"Télectroscope",
Les Mondes, Revue hebdomadaire des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie,
par M. l'Abbé Moigno.
Tome XLVIII, n°3, 16 janvier 1879, Paris.
Télectroscope
M. Senlecq, d'Ardres, a récemment soumis à l'examen de MM. du Moncel et Hallez d'Arros (1) un projet d'appareil destiné à reproduire télégraphiquement à distance les images obtenues dans la chambre noire.
Cet appareil serait basé sur cette propriété que possèderait le Sélénium d'offrir une résistance électrique variable et très sensible selon les différentes gradations de lumière.
L'appareil consisterait dans une chambre noire ordinaire contenant au foyer une glace dépolie et un système de transmission de télégraphe autographique quelconque. La pointe traçante du transmetteur destinée à parcourir la surface de la glace dépolie serait formée d'un morceau de sélénium maintenu par deux ressorts faisant pince, isolés l'un avec la pile, l'autre avec la ligne. La pointe de sélénium formerait le circuit. En glissant sur les surfaces plus ou moins éclairées de la glace dépolie, cette pointe communiquerait, à des degrés différents et avec une grande sensibilité, les vibrations de la lumière.
Le récepteur aurait également une pointe traçante en plombagine ou en crayon à dessiner très doux, reliée à une plaque très mince de fer doux maintenue à peu près comme dans les téléphones Bell, et vibrant devant un électro-aimant gouverné par le courant irrégulier émis dans la ligne. Ce crayon, appuyant sur une feuille de papier disposée de manière à recevoir l'impression de l'image produite dans la chambre noire, traduirait les vibrations de la plaque métallique par une pression plus ou moins accentuée sur cette feuille de papier. La pointe traçante en sélénium parcourrait-elle une surface éclairée, le courant augmenterait d'intensité, l'électro-aimant du récepteur attirerait à lui avec plus de force la plaque vibrante, et le crayon exercerait moins de pression sur le papier. Le trait, alors formé, serait peu ou point apparent. Le contraire se produirait si la surface était obscure, car la résistance du courant augmentant, l'attraction de l'aimant diminuerait et le crayon, pressant davantage le papier, y laisserait un trait plus noir.
M. Senlecq pense arriver à simplifier encore cet appareil en supprimant l'électro-aimant et en recueillant directement sur le papier, au moyen d'une composition particulière, les différentes gradations de teintes proportionnelles à l'intensité du courant électrique.
(1) Le comte Hallez d’Arros était le secrétaire de la rédaction de la revue L’Électricité. En 1877, il avait élaboré un projet d’exposition consacrée à l’électricité. Faute de soutiens, le projet fut abandonné et les diverses sections alors projetées noyées dans celles de l’Exposition Universelle de 1878.
Dans Mémoires de l'ombre et du son. Pour une archéologie de l'audio-visuel (1981), Jacques Perriault est un des premiers à avoir reconnu dans l'Abbé Moigno un des précurseurs de l'utilisation pédagogique des technologies audiovisuelles.
Bibliographie sur l'Abbé Moigno
"François-Napoléon-Marie Moigno", The Catholic Encyclopedia, 1917.
PERRIAULT, J., Mémoires de l'ombre et du son. Une archéologie de l'audio-visuel, Flammarion, Paris, 1981.
TOLEDO, A., Contribution à l'histoire de l'enseignement de projections lumineuses. Les travaux de l'Abbé Moigno (1872-1880), Diplôme de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, ronéo, Paris, 1976.
L'Abbé Moigno
L'Abbé François Napoléon Marie Moigno (1804-1884), vulgarisateur scientifique et précurseur de l'audiovisuel pédagogique.
Cet article est le deuxième rendant compte des travaux de Constantin Senlecq sur le télectroscope.
L'Abbé François Napoléon Marie Moigno (1804-1884) était un enseignant, chercheur et vulgarisateur français important dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il fut un des précurseurs de l'utilisation pédagogique des techniques audiovisuelles, auxquelles il semble s'être intéressé dès 1839 en collaboration avec l'inventeur de lanternes magiques Jules Duboscq et François Soleil. Plus tard, il sera un des premiers à donner des conférences en s'accompagnant de projections au praxinoscope d'Emile Reynaud, un de ses disciples.
En 1852, il fonde la revue de vulgarisation scientifique Cosmos, qui deviendra en 1862 Les Mondes. On lui doit des travaux sur les pyramides, la propagation des fosses sceptiques et différents ouvrages tels qu'un Répertoire d'optique moderne, (Paris, 1847-50), un Traité de télégraphie électrique renfermant son histoire, sa théorie et la description des appareils : avec les deux mémoires de M. Wheatstone sur la vitesse et la détermination des courants de l'électricité, et un mémoire inédit d'Ampère sur la théorie électro-chimique, A. Franck, libraire-éditeur, 1849 (réédité en 1852), des Leçons de calcul différentiel et de calcul intégral, rédigées d'après les méthodes et les ouvrages publiés ou inédits de A. L.Cauchy, Maillet-Bachelier, Paris, 1861, des Leçons de mécanique analytique (Paris, 1868) et une Optique moléculaire (Paris, 1873). Pour se confronter aux rationalistes athées, il publie Les splendeurs de la foi (Paris, 1879-83) et Les livres saints et la science (Paris, 1884), mais ces écrits théologiques sont mis à l'index par le Vatican.
Un article remarqué
L'intérêt de l'Abbé Moigno pour les télécommunications, pour l'optique et pour les technologies audiovisuelles telles que la lanterne magique n'est probablement pas étranger au fait qu'il ait été un des premiers à prêter crédit aux propositions du notaire d'Ardres, comme il avait accueilli quelques années plus tôt certains articles du poète-inventeur Charles Cros.
L'article publié dans Les Mondes a certainement eu plus d'importance pour la divulgation du télectroscope de Senlecq que celui, paru un mois plus tôt dans La Science pour Tous. Il est immédiatement cité dans une note de Nature, Vol.XIX, n°482, 23 January 1879. Adriano de Paiva reproduit l'article en annexe de sa brochure La télescopie électrique basée sur l'emploi du sélénium, Porto, 1880. Th. du Moncel, dans son article "Transmission des images par l'électricité", La Lumière électrique, Paris, 15 juin 1880, se souvient de l'avoir lu.
Constantin Senlecq le reproduit en annexe de sa brochure Le télectroscope, 1881 et précise "Une foule de journaux français ont reproduit cet article à peu près dans les mêmes termes".