetteur   (Source : Ogonyok, 1926)

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Poste émetteur de Termen de 1925, avec tambour de miroirs (Source : Galeyev)

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Termen dans le laboratoire de l'Institut de Physique et technologies

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L'appareil de Termen avec ses deux disques à seize miroirs (Musée des Sciences et Technologies de Moscou, Photographie André Lange)

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L'appareil récepteur de l'apapreil de Termen et l'écran (1926) (Source : Ogoniok)

L'historiographie du rôle de L.S. Termen dans l'histoire de la télévision

La contribution de Termen dans le domaine de la télévision a été occultée dans l'historiographie russe dès les années 30. Cela peut s'expliquer par son départ pour l'Europe et les Etats-Unis, par des considérations politiques ou de rivalités entre chercheurs, mais aussi par le fait qu'elle a été rapidement considérée comme archaïque. Ami et premier biographe de Termen, le Professeur Bulat M. Galeyev a raconté comment, au début des années 80, le fait que Termen ait fait une démonstration de télévision alors que Lénine était encore vivant suscitait l'incrédulité. Termen lui montra ses propres archives, comprenant des photographies de l'appareil. Un article était bien paru en 1966 dans un ouvrage historique De l'histoire de l'énergie, de l'électronique et des communications, mais il reste peu connu. Alerté en 1963 par le Maréchal Boudieny, qui avait assisté aux démonstratoons en 1927, un journaliste de la télévision russe A. Roklin publia un article "La quatrième variante" dans le magazine Radio en 1984 qui est la première enquête sur le sujet. Le premier historien de la télévision qui réinstalla Termen parmi les inventeurs russes est probablement V.A. Urvalov dans ses Essais sur l'histoire de la télévision (1990). En 2018, N.A. Borisova, chercheuse au Musée central des communications A.S. Popov de Saint-Petersbourg présente les travaux de Termen dans son article sur les travaux russes en matière de télévision dans les années 20. 

 

En dehors de Russie, la contribution de Termen en matière de télévision, pourtant remarquable,  est moins connue que son invention du thérémine. Même les historiens de la télévision aussi bien informés qu'Albert Abramson ou Richard Burns semblent avoir ignoré cette contribution. George Shiers, dans sa bibliographie de référence, ne mentionne qu'un article du magazine américain Popular Radio,  paru en septembre 1927, inspiré par un article paru en janvier de la même année dans un magazine russe de radio amateurs Радиолюбитель (Radio Lubitel). Shiers ne semble pas avoir eu connaissance de la thèse que Termen a consacré à la vision à distance en 1921, ni des démonstrations de son appareil, décrites dans l'article "Vous pouvez voir à travers les murs", paru le 21 novembre 1926 dans le magazine culturel Ogonyok. Ce sont les biographies que lui ont consacré Bulat M. Galeyev (1991, 1995, 2010) et Albert Glinksy (2000) qui vont permettre sa réinsertion progressive, mais c'est évidemment le thérémine qui retient surtout l'attention dans leurs publications. Des articles plus récents (Roklin, 2000; Borisova, 2018) ont replacé l'apport de Termen dans l'histoire de la recherche sur la télévision en Russie, 

 

Cependant, rares sont les travaux occidentaux relatifs à l'histoire de la télévision parus depuis le début du siècle qui mentionnent Termen (Lange, 2006, Magoun, 2007, Marshall, 2011, Levrier 2018). 

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Schémas de l'apapreeil de Termen décrit dans l'article de Radio Lubitel, janvier 1927

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Schéma par R.S. Saifulin

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"Journaux du futur". Dessin de S.P. Ladygin représentant une démonstration sur l'écran d'accueil d'un vol dans l'espace interplanétaire. Illustration de l'article de V. Lvov sur l'appareil de télévision de Lev Termen, Ogoniok, 21 novembre 1926

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Dessin inclus dans l'article de Radio Lubitel

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Popular Wireless ( Grande-Bretagne,

September 1922)

La scène de la silhouette de la main sur un écran neiheux de télévision dans le Prénom Carmen (1983) de Jean-Liuc Godard est-elle un hommage à Lev Tezrmen ? La connaissance de l'histoire des images de l'ancien animateur du Groupe Dziga Vertov est telle que l'on ne peut rien exclure.

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Kliment Voroshilov sur la couveture du magazine Радио Всем La Radio pour tous, avril 1926

La scène du miroir magique dans Aélita (URSS, 1924) de Yakov Protozanov 

"A New Russian 'Televisor" Enters the Field, Popular Science, September 1927. 

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Les travaux de Lev Termen sur la télévision (1921-1930)

 

Une contribution longtemps occultée
 

L'ingénieur russe Lev Termen (mieux connu en Europe et aux Etats-Unis sous son nom de Léon Theremin)  est surtout célèbre pour l'invention  du premier instrument de musique électronique, éthérophone ou thérémine, et pour sa longue vie romanesque, qui lui a permis de rencontrer Lénine, de se produire dans les grandes salles de concert en Europe et aux Etats-Unis, de connaître le Goulag et de collaborer avec le KGB avant de devenir une icône de la musique expérimentale. (Voir sur ce site la note biographique)

Les travaux de Lev Termen  sur la télévison à l'Institut de sciences et technologies de Petrograd

 

Selon les souvenirs de Termen ("воспоминания"), c'est Abraham Ioffe, le directeur de l'Institut des sciences et des technologies, qui 'a incité  à travailler sur la vision à distance par l'électricité. "Au cours d'une de nos conversations, Ioffe a mentionné qu'il y avait un problème très intéressant, mais que nous n'étions probablement pas encore prêts à le résoudre. Il s'agissait de la vision à  distance - la possibilité de voir à une grande distance, sans transmettre des images stationnaires, mais des sujets et des personnes en mouvement comme si vous les voyiez de vos propres yeux." Ioffe a appelé la science embryonnaire de la télévision дальновидение (dal'novideniye) "vision à distance", d'après l'expression distant electric vision, une terminologie pour la télévision inventée par A. A. Campbell Swinton dans un lettre de 1908 à la revue Nature. Le terme дальновидение avait diverses acceptions:  clairvoyance, presbytie, prospective.

 

Au début des années 20, ce sujet figurait dans le plan du laboratoire d'oscillations électriques de l'Institut de physique et de technologie, donc tout un groupe d'employés de ce laboratoire, notamment E.P., Butyrine et V.F. Litvinov. ont travaillé à la création d'un système de télévision en collaboration avec l'inventeur. Dans un premier temps, ils ont étudié les projets de systèmes de télévision créés avant eux. Une liste de littérature nationale et étrangère a été conservée,  comprenait déjà à ce stade initial près de 250 titres. Cela n'a rien d('étonnant quand on connaît les capacités de veille des chercheurs russes, qu'avait illustrée la communication de Constantin Perskyi au Congrès pan-russe de l'éléctricité en 1899, qu'il avait reprise lors de sa communication au Congrès international de l'électricité à Paris en août 1900. Le sujet n'était pas neuf en Russie et avait déjà été traité par Bachmetiev, Wolfke, Polumordvinov, Rosing et le jeune Zworykin avant son départ pour les Etats-Unis. Outre Rosing et Zworykin, selon V.S. Novakosky plusieurs autres chercheurs russes travaillaient déjà sur l'hypothèse de la télévision électronique dans la lignée de ce qu'avait proposée A.A.C. Swinton.. 

 

La proposition de Ioffe a enchanté Termen, car lui-même était intéressé par ce sujet mais n'osait pas le dire "Ces mots ont été pour moi comme un coup dans le mille. J'avais longtemps rêvé de consacrer mon temps à résoudre ce problème, mais j'avais peur d'en parler à l'Institut car j'étais déjà occupé par l'électromusique, la signalisation et les appareils de mesure. . J'ai probablement rougi et Abram Fedorovich l'a remarqué."

 

Selon Roklin, "En 1921, Lev Sergeevich,  a présenté un rapport comprenant une revue de la littérature et une analyse de la situation sur la vision à distance lors d'un séminaire à l'Institut de physique et de technologie. Un an plus tard, il a prononcé une communication sur le même sujet à la section de Petrograd de la Société russe des ingénieurs radio. À peu près au même moment, un plan a été élaboré pour créer sa propre conception « d'installation » (Установка), l'ordre des travaux a été déterminé et le personnel du laboratoire d'oscillations électriques a été élargi. En 1923-1924, malgré le fait que Theremin devait être constamment distrait par d'autres inventions lui et ses assistants réussirent à développer et à tester des composants individuels du futur appareil. Ainsi, l'employé de laboratoire A.N. Boyko a produit une cellule photoélectrique spéciale au sélénium avec une très grande uniformité de surface, ce qui était extrêmement important pour améliorer la qualité de l'image. Avec V.I. Kovalenkov , en 1924, Termen soumit une demande originale pour une méthode de focalisation d'image en spirale. Il est difficile d'imaginer combien de temps les travaux sur «l'installation » auraient continué si l'académicien A.F. Ioffe n'avait pas suggéré que Lev Sergueïevitch prenne ce sujet comme thèse. Ainsi, à partir du milieu de 1925, cette invention, en plus de rester au niveau du laboratoire, devint également l’œuvre personnelle de l’étudiant diplômé Termen".

 

Dans son rapport de 1921, Termen avait réuni une cinquantaine d'articles et de brevets sur le sujet de la vision à distance. Cependant, en 1921, lorsqu'il commença sa thèse, peu de progrès avaient été réalisés dans le domaine de la télévision électronique et l'hypothèse de la télévision mécanique était encore dominante, marquée par les propositions du disque de Nipkow (1884) et de roue à miroirs de Lazare Weiller (1889). Comme le documente Glinsky, les travaux de Termen sur la vision à distance ont été retardé par des missions qu'il a du accomplir à Berlin pour faire breveter ses autres inventions (un appareil de signalement et le 'Termenvox".),

C'est en 1924 que Termen a commencé à expérimenter et à développer son propre système. Comme le raconte Albert Glinsky, "Au début de 1925, il teste des composants de systèmes séparés basés sur des principes connus. À partir de ceux-ci, il espérait assembler un projet original pour un téléviseur fonctionnel. Plusieurs de ses collègues l'ont aidé : son beau-frère, Alexander Constantinov — plus tard spécialiste de la télévision — et A. N. Boiko, qui a conçu une cellule photo au sélénium ultrasensible acceptant un rayon de lumière numérisé, pour augmenter la qualité de l'image. image. En cours de route, Lev et un autre collègue, V. E. Kovalenkov, ont acquis un brevet russe pour une « méthode de focalisation d'image en spirale ». Les pièces étaient difficiles à trouver. Lev parcourait le marché Alexandre de Leningrad à la recherche de composants radio bon marché ou se rendait jusqu'à Moscou au marché Suharevka – une sorte de marché aux puces et de marché noir, où les gens vendaient et faisaient du commerce."

Il a pu aussi à ce moment prendre connaissance du livre de l'inventeur hongrois Dionys von Mihály, Das elektrische Fernsehen und das Telehor, paru en 1923 et probablement l'état de l'art le plus complet à l'époque, traduit en russe en 1925.

Le journaliste A.M. Roklin a élé le premier à établir qu'entre 1925 et 1927, Termen a construit quatre versions de son appareil, mais il n'est pas clair pour moi s'il inclut ou non dans ces quatre versions l'appareil avec tambour de miroirs que l'on peut voir sur une des photos publiées par Gamatyev, et que Termen lui-même lui avait procuré.

 

Ce qui est évident, c'est que Termen a abandonné le tambour de miroirs et a imaginé un disque à miroirs, qui comme le suggère Uralov, une sorte de synthèse entre le recours au disque proposé par Nipkow et le tambour de miroirs de Weiller, qui avait inspiré Rosing. Un appareil de ce type, identifié comme étant de Termen, et daté "1926", est conservé au Musée des Sciences et des Technologies de Moscou, et j'ai pu le photographier en 2009, 

 

La première version, créée fin 1925, était conçue pour la décomposition d'images en seize lignes. Selon Roklin, des expériences ont montré qu'avec l'aide de cet appareil, il était possible de voir sur l'écran le visage d'une personne parlant au téléphone. Si une personne se tenait de profil devant l'appareil émetteur, il était même possible de voir les expressions faciales de son visage. Cependant, il était impossible de reconnaître la personne sur l’écran avec une telle qualité d’image.

La démonstration du 7 juin 1926

 

Selon Roklin, Theremin a ensuite proposé une deuxième option, dans laquelle il utilisait le balayage entrelacé, qui permettait d'obtenir une image sur l'écran avec une décomposition de 32 lignes. Et finalement, au printemps 1926, une troisième option fut développée - c'est elle qui servit de base à la thèse. Dans celui-ci, l'inventeur a installé deux roues à miroirs dans l'émetteur et le récepteur. Cet appareil a été conçu pour le balayage entrelacé de 32 et 64 lignes, tandis que l'image n'était pas reçue directement par le récepteur, mais était projetée sur un écran carré spécial mesurant 150 x 150 cm.

Au printemps 1926, écrit Glinsky, Termen peaufine son appareil. Mais il propose une version un peu différente, le balayage entrelacé n'apparaissant que dans la trosième version : "Une deuxième version expérimentale avait une résolution de trente-deux lignes. Dans une troisième adaptation, il a essayé le balayage entrelacé et a poussé la résolution jusqu'à soixante-quatre lignes. Ce sera la base de sa soutenance de diplôme, qui approche (...).

Galayev, quant à lui, parle d'une deuxième version en 100 lignes.

Selon N.A. Boudiane, qui a comparé les divers récits de Termen dans ls années 1980-1990, ceu contenaient des contradictions. Termen aurait également déclaré que le livree de Galayev contenait des erreurs. 

 

Quoi qu'il en soit, laissons Glinky continuer le récit : "Le 7 juin, il a soutenu sa thèse. Le mécanisme de vision électrique à distance, présentée dans la salle de réunion de l'Institut devant deux cents étudiants et professeurs du département de physique de l'Institut polytechnique Sur un écran de cinq pieds carrés, Lev a projeté des images transmises depuis un récepteur situé dans la pièce voisine. Un visage pourrait désormais être facilement reconnu si la personne ne faisait aucun mouvement brusque, et les mouvements d'une main agitant étaient clairement visibles sur l'écran de réception pratiquement au même moment où ils se produisaient. Comparées à la technologie cinématographique, les images semblaient légèrement floues, mais la transmission quasi instantanée était révolutionnaire."

 

L'événément n'est pas passé inaperçu.  Ioffe a écrit, semble-t-il dans la Pravda, "La découverte du L. S. Termen est énorme et d’envergure paneuropéenne ! Je souligne particulièrement le travail extraordinaire réalisé par L. S. Terpen, qui a minutieusement testé chaque détail de son invention et l'a achevée en six mois. La meilleure preuve du succès de l'appareil construit est l'expérience de démonstration de L. S. Termen, qu'il a effectuée dans l'auditorium de notre Institut de physique. Nous avons vu sur l'écran le mouvement d'une main humaine, pendant qu'il se produisait au même instant derrière le mur de la pièce voisine !  "

Dans ses souvenirs, Termen écrit : "Ioffe m'a recommandé de poursuivre ce travail, pas seulement pour des applications cinématographiques, mais pour des tâches spéciales - pour la recherche sous-marine ou pour des conditions dans lesquelles la présence d'une personne serait dangereuse ou indésirable." 

Selon Urvalov, des chercheurs de l'Institut de physique et de technologie, A.P. Konstantinov, A.N. Boyko et d'autres ont participé à l'amélioration de l'appareil de Termen. Le laboratoire était souvent visité par les correspondants des journaux et du magazine Ogoniok

Les propos élogieux de Ioffre, probablement publiés dans la Pravda, sont cités en exergue de l'article de Vladimir Lvov "Vous pouvez voir à travers les murs" paru le 21 novembre 1926 dans le magazine cultiurel Ogoniok et qui est un des rares récits disponibles sur la démonstration du 7 juin. Lvov commence par expliquer la différence entre téléphotographie et vision à distance. Il décrit la démonstration et son article est illustré par une photographie de Termen posant devant l'appareil émetteur, la main devant un fond blanc. Cette main est probablement la même que celle qui apparaît à l'écran dont Urvalov et la couverture de Radio Lubitel nous fournissent les images.  Lorsque les rideaux impénétrables furent baissés dans la salle spacieuse et à moitié vide, le petit écran brillait d'une vive lueur verte... Le mouvement qui se déroulait derrière le mur principal blanc apparaît également sur l'écran.

Description de l'appareil

Lvov nous propose une description de l'appareil, dont nous proposons un essai de traduction en français. 

Afin de "voir à distance" l'image complète d'un objet éclairé, il est nécessaire de transmettre par parties la lumière diffusée par la surface d'un tel objet. La surface de l'objet est en quelque sorte tracée selon une grille régulière, plus ou moins fine, de petits carrés, sections de cette surface. Une lumière plus ou moins brillante jaillit de chacun de ces carrés, et les surfaces des objets sont examinées et perçues optiquement. Ils apparaissent uniquement sous la forme d’une combinaison de points de lumière et d’ombre – normaux et blancs. Le cœur du dispositif d'envoi de points d'images est ce qu'on appelle l'analyse (развертка), Il s'agit d'un disque en bois ou en métal placé devant l'objet et équipé d'une série de petits miroirs montés sur le disque dans un certain ordre. Les miroirs sont disposés de manière à ce qu'en tournant, à chaque instant, un miroir du disque capte et reflète des "lapins" (зайчиков) - un élément, un faisceau de lumière émanant d'un grain (parcelle) d'une surface éclairée. L'accès au reste du monde est empêché par la délimitation de l'analyse. Le miroir « découpe » ainsi, de toute l'image visible de l'objet transmis, une seule partie, un carré de cette image, réfléchie par tous les carrés de la surface. La prochaine étape de la transmission de l'image dans l'appareil Termen est la conversion de la lumière en courant électrique

À cette fin, ce que l'on appelle le « photo-élément » est basé sur la propriété des métaux (par exemple le tungstène) d'envoyer des électrons (электроны) sous l'influence de la lumière incidente sur ces métaux. Plus la lumière est brillante, plus les électrons sortent du métal, c'est-à-dire plus le courant électrique qui apparaît dans le circuit «photocellule » est fort. Le jeu des courants est ensuite amplifié à l'aide de moyens d'amplification classiques acceptés en ingénierie radio (tubes cathodiques, etc.) et envoyé plus loin dans l'espace, par tous les moyens : par fil ou par radio. La partie électro-amplificateur se termine par l'émetteur teléoptique (телсоптичсский)  de Termen. Une technologie expérimentée et puissante entre en jeu. Plus ce dernier moyen est puissant, plus l'image d'un objet peut être envoyée loin. Dans l'appareil récepteur, toutes les transformations sont effectuées dans l'ordre inverse.

Un récepteur radio convertit les ondes électromagnétiques en une série de courants électriques ordinaires (directs) de différentes intensités. Les courants traversant une ampoule font varier la luminosité de son éclairage ; cette ampoule reproduit pour nous dans le dispositif récepteur toute cette séquence ("carrousel") de lumière des « lapins », qui, dans un seul instant, sont exécutés dans un appareil d'empoisonnement (??? отравительном), séparé par des centaines ou des milliers de kilomètres.  

Enfin, nous arrivons à l'analyse, réalisée en stricte conformité avec l'"analyse venéneuse", les faisceaux lumineux (« lapins ») sont projetés dans l'ordre inverse directement sur l'écran, puis se déplient. sur le plan de l'écran selon un parfait motif en damier, dans lequel ils ont été arrachés et découpés dans le flux lumineux réfléchi par l'objet transmis.

Sur l’écran, nous obtenons ainsi un « réseau de points (carrés) blancs et noirs plus ou moins obscurcis – nous obtiendrons toute la combinaison d’éblouissement de lumière et d’ombre, qui constitue l’image de tout objet visible.

L'observateur ne verra pas les carrés ni ne verra les grilles sur l'écran pour la même raison qu'il ne voit pas les grilles sur les illustrations imprimées dans les journaux. La reproduction, comme on le sait, consiste à transférer sur du papier zet avec une fine grille de points sombres et clairs. Vu d'une distance normale, à laquelle l'œil se trouve de la feuille de journal, la grille se fond en une seule image continue : la même chose se produit lorsque l'on regarde l'écran de réception de l'appareil de Termen. En revanche, une période de 0 seconde pendant laquelle tous les éléments constitutifs de la grille (les 1000 carrés de notre exemple) parviennent à sauter sur l'écran - cette période garantit la fusion à nos yeux des impressions individuelles de chaque case (elles sautent à travers l'écran toutes les 0,00 0 fractions de seconde) dans une impression continue. Comme on le sait, le principe du cinéma repose sur cette période de temps physiologique : m seconde.

Certains points de la traduction demandent certainement à être précisés, en particulier cette notion d'empoisonnement et d'analyse vénéneuse, dont nous comprenons mal la métaphore. Si, comme le note Urvalov, le disque à miroirs utilisé pour l'analyse fait se rencontrer le disque de Nipkow et la roue à miroirs de Weiller, le système de Termen, d'après ce que nous comprenons, ne fait plus référence aux cellules au sélénium, mais plutôt à des cellules photo-éléctriques au tungstène. Le texte utilise également la notion d'électrons, que bien entendu Nipkow et Weiller n'utilsaient pas. On notera également une notion matricielle de l'image (l'image étant reconstituée en damier déléments carrés) et le recours au tube cathodique pôur l'amplification, probablement inspirée par le tube de Lee de Forest utilisé en T.S.F., et qui converge avec un idée de Baird. Par contre Termen n'utilise pas le tube cathodique pour l'affichage comme Rosing l'avait suggéré dès 1907.

La télévision conçue comme un produit de masse

Les dessins qui illustrent les articles d'Oginiok et de Radio Lubitel nous indiquent les deux utilisations principales que concevaient Ioffe et Termen pour un appareil de vision à distance :  l'information, symbolisée par le spectacle d'une fusée au départ, et la visiophonie, illustrée par une scène d'adultère dévoilé. En cela leur démarche s'inscrivait dans la parfaite continuité des recherches menées depuis la fin du XIXe siècle, où la vision à distance a été le plus souvent conçue comme un complément de la téléphonie, et, plus rarement, comme possibilité d'assister au spectacle de l'actualité.. Les risques d'intrusion de la télévision dans la sphère familiale et la surveillance conjugale était un topique commun aux Etats-Unis, à l'Europe et, on le voit ici, à la Russie.

 

La conclusion de l'article d'Oginiok confirme que c'est bien une utilisation massive qui était imaginée : "La production en masse de récepteurs téléoptiques sophistiqués et bon marché permettra à des centaines de millions de personnes de voir à distance".

Ogioniok n'était, en 1926, pas la publication la plus radicale de l'Union soviétique, mais cette conception de la télévision comme moyen de communication accessible aux masses n'était pas tellement différente de celle formulée l'année précédente par Dziga Vertov dans son texte "Le Radio Oeil", publié dans la Pravada le 16 juillet 1925 : "Nous nous préparons intensément à donner aux prolétaires de tous les pays la possibilité de voir et d'entendre le monde entier d'une manière organisée, de se voir, de s'entendre et de se comprendre mutuellement"

 

Que grâce à une "installation de vision à distance", la télévision et visiophonie puissent devenir des moyens de communication pour des millions de citoyens n'était cependant pas l'idée que l'état-major de l'Armée rouge se faisait de l'appareil qui venait de naître,

Une nouvelle présentation le 16 décembre 1926

Le 16 décembre 1926, Lev a présenté son appareil de vision à distance devant le Vème Congrès des physiciens à Moscou. Les réactions de l'éminente assemblée ont été résumées par Boris Rosing, connu pour sa prudence dans ses appréciations. Dans une déclaration publiée dans les Izvestia du 29 décembre, il écrit : « Grâce au talent expérimental de l'ingénieur Termen dans le domaine de la téléscopie électrique basée sur le processus mécanique, l'électrotechnique russe a remporté une victoire partielle presque simultanément avec les expérimentateurs étrangers Baird, Jenkins, et d'autres". 

Selon Urvalov, De nombreux journaux et magazines ont répondu à cette manifestation. C'est probablement cette démonstration qui conduit à la publication de l'article de Ginzburg et Pulver dans le magazine Radio Lubitel de janvier 1927.

En 1930, faisant dans la revue Электричество  (Electricité)  le bilan des contributions russes en matière de recherche sur la télévision, Boris L. Rosing, qui était à l'époque le chercheur russe le plus expérimenté en matière de télévision conclut son article en évoquant la démonstration du 16 décembre 1926. Rosing a traduit lui-même cet article en français pour la Revue générale d'électricité : « Pour conclure, remarquons que dans ce domaine de la télévision électrique, grâce au talent d'expérmentation de l'ingénieur Termen, la science électrotechnique russe a remporté une victoire partielle, presque en même temps que les expérimentateurs étrangers Baird, Jenkins, Ives, etc.

 

A la conférence générale des physiciens de l'Union des Républiques socialistes soviétiques à Moscou en 1926, Termin fit la démonstration de la transmission d'images mouvantes avec des disques de Nipkow, d'après un procédé quelque peu modifié. On a transmis à une légère distance, du laboratoire voisin à la salle de conférence, sur un petit écran, l'image de divers objets en mouvement, composé d'un nombre suffisant de points". Si l'on en croit la version russe citée par Uravlov, les images étaient celles "d'un marteau en mouvement, d'un clown, etc.."

La photographie de la silhouette de la main à l'écran

Des démonstrations de Termen subsiste une photographie prise à l'écran : celle de la silhouette d'une main. Elle a été publiée dans le livre du Professeur Uravlov, Essais sur l'histoire de la télévision (1990), sans mention de source. Nous ne savons donc pas où cette photographie est conservée. Cette image de main rappelle celles, classiques, des images de mains qui ont circulé au moment de la découverte des rayons X, que Termen lui-même avait pratiquée. Sur la photographie de Termen devant son appareil de transmission, on le voit dresser la main. Et sur la couverture du numéro de Radio Lubitel de janvier 1927 annonçant la démonstration, ce sont deux silhouettes de main sur un lignage d'écran qui ont été choisies pour illustrer l'événement.

A propos de cette photographie, Don McLean, le grand spécialistes de John Logie Baird, nous a fait parvenir le commentaire suivant : 

 

"Une image des plus curieuses car elle ne montre aucune distorsion causée par sa transmission électrique. Soit Termen a créé un superbe amplificateur et récepteur, soit il s'agit d'une sortie optique du scanner mécanique. De telles images de silhouettes uniquement optiques ont été créées ailleurs (par exemple au Royaume-Uni, aux États-Unis), ceci dit sans donner de connotations négatives à cette réalisation. Les mains étaient un sujet courant pour la télévision basse définition - non seulement en raison de leurs contours reconnaissables, mais aussi en raison du puissant processus de reconnaissance humaine des mouvements naturels - et ici, la main est probablement le meilleur sujet qu'ils auraient pu utiliser pour la démonstration de silhouette. John L Baird a utilisé le mouvement de la main dans son appareil de démonstration à 8 lignes par image de 1924-25, au début de 1925, C'était en lumière réfléchie (toujours 8 lignes) et non en silhouette."

L'intérêt du pouvoir soviétique pour la télévision et le mystère de la quatrième version

 

Le pouvoir soviétique n'était pas indifférent à l'arrivée prévisble de la télévision. Déjà Léon Trotzki était intervenu le 1er mars 1926 devant le congrès des Amis de la radio et avait sévèrement critiqué les propos idéalistes de Marconi, qui avait déclaré que la télévision allait rendre les guerres impossibles dans la mesure où il serait possible d'oberver les manoeuvres de l'ennemi.

 

Selon Glinsky, "Au début de 1927, Lev fut convoqué au CTO (le soviet du travail et de la défense). La directive consistait à concevoir une unité spéciale de vision à distance pour la patrouille frontalière. L'appareil devait se conformer à un cahier des charges strict : il devait fonctionner à la lumière du jour, posséder une résolution suffisamment élevée pour identifier le visage d'un sujet et être capable de suivre la progression d'un objet en mouvement – ​​une tâche plutôt ardue compte tenu de l'état de la recherche sur la télévision."

Toujours selon Glinsky, "En juin 1927, la quatrième version secrète de la vision à distance était prête à être présentée devant les responsables du Kremlin. Le scanner à balayage miroir utilisé dans la troisième version satisfaisait aux exigences de télédiffusion à la lumière naturelle du jour. (La plupart des autres systèmes à l'époque ne fonctionnaient que lorsque le sujet était à l'intérieur, inondé d'une lumière artificielle délibérément vive.) Dans le nouveau système, Lev avait atteint une résolution de cent lignes - un record pour l'époque - permettant la reconnaissance claire d'un objet. visage, même lorsque la personne bouge.

Kliment Vorochilov, commissaire du peuple aux affaires militaires et navales – membre du cercle restreint de Staline – a dirigé la commission chargée de superviser le projet. Le premier test a été organisé dans son bureau devant Staline et quelques-uns de ses hauts gradés se sont réunis pour juger de son potentiel en tant que dispositif de surveillance. C'était une réunion olympienne : Mikhaïl Toukhatchevski, chef d'état-major de l'Armée rouge ; Semion Boudienny, inspecteur de la cavalerie – tous deux futurs maréchaux de l'Union soviétique – et Sergo Ordzhonikidze, un dirigeant bolchevik et futur membre du Politburo.

Le récepteur du système portable a été installé dans le bureau d'une secrétaire adjacente au bureau de Vorochilov afin que le commissaire puisse surveiller les visiteurs à l'approche du Kremlin. La caméra à balayage et transmission, installée à l'extérieur sur un trépied, était pivotée par un opérateur pour suivre les personnes traversant la cour. Les passants ont été suivis dans le champ de vision pendant tout leur déplacement dans la cour, à des distances allant de 100 à 160 pieds de la caméra. Le signal d’image était transmis sur une fréquence d’ondes courtes, mais une configuration filaire en circuit fermé était également possible.

C'était le deuxième triomphe de Lev au Kremlin en cinq ans. « Quelques jours plus tard, se souvient-il, Vorochilov m'a dit que Staline avait été impressionné par l'écran magique et lui a envoyé ses salutations. ». Vorochilov a gardé l'appareil dans son bureau pendant une courte période et, convaincu de ses mérites, il a ordonné à Lev d'organiser une configuration similaire en tant que sentinelle électronique pour les troupes patrouillant à la frontière. Après la livraison du système, les militaires des gardes-frontières ont été formés à son utilisation pendant plusieurs jours. Lev a été récompensé pour ses efforts par un coupon pour « un gros colis de nourriture », offert par le gouvernement.

Mais la télévision est immédiatement devenue top secrète. Tous les écrits et déclarations publiques sur la vision à distance de Lev ont cessé, et aucune donnée technique détaillée sur la « quatrième version » secrète n'a jamais été divulguée."

Le journaliste et historien de la télévision A. Roklin, qui a été un des premiers à s'intéresser aux démonstrations de Termen a raconté comment il en avait découvert l'existence lors d'un entre tien avec le Maréchal Boudienny en 1963. 

Je n’aurais probablement rien su de cette démonstration de télévision  s’il n’y avait pas eu un malheureux revers dans mon travail de journaliste de télévision. En tant qu'auteur du scénario, j'étais venu filmer une histoire dédiée au 80e anniversaire du maréchal S.M. Boudienny  et l'équipe de tournage étaient en retard. Nous avons donc bavardé. Lorsqu'on lui a demandé quand le maréchal avait fait sa première connaissance avec la télévision, il a répondu, à ma grande surprise, que c'était vers le milieu des années 20. J'ai essayé de corriger mon interlocuteur : vous voulez probablement dire au milieu des années 30. Mais Semion Mikhaïlovitch a insisté et a expliqué en détail quand et dans quelles circonstances il a vu pour la première fois l'image télévisée.

Cet appareil, a précisé le maréchal, était destiné aux troupes frontalières et était alors strictement classifié. Avant de l'envoyer à la frontière, il a été décidé d'installer l'appareil pendant un certain temps dans le bureau du commissaire du peuple à la défense, K.E. Vorochilov. L'émetteur a été placé dans la cour du bâtiment et la télévision dans la zone de réception. L'écran de cet appareil, a fait valoir Budyonny, était plus grand que celui des appareils actuels (la conversation a eu lieu en avril 1963), mais la clarté et la luminosité de l'image étaient bien pires.

Lorsque les ingénieurs ont débogué l'ensemble du système, le commissaire du peuple a invité Budyonny chez lui et ils ont commencé une sorte de jeu. Le technicien opérateur a pointé la caméra émettrice sur l'un des visiteurs qui traversaient la cour du Commissariat du Peuple, et ils ont essayé de deviner qui était affiché sur l'écran. Il n'était pas nécessaire de cacher l'émetteur, car personne ne savait rien de la télévision à cette époque et, par conséquent, les participants involontaires à ce programme ne soupçonnaient même pas le but de l'appareil devant eux. "Nous étions tellement excités", se souvient le maréchal, "qu'au début nous ne reconnaissions même pas les gens que nous connaissions bien. Mais cela n’a été le cas que dans les premières minutes, puis nous avons commencé à reconnaître presque sans équivoque qui était l’opérateur.» Vorochilov possédait cet appareil depuis plusieurs mois, donc Boudienny l'a vu en action à plusieurs reprises.

Roklin s'interroge sur cette "quatrième version", dont il ne reste aucune trace.

Cette quatrième version de « l’installation » constitue l’étape la plus importante du travail de Theremin dans le domaine de la télévision. Mais malheureusement, nous savons très peu de choses sur cet appareil et son sort. Il n’y a rien de surprenant ici. Premièrement, beaucoup de temps s'est écoulé depuis et, deuxièmement, le travail était destiné aux troupes frontalières. Il est donc tout à fait naturel que toute la documentation ait été strictement classifiée. Au moins pour Lev Sergueïevitch, un homme soigné et économe, il n'y avait aucune trace de cette version de « l'installation ». Beaucoup de choses restent floues dans sa biographie elle-même (il était notre agent secret aux États-Unis). Tout cela ne pouvait que laisser sa marque sur l’attitude envers les œuvres de Theremin. Ce n’est pas un hasard si pendant près de 30 ans le nom de l’inventeur n’a jamais été évoqué dans notre presse. J'ai essayé de poser la question à Lev Sergueïevitch lui-même, mais il a été catégorique, estimant qu'il serait contraire à l'éthique de donner des explications alors qu'il est impossible d'étayer votre histoire par des documents.

Entre-temps, même le peu que nous savons sur la quatrième version de « l'installation » indique que cette œuvre aurait pu jouer un rôle important dans l'histoire de la formation de la télévision nationale, si son destin n'avait pas été marqué par de nombreux moments différents qui n'avait rien à voir avec l'invention elle-même.

Alors que sait-on de cette œuvre ?

Tout d’abord, il a été achevé dans un délai inhabituellement court. Déjà en juin 1927 (soit six mois après avoir reçu la mission), Lev Sergueïevitch fut envoyé à une exposition musicale internationale à Francfort-sur-le-Main et passa ensuite de nombreuses années à l'étranger. Cependant, il serait également erroné de supposer que la quatrième version de « l’installation » a été achevée en six mois. Après tout, les cinq années précédentes avaient préparé le groupe de Theremin à ce travail.

Si au début l'objectif des auteurs était seulement d'obtenir au moins une image sur l'écran, de prouver en principe qu'il est possible de démontrer une image en mouvement à distance, alors le Conseil du Travail et de la Défense a posé des exigences strictes à l'" installation » : il fallait travailler à l’extérieur, à la lumière du jour. Les exigences en matière de qualité d’image ont également fortement augmenté. La mission stipulait spécifiquement que l'appareil devait être conçu pour une décomposition d'images en 100 lignes - c'était la seule chose que j'ai pu apprendre de Lev Sergeevich.

La mise en œuvre de toutes ces conditions a permis au groupe Termen d'être en avance sur son temps. Ainsi, si dans les appareils de télévision créés en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis au début des années 30, l'image était disposée en seulement 30 à 50 lignes, alors dans la quatrième version de « l'installation » de l'Institut polytechnique, le nombre de lignes était deux à trois fois plus grande.

De plus, le groupe Termen a été le premier au monde (en 1927) à créer une PTS (station de télévision mobile) et le premier à construire un émetteur capable de surveiller l'objet de transmission. (En effet, dans la cour du Commissariat du Peuple à la Défense, les visiteurs de K.E. Vorochilov se trouvaient dans le champ de vision de la caméra de télévision pendant tout le temps où ils traversaient la cour - environ 30 mètres.)

J'aimerais croire que cette version de « l'installation » n'est pas complètement perdue pour l'histoire de la science et de la technologie, qu'au fil du temps, les dessins de ce projet seront retrouvés, et peut-être que « l'installation » elle-même sera retrouvée. Après tout, avec tout le secret du travail, les avis d'experts, les rapports d'essais, les inscriptions dans les livres comptables, etc. doivent être conservés quelque part. J'espère qu'avec le temps, nous pourrons le voir de nos propres yeux dans l'un des musées. .

Dans le film de science-fiction Aélita (URSS, 1924) de Iakov Protozanov, adapté du roman d'Alexei Tostoï (1923)   le miroir magique que Gour, le maître de l'énergie a inventé pour le gouverneur de l'Etat martien Touskoub, et qui permet d'observer les Terriens, était lui aussi classé "secret défense".  

Un manque de confiance dans les chercheurs nationaux

Cherchant à comprendre pourquoi, malgré les capacités de chercheurs tels que Rosing et Termen la télévision ne s'est pas développée  plus avant en Russie dans les années 20, l'historienne N.A. Borisova écrit que le sort de Termen, parti à l'étranger et négligé à son retour "est  un exemple typique de ces années de myopie lors de l'évaluation des perspectives de nouveaux domaines technologiques et de la valeur de talents scientifiques et techniques personnels capables de faire plus que promouvoir les réalisations culturelles ou participer au travail d’intelligence humaine. La raison réside peut-être dans des qualifications insuffisantes des  décideurs, mais pas seulement. Depuis l'histoire de la radiodiffusion a montré que dans ces années-là l’industrie et les responsables gouvernementaux se concentraient sur les achats à l’étranger, et pas sur nos propres développements. Ils ne croyaient pas dans le potentiel des spécialistes nationaux ni dans la possibilité de se débarrasser de la dépendance étrangère en matière technique. Ceci est confirmé par l'histoire scandaleuse du premier contrat  soviétique avec l'étranger dans le domaine des télécommunications : en 1923 - un accord de coopération quinquennal entre l'Electrotechnical Trust les usines de courant faible et la Société Française de Radiotélégraphie.  B.L.Rosing n'a pas disposé dans les années 1920 du soutien de l’État. On peut supposer qu'en faisant confiance à Rosing en tant que consultant hautement qualifié, les leaders de l'industrie ne croyait pas à la mise en œuvre dans un avenir proche du concept de télévision électronique, à l'origine duquel Rosing se tenait et qu'il a toujours défendu".

 

Les efforts pour développer la télévision se sont améliorés  à;la fin des années 1920. A la fin des années 1920. Le premier laboratoire de télévision d'URSS a été organisé au sein du département radio de l'Institut électrotechnique de toute l'Union de Moscou (dirigé par P.V. Shmakov). Quelques mois plus tard, des unités scientifiques similaires ont été créées à Leningrad à l'usine radio du Komintern (dirigée par A.L. Mints), au Laboratoire central de radio (dirigé par V.A. Gurov) et au Laboratoire de physique et de technologie (dirigé par A.A. Chernyshev). Plus tard, des groupes scientifiques similaires ont été organisés à Tomsk, Odessa, à l'Institut de recherche sur les communications de Moscou et à l'usine radio de Leningrad Svetlana 


À la fin des années 1920 et au début des années 1930, près de la moitié des diplômés des départements d'ingénierie radio des universités soviétiques ont été mobilisés pour créer des équipements de télévision. À cette époque, est apparue en Union soviétique ce que l’on appelle la « télévision basse ligne », que les sceptiques appelaient «télévision ». L'écran du téléviseur était légèrement plus petit qu'une boîte d'allumettes ; il était difficile d'y voir les plans généraux, mais les radioamateurs pouvaient installer un tel téléviseur chez eux en achetant des disques en carton compacté dans les magasins de Moscou. Les développeurs de ce système reçoivent de nouveaux locaux et déménagent de l'Institut électrotechnique de toute l'Union à Nikolskaya,  - vers le bâtiment du centre de radiodiffusion. De là, dans le complexe créé par P.V. Chmakov, le 1er octobre 1931, les émissions ont commencé « sur la base d'un programme solide ». Cette date est considérée comme l'anniversaire de la diffusion télévisée nationale régulière avec balayage mécanique des images. L’image animée a été projetée en août 1932, l’image sonore en novembre 1934. (Frolov, 2018)

 

Une programmation régulière a commencé en 1934 et une usine de Leningrad a produit des récépteurs dénommés B-2. Il prenaient la forme d'une caisse en bois avec une toute petite fenêtre d’environ 3 à 4 cm. Cependant l'audience est restée très marginale. En 1940, il n'y avait que 400 postes de télévision installés en URSS. ("Narodnoe khozyaistvo SSSR, 1922-1972", Moscow, 1972, p. 314. cité in MICKIEWICZ, 1988).

Les recherches de Termen/Theremin sur la télévision aux Etats-Unis

Il ne semble pas que Termen ait évoqué ses activités de recherche sur la télévision lors de ses représentations du thérémine en Allemagne, à Paris et à Londres. Il est probable que les lecteurs qui ont lu l'article de Rosing en 1932 dans La Revue générale d'électricité évoquant la réussite de la démonstration de Termen n'ont pas réalisé que c'était le même homme que celui qu'ils avaient applaudi à la Salle Gaveau ou à l'Opéra en décembre 1927. La discrétion de Theremine peut s'xpliquer par le souci de focaliser l'attention sur l'instrument de musique mais aussi, probablement, par le "secret défense" édicté par Voroshilov. Cependant, dans la presse américaine, on trouve à partir du 25 janvier 1928 la mention de son appareil de télévision et, moins souvent de sa démonstration devant le Congrès des Physiciens (The Brooklyn Daily Eagle, 25.1.1928; The Meriden Daily Eagle, 25.1.1928 ; The York Dispatch, 25.1.1928,...). Cette mention provient probablement d'un choix délibéré de communication, car elle est assez systématiquement accompagnée dans la presse locale, de la même photo et du même dessin. 


En fait, son invention avait déjà fait l'objet d'un article dans un magazine américain, Popular science, qui en septembre 1927, avait repéré l'article paru dans le magazine Radio Lubitel en janvier. L'article comparait l'appareil de Termen avec celui de Ives et Gray, conçu au sein des Bell Laboratories, qui avait fait l'objet de la fameuse démonstration du 7 avril de la même année. L'article concluait qu'il y avait peu de chance que l'appareil russe surpasse l'appareil américain, mais que l'idée du recours au disques de miroirs était intéressante.

Albert Glinsky a reconstitué la tentative de Theremin de devenir un  des protagonistes de la télévision aux Etats-Unis en cette fin des années 20 où les propositions et démonstrations se multipliaient. Comme l'inventeur avait passé un contrat avec RCA en 1929 pour la commercialisation du thérémine, la porte était ouverte pour continuer ses recherches sur la télévision. Le 13 septembre 1929, RCA signait avec Theremin un contrat d'option avec exclusivité sur un prototype de télévision pour un montant de 20 000 dollars. Theremin promettait :

 

Une image grandeur nature constituée ou composée de 86 000 points. La projection sera simultanée à l'apparition de l'événement, incluant à la fois la vue et le son, différant ainsi de ce que l'on appelle la « télévision en boîte ». L’action ou l’événement original à transmettre ne nécessite qu’un éclairage extérieur normal ou son équivalent en lumière artificielle. Les images transmises seront projetées sur un écran d'images animées standard, de 10 pieds sur 15 pieds, avec l'intensité lumineuse habituelle d'une projection d'images animées, devant un public de 3 000 personnes ou dans une salle de cette capacité. La distance habituelle de l'écran pour la transmission sera accomplie par une onde courte de longueur définie, la distance de transmission étant la même que celle du son et présente sur la même longueur d'onde. (cité par Glinsky, p.98).

Malgré la concurrence d'autres inventeurs, en fait plus avancés que lui dans leurs expériences de télévision mécanique (Jenkins, Ives, Alexanderson), Theremin était confiant dans la possibilité de convaincre RCA avec ses propositions. Le 18 août 1930, il créait avec ses associés la Theremin Television Corporation. En fait, les modèles de télévision mécanique n'allaient pas résister à celui de la  télévision électronique, dont Philo Farnsworth était le pionnier malheureux aux Etats-Unis. C'est en définitive un ancien collaborateur de Rosing, Vladimir Zworykin, engagé par RCA, qui allait émerger comme le vainqueur de la course à l'invention. Le 30 octobre 1930, RCA informait Theremin qu'elle le libérait de l'obligation d'exclusivité, à condition que les 20 000 dollars soient rembourés. Cette annonce plongea Theremin et son équipe en plein désarroi et obligea l'inventeur à se tourner vers d'autres débouchés et à se spécialiser dans les applications de détection à distance. 

André Lange

25 juin 2024, mise à jour

3 juillet 2024

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Couverure du magazine Radio Lubitel, n.1, janvier 1927

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TLev Termen en 1926  (Source Radio Lubitel)

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Abram Ioffe (Source : Wikipedia)

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Aleksander Konstantinov, beau-frère et collaborateur de Lev Termen  Source : "Aux origines de la télévision (Konstantinov Alexandre Pavlovitch 1885-1937)",, Archives d'Etat de Samara.

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Traduction en russe de l'ouvrage de Dionysis von Mihaly, Das elektrische Fernsehen und das Telehor (1923), 1925

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Un des premiers articles de redécouverte des travaux de Termen sur la télévision de РОХЛИН А., "Четвертый вариант", Радио, 1984, №2., ROKLIN A., "La quatrième variante, Radio, 1984, n°2, 

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La première biographie de Lev Termen : GALEYEV Bulat M.,, Sovetskiĭ Faust : Lev Termen, pioner ėlektronnogo iskusstva, Kazanskai︠a︡ gos. konservatorii︠a︡, 1995

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Bulat M. Galeyev, Soviet Faust, 2010 (coll. A. Lange)

Si l'on en croit le Worldcat, l'ouvrage, édité en Australie, ne se trouve dans aucune bibliothèque publique européenne ! 

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Schémas de l'apapreeil de Termen décrit dans l'article de Radio Lubitel, janvier 1927

Bibliographie sur Lev Termen et la télévision

Publications d'époque

TERMEN, L.C., Le mécanisme de vision électrique à distance, Thèse, 1926. Selon N.A. Borisova La thèse a survécu jusqu'à ce jour. Lev Sergueïevitch a fait don de son original au Musée central des communications. A.S. Popov, et une photocopie au Musée polytechnique de Moscou la thèse est conservée du CMS.  ЦМС. ДФ. Ф. 8 (Телевидение). Оп. 1. Ед. хр. 317.

Львов, Влад. , "МОЖНО ВИДЕТЬ СКВОЗЬ СТЕНЫ",  Огонек, № 47, , 21.11.1926 Vlad. Lvov, «Vous pouvez voir à travers les murs »,  Ogonyok (n° 47),  21/11/1926

 

В. ГИНЗБУРГ,  В. . ПУЛЬВЕР "телевидение", Радиолюбитель, 1927, 1, 13-16 ; V. GINZBURG, V PULVER, "Télévision", Radio Lubitel, 1927, 1, 13-16

"A new Russian 'televisor' enters the field", Popular Radio, 12, September 1927.

Розинг Б. Л. Участие русских ученых в развитии идей электрической телескопи и / / Электричество. 1930. Юбил. номер. С. 47-57 ; ROSING B.L. Participation des scientifiques russes au développement d'idées électriques télescopes. Electricité. 1930. Jubilé. p. 47-57.  Traduction en français par Rosing : La participation des savants russes au développement de la télévision électrique", paru dans la revue Electrichestvo, mai 1930 et traduit dans la Revue générale d'électricité, 6 avril 1932.

TERMEN L.C., "воспоминания" in об А.Ф.Иоффевоспоминания об А.Ф.Иоффе (Vospominania in Vospominania ob A.F. Ioffe, Nauka, Leningrad, 1973. (Contribution de Termen à un recueil de souvenir sur A.F. Ioffe)

Article dans Izvestia, 29 décembre 1926

Travaux d'historiens

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GALEYEV, Bulat M.,, "L. S. Termen: Faustus of the Twentieth Century", Leonardo, 24,1991, pp.573-579

Галеев, Булат . Советский Фауст : Лев Термен, пионер электронного искусства, Казанская гос. консерватория,  1995 / GALEYEV Bulat M.,, Sovetskiĭ Faust : Lev Termen, pioner ėlektronnogo iskusstva, Kazanskai︠a︡ gos. konservatorii︠a︡, 1995

GALEYEV, Bulat M. Soviet Faust. Lev Theremin. Pioneer of Electronic Art, ETT Imprint, 2010

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Mikahail Toukhatchevski, (Source : Wikipedia)

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Semion Boudienny

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Sergo Ordzhonikidze

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Conclusion de l'article de B. Rosing (1930, 1932)

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A partir du 25 janvier 1928, un article standard, probablement issu d'une dépêche de presse inidique de Theremin est aussi un inventeur dans le domaine de la télévision. L'illustration (photographie et dessin en caméo) accompagne cet article dans nombre de quotidien locaux.

ici The Meriden Daily Journal, 25 January 1928.

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