UNE ARCHEOLOGIE DE L'AMPLIFICATION, DE LA REPRODUCTION ET DE LA TRANSMISSION DU SON
12. Les tubes acoustiques de Dalla Porta à Dom Gauthey
Premières esquisses
La théorie du porte-voix a été au centre des réflexions des savants du 17ème et du 18ème siècle intéressés par la transmission vocale, l'air apparaissant comme le meilleur conducteur des sons. Cependant, il ne leur a pas échappé que les sons pouvaient également être communiqués à travers les solides, et en particulier par des tubes métalliques.
Giambattista della Porta, en 1589, Cervantes en 1615, Francis Bacon en 1627 et Athanasius Kircher avaient déjà mentionné la possibilité d'utiliser des tuyaux pour la communication à distance. Giambattista della Porta est le seul à dire l'avoir testée, mais sans beaucoup de détails. Chez Bacon, il s'agissait d'une simple mention parmi toutes les merveilles des "Sound Houses" découvertes sur l'île utopiqe de Salomon :We have also means to convey sounds in trunks and pipes, in strange lines and distances." ("Nous avons enfin des moyens pour transporter les sons dans des conduits et des tuyaux, y compris sur de longues distances et sur des trajets sinueux"). Chez Athanasius Kircher, il s'agissait d'idées architecturales de tuyaux de communication entre immeubles, présentés comme un divertissement possible pour les Princes.
Les charlatans de place publique sont les premiers à faire usage de cette technique. Le voyageur français Maximilien Misson (1650-1722) a observée à Venise en 1688 (1). Du haut d'une estrade, des "prononceurs d'oracles" parlent à l'oreille des curieux avec un tuyau de fer blanc et leur disent ce qu'ils souhaitent entendre. Il n'y a pas ici dissimulation du dispositif, mais simplement jeu sur l'étonnement et observation des réactions du client. Le recours au tube de fer blanc pour porter la voix a probablement précédé le porte-voix, et est un dérivé de la sarbacane.
Tuyaux de communication entre immeubles dans la Phonurgia Nova d'Athanasius Kircher.
(1) MISSON, M. Nouveau voyage d'Italie, avec un mémoire contenant des avis utiles à ceux qui voudront faire le mesme voyage, H. Van Bulderen, La Haye, 1691 (Rééditions 1694, 1698, 1702, 1717, 1731).
Tiphaigne de la Roche, dans son utopie Giphantie (1760), avait imaginé la planète recouverte de tuyaux faisant converger tous les bruits du monde vers un Globe. En 1775, la Description et usage d'un cabinet de physique expérimentale de Sigaud de la Fond incluait dans une planche le dessin d'un système de communication tubulaire caché dans le plancher et dans les murs mais ce dessin n'était pas commenté. Ce n'est que sept ans plus tard qu'un prêtre cistercien Dom Gauthey, va étudier de manière systématique les possibilités d'une exploitation de l'acoustique tubulaire pour la communication à distance et faire des propositions qui, sur le moment, intéressèrent l'Académie des Sciences et quelques hautes personnalités de la France de Louis XVI. Les projets de Dom Gauthey restèrent sans suite mais l'historiographie de sa tentative s'avère passionnante.
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Dom Gauthey, un moine inventeur peu identifiable
On sait peu de choses de Dom Gauthey, moine de l'ordre de Citeaux et le peu de documentation sur sa biographe on conduit nombre d'historiens à la publication d'informations romancées ou non démontrées. Il s'est créé autour de lui, dès le 19ème siècle une sorte de mythe national qui est un véritable cas d'école sur les faiblesses de la critique historique. Nous ne perdrons pas ici notre temps à recenser les erreurs et bêtises qui ont pu être écrites, mais à reconstituer une histoire sur base des documents disponibles (1). On ne connaît de Dom Gauthey ni les lieux ni les dates de naissance et de décès. Peut-être est-il né à Brie, sans que l'on sache exactement de quelle Brie il s'agit (2)
Dom Gauthey s'est fait connaître par un procédé pour colorier et dorer les reliefs et bas-reliefs les plus délicats et les mieux finis, communiqué à l'Académie des sciences, qui enregistre son Mémoire au mois d'août 1781. Ce procédé permet de reproduire finement le dessin des médailles et la presse en rend compte à partir de septembre.avec un certain enthousiasme (3). Les curieux et collectionneurs sont invités à découvrir les réalisations de Dom Gauthey chez M. Bernier, Graveur du Roi à l'Hôtel de la Monnaie, ce qui indique que le Bénédictin est bien introduit et que ses travaux n'ont rien de la fantaisie d'un inventeur isolé
Dom Gauthey paraît avoir entretenu de bonnes relations avec Condorcet, grand mathématicien, inspecteur général de la Monnaie dans le gouvernement de Turgot et qui, dans les années 1780 occupe les fonctions de Secrétaire de l'Académie des Sciences et Secrétaire de l'Académie française. Dom Gauthey lui écrit le 18 janvier 1782 pour lui présenter une nouvelle invention, un système permettant d'améliorer les cabestans (4). Quelques jours plus tard, Condorcet, dans le procès-verbal de la séance académique du 26 janvier 1782 signale que "M. Gautei a demandé des commissaires pour un cabestan de son invention, une méthode pour empêcher les voitures de verser et un mécanisme applicable à la machine de M. Verrat".(5) Il apparaît ainsi que Dom Gauthey avait un registre d'intérêts et une capacité d'invention assez diversifiés.
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Le Mémoire de 1782 sur la propagation du son et de la voix -- Le premier moyen de Dom Gauthey
Le 8 juin 1782, Condorcet fait acter au procès-verbal de la séance de l'Académie ; "J'ai annoncé que M. Gauthei m'avait présenté un projet sur un moyen de communiquer des nouvelles en peu de tems entre deux lieux très distants, moyen qu'il se propose de communiquer à l'Académie et que j'avois signé le projet qu'il m'avoit présenté. Commissaire pour l'examiner moi et M. le Comte de Milly".
(6) L'examen par les deux commissaires est très rapide, puisque, dès le 15 juin, ils rendent leur rapport :
"Nous avons examiné, par ordre de l'Académie, un mémoire présenté par dom Gauthey, religieux de l'ordre de Citeaux, contenant un moyen de communiquer entre deux endroits très éloignés ; ce moyen, dont l'auteur s'est conservé le secret, nous a été communiqué, et il nous a paru praticable et ingénieux : il peut s'étendre jusqu'à la distance de treize lieues sans stations intermédiaires, et sans appareil trop considérable. Quant à la célérité, il n'y aurait que quelques secondes d'une ligne à l'autre. Mais le temps dont on aurait besoin pour faire entendre le premier signe serait plus long, et ne peut être connu que par l'expérience; et cette expérience serait peu coûteuse. Il n'est guère possible sans l'avoir faite de déterminer, même à peu près, les frais de construction de la machine. Nous pouvons assurer seulement que si la distance était très-petite , comme celle du cabinet d'un prince à celui de ses ministres, l'appareil ne serait ni trop cher ni très incommode, et qu'on pourrait répondre du succès. Le moyen nous a paru nouveau, et n'avoir aucun rapport aux moyens connus et destinés à remplir le même objet. Nous déposons au secrétariat de l'Académie un papier contenant le mémoire de dom Gauthey et les motifs de notre opinion sur la possibilité du moyen qu'il propose" (7)
Le contenu du Mémoire, dont Gauthey a tenu à ce qu'il reste secret, ne sera connu qu'en 1826. Ignace Chappe, dit l'Aîné, le frère de Claude Chappe, l'inventeur du télégraphe optique, avait, en 1824, restitué la mémoire des travaux de Gauthey dans son Histoire de la télégraphie (8). Il avait souligné que le secret de la découverte n'était pas encore connu. Il intervient auprès de l'Académie des Sciences pour que le mémorandum conservé dans les archives de l'Académie des Sciences depuis plus de quarante ans soit ouvert. Sa demande avait été prise en considération par l'Académie le 30 janvier 1826 (9) et le contenu du Mémoire dévoilé le 6 février 1826 (10).
Le document est intitulé Mémoire succint sur un moyen pour donner des avis prompts et secrets à une très grande distance à toute heure, en tout temps et tout lieu (11). L'essentiel du Mémoire consiste dans l'exposé du moyen : "Toute la mécanique de ce moyen consiste a établir un tuyau dont l'expérience déterminera la grosseur ; ce tuyau sera prolongé sans interruption d'un lieu à un autre. On pourra luy donner les sinuosités et les contours nécessaires le faire passer en terre comme dans l'air". Une des idées est de presser "cet air à une des extrémités par un moyen quelconque comme feroit un piston ou un soufflet toute cette masse d'air est poussée assez promptement et communiquant à l'autre extrémité peut imprimer un mouvement et produire un effet qui serve d'avis et peut se combiner de différentes manières". Comme le remarque Multigner, le terme "succint" vient à point nommé, car, par certains aspects, le Mémoire en dit moins que la note des deux Commissaires. Il n'est pas exclu que ceux-ci aient intégré dans leur évaluation des éléments communiqués oralement par Gauthey.
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Premières réactions de la presse - La revendication de M. Linguet
La nouvelle circule dans Paris et la presse rend compte. Plusieurs journaux signalent, dans des termes similaires, le dépôt du pli cacheté à l'Académie, et précisent "l'auteur a cru devoir en faire part au gouvernement, et lui a offert de faire les épreuves convenables et nécessaires pour s'assurer plus parfaitement des effets et avantages de ce moyen que l'Etat peut posséder exclusivement, l'essentiel du mécanisme pouvant se cacher dans un endroit très clos. Il assure que la galerie du Louvre suffirait pour faire une expérience secrète et concluante, et y établir tout l'appareil nécessaire pour cent lieues, et que les frais de cette épreuve ne seraient pas considérables en proportion de seon importance ; qu'elle jetterait d'ailleurs des lumières utiles sur un effet physique déjà connu jusqu'à un certain point, mais qu'on n'avait pas imaginé d'appliquer à ces cet usage et d'étendre aussi loin". (12). Rares sont les journaux qui ajoutent un commentaire. Après avoir rappelé qu'Agamemnon avait promis à Clytemnestre de l'informer de la prise de Troie par des flambeaux disposés de montagne en montagne, Le journal des gens du monde, espère, scepticisme ou ironie, que "Dom Gauthey sera plus heureux qu'Agamemnon car son invention ne réussit pas".(13)
La Correspondance littéraire et secrète, le 17 juillet, compare la proposition de Gauthey à celle de Linguet, formulée quelques mois plus tôt, qui n'était pas un système acoustique mais une esquisse de télégraphe par impulsions électriques transmises par fils (14). Précisément, la seule réaction négative vient des Annales politiques, le 15 octobre 1782, une publication éditée par Linguet. L'article indique clairement que celui-ci est le véritable inventeur et dénonce la campagne de presse en faveur de Gauthey : "La découverte d'une communication prompte et secrète pour transmettre en peu de minutes les correspondance à un éloignement considérable est très certainement de M. Linguet et de lui seul.(...) On a produit dans les journaux une demi-douzaine de Magiciens (...) Cette demi-douzaine se trouvant dans la Province (...) on a mis sur la scène un nouvel adepte protégé académique auquel on a donné gloire et mérite de l'invention. On a vite écrit à tous les Gazetiers pour qu'ils eussent à se rétracter et à instruire l'Europe que l'inventeur du moyen de faire communiquer les lettres et les signaux était Dom Gauthey, Religieux de l'Ordre de Citeaux (...) Notre Bernardin, grimpé sur les épaules de MM. De Condorcet & Compagnie, s'est montré au public, faisant la nique au pauvre Linguet, comme s'il n'avait jamais été question de ce dernier en tout ceci".(15)
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Le prospectus de 1783 - Deuxième et troisième moyens
Après cette campagne de presse assez réussie, Gauthey contacte de nouveau l'Académie. Condorcet, qui fait acter au procès-verbal de la séance du 24 juillet "M. Gauthei a demandé des commissaires pour un nouveau moyen de communiquer entre des lieux très distants ; Commissaires M. le Comte de Milly et moi". (16).
Ce deuxième moyen n'est pas explicité à ce moment-là et il faudra attendre le printemps 1783 pour en savoir plus, lorsque Gauthey publie un prospectus Expérience sur la propagation du son et de la voix dans les tuyaux prolongé à une grande distance, qui parait probablement en avril ou mai 1783 (17).
Ce prospectus vise à convaincre les lecteurs de contribuer à la souscription qui devrait permettre à l'inventeur d'expérimenter son deuxième moyen. C'est probablement faute d'avoir obtenu le soutien officiel qu'il espérait que Gauthey décide de lancer une souscription pour financer ses expérimentations. Peut-être faudrait-il fouiller dans les archives du Ministère de la Guerre et dans celles du Ministère des Finances pour y trouver trace de démarches de Gauthey. On imagine mal qu'étant donné son réseau de relations il n'ait pas approché les services de Philippe Henri de Ségur ou de Jean-François Joly de Fleury, le successeur de Necker, confronté à un déficit budgétaire et impuissant à réduire les dépenses du Ministère de la Guerre à l'heure de la Guerre d'Indépendance des Etats-Unis. Ce n'est peut-être pas un hasard si le Prospectus de Gauthey, appel à souscription publique, sort deux ou trois mois après la démission du Ministre des Finances, intervenue le 29 mars 1783.
Avant de publier le Prospectus, il a contacté directement un certain nombre de personnalités dont le nom figure en annexe. Elle inclut quelques nobles (dont, en tête de liste, le Duc de Chartres, c'est à dire Louis-Philippe d'Orléans, le futur Philippe-Egalité), des ecclésiastiques (dont l'Evêque de Tarbes, François de Poudenx) et plusieurs scientifiques en vue (dont les physiciens Charles et Pilatre des Roziers, connus pour leurs voyages en ballon, le médecin Marat, futur martyr de la Révolution française,....). Le nom de Benjamin Franklin, figure également dans la liste. Dom Gauthey lui a transmis le mémorandum, probablement sous forme manuscrite, dès le 6 mars 1783, par l'intermédiaire de Dufourny de Villiers et lui a écrit le 14 mars pour lui "demander vôtre suffrage et la permission de pouvoir embelir ma Liste de vôtre nom, si vous jugez que Cette entreprise mérite des Coopérateurs" .(18)
Le lieu d'édition indiqué en première page, Philadelphie, est, d'évidence, fantaisiste. La pratique était courante à l'époque de masquer le lieu réel de l'édition, souvent pour échapper à la censure. Dans le cas du prospectus de Gauthey, il doit plutôt s'agir d'une forme d'hommage à Benjamin Franklin, qui fut imprimeur à Philadelphie et qui, en 1783, est un des négociateurs mandatés à Paris par le Congrès des Etats-Unis pour négocier le Traité de Paris, qui sera signé le 3 septembre, actant la reconnaissance du nouvel Etat par la Grande-Bretagne. Et sans doute Gauthey, homme cultivé et humaniste, savait-il que le nom choisi par William Penn pour baptiser la ville signifie en grec "amitié fraternelle". Il n'y a guère de doute que le prospectus a été imprimé, comme indiqué en couverture, chez Prault, imprimeur du Roi, dont la vignette bien identifiable orne la couverture. Le choix de cet imprimeur de prestige confirme plutôt le statut très mondain du moine bernardin. La thèse romanesque formulée par certains "historiens" selon laquelle Gauthey, dépité, se serait embarqué pour les Etats-Unis afin d'y lancer sa souscription ne tient pas la route (19)
L'introduction du prospectus annonce d'emblée l'objectif : présenter quelques moyens permettant de "transmettre ou de recevoir des avis avec une plus grande promptitude". Dans son introduction, Gauthey ne parle pas de nouvelles mais bien d'avis, soulignant par là que les inventions qu'il va proposer doivent être utiles à la Société, mais surtout, dit-il, aux Administrations, c'est à dire à l'Etat, au Pouvoir. La vision historique de Gauthey est déjà marquée par la mondialisation. L'accroissement de la population de la terre, l'augmentation des familles, leur dispersion sur la surface du globe, l'évolution des sociétés et des nations ont accru la nécessité de communiquer. Un historique sur les moyens de communication à distance pratiqués par les Anciens permet de faire la louange de la poste et de lister d'autres moyens, tels que recours aux pigeons ou aux chiens, qui s'avèrent utiles mais bien aléatoires. Les signaux optiques, déjà utilisés par les Grecs restent trop sommaires. Faisant probablement allusion à la proposition de Linguet de "composer un idiome par le moyen des signaux et avec des pavillons", Gauthey ne l'écarte pas mais indique ne pas en connaître les détails.
Cette introduction étant faite, Gauthey en vient à la proposition des "trois moyens absolument nouveaux pour obtenir la plus grande rapidité et faire parvenir une nouvelle avec une extrême diligence".
Le premier moyen permettrait une transmission de signal à plus de cent lieues (soit environ 400 kilomètres) en moins d'une minute et de manière secrète, de nuit comme de jour et en toute saison et peut se renouveler sans nouvelle dépense. Le signal pourrait aussi se transporter, sans stations intermédiaires à 30 lieues (120 kilomètres) sans stations intermédiaires..
Le second moyen permettrait de faire parvenir des éléments plus détaillés, sur la même distance, en une demi-heure.
Le troisième moyen consiste en l'envoi d'un paquet de quelques onces (l'once de l'Ancien régime valant 30,594 grammes) à cent lieues (400 kilomètres) en six heures, "dans une flèche, de stations en stations, avec un arc assez puissant".
Conscient du scepticisme que peut susciter ses propositions Gauthey évoque le jugement favorable, sur son premier moyen, des "Messieurs de l'Académie" dans leur rapport du 15 juin 1782, qu'il cite dans son intégralité . Il explique qu'il a demandé aux commissaires de l'Académie de suspendre leur jugement - sollicité en juillet 1782 - sur les deux autres moyens, étant donné que ce jugement ne peut être basé sur des conjectures mais uniquement sur l'expérience. L'expérimentation étant coûteuse, il ne peut envisager d'autres recours que de convaincre les "Amateurs et les Curieux" à se cotiser pour participer aux frais.
Gauthey détaille ensuite le second moyen, qui "consiste à propager la voix secrètement à une certaine distance, et articuler une nouvelle par des porte-voix secrets et cachés, de stations en stations". Il constate que les auteurs ne sont pas d'accord sur la théorie du porte-voix, mais que l'on peut observer que le son se fait entendre plus aisément lorsqu'il est retenu dans des galerie étroites et allongés, des puits, des lieux clos, des tuyaux. Il fait également observer que personne n'a jamais mesuré la distance maximale d'un transport de la voix dans de telles conditions. Il indique qu'il a pu tester sur quatre cent toises, soit un peu moins de 800 mètres dans les conduits de la pompe à feu de Chaillot (20). et, avec un tuyau de 110 pieds, soit environ 300 mètres. Il a également testé les effets des sinuosités avec des cors de chasse. Il suggère, comme dans la note secrète, de créer des courants d'air dans les tuyaux, voire de créer un courant d'air continu pour renforcer la circulation des sons. A partir de là, il imagine des systèmes de stations distantes de 2000 toises (soit environ 4 kilomètres), avec des agents répétant le message qui leur a été transmis. Gauthey imagine les dispositions pratiques : les tuyaux pourraient être enfouis en terre, les agents pourraient être des militaires invalides, le palais du Roi et les Ministères pourraient être équipés, on pourrait avoir recours à un langage crypté, non compris par les intermédiaires.
L'investissement serait rapidement couvert par tous les avantages qui découleraient de la mise en place de l'invention, dans les domaines administratifs et militaires et que l'auteur se promet de détailler une fois les expériences menées à bien. L'investissement pour l'expérimentation est estimé à 12 000 francs et le montant minimum de la souscription - pour laquelle il n'est demandé qu'une promesse en attendant que le montant total soit souscrit - est d'un louis.
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Les réactions au prospectus
Après la publication du prospectus, Gauthey bénéficie à nouveau de la sympathie des journaux, mais de manière moins rapide et moins massive. Le Journal de Paris en fait une présentation très favorable (21).
En septembre, L'Esprit des journaux en publie de larges extraits et fait l'éloge du projet. Il ajoute la lettre d'un lecteur qui suggère que dans les tuyaux, l'air pourrait être "poussé par le moyen d'un soufflet à double vent, ou de quelqu'autre machine foulante, dans un tuyau d'une très grande étendue, d'un pouce de diamètre, se ferait promptement sentir à son extrémité et qu'en y adaptant une flûte d'orgue, elle exprimerait un son". (22) A partir de là, ce lecteur anonyme suggère le recours à 22 tuyaux d'orgue, dont chacun correspondrait à une lettre de l'alphabet. Il imaginait aussi l'envoi par les tuyauteries de petites boules de liège dans lesquelles on aurait inséré les messages écrits en petits caractère. Bien qu'elle ne suppose pas la diffusion de la voix, mais une fragmentation alphabétique, la première solution converge avec celle, tenue secrète, de Gauthey de recourir à un système de soufflement d'air pour renforcer la circulation du son (23). Fuite ? Convergence d'idée ? On le le saura sans doute jamais. La seconde est une première vision de ce qui deviendra le système de transmission par tube pneumatique, qui deviendra opérationnel dans les années 1860.
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La plaisanterie visionnaire de Nicolas Tuyau
En 1787, un plaisantin, signant du nom trop explicite de Nicolas Tuyau, publie dans les Variétés légères un article parodique se moquant de la proposition de Dom Gauthey et proposant sa radicalisation (24). Il suggère que les frères Périer, qui avaient créé en 1777 la Compagnie des eaux de Paris, celle-là même qui avait organisé la distribution de l'eau à Chaillot, laquelle avait permis à Gauthey d'expérimenter son idée, exploite à la fois un service de distribution d'eau et de sons, par les mêmes canalisations. Ce texte moqueur est, à notre connaissance, le premier qui imagine la transmission d'opéras, de messes à distance ainsi que la téléconférence. Selon Tuyau, sa proposition fournirait une occasion rare de combiner intérêt public et intérêt privé :
L'idée de diffuser par un tube acoustique des concerts de musique n'était pas tout à fait neuve : on en trouve déjà une illustration dans la Phonurgia Nova d'Athanasius Kircher. Mais l'illustration suggérait de la musique de chambre. Nicolas Tuyau est le premier, bien avant Albert Robida, à proposer la diffusion d'opéras. L'idée qu'un même entreprise pourrait s'occuper de distribution de l'eau et de la distribution du son, dans un système d'abonnement, anticipe de manière étonnante le déploiement, à vrai dire pas très réussi, à partir des années 1980, de la Compagnie générale des eaux et de la Lyonnaise des Eaux dans le développement du câble.
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La réception en Allemagne et en Suède
La parution du prospectus de Dom Gauthey a suscité un intérêt en Allemagne qu'aucun historien ne paraît avoir remarqué. Il est signalé par une revue scientifique (25) Une des rares critiques négatives viendra du périodique allemand Chronologen, qui qualifie le système de Zauberpost, la poste magique (26). Le prospectus sera cependant traduit par le naturaliste Johann Andreas Benignus Bergstrasser (1732-1812), un des pionniers de la recherche sur la télégraphie en Allemagne (27). Il est est également cité dans un histoire de la télégraphie, publiée en 1796 par le poète et inventeur finlandais Abraham Niklas Edelcrantz, qui sera traduite en français en 1801 et, à la fin du 20ème siècle, en anglais en (28). Gauthey est encore mentionné, avec Linglet et Bergrstrasser, en 1797 par la Algemeine Literatur Zeitung dans un état de l'art sur la télégraphie (29) puis, en 1805, dans le Handbuch der Erfindungen de Gabriel Christoph Benjamin,.qui compare son invention avec celle d'une Correspondenz-Zimmer de l'horloger Christin, de Berlin. C'est la dernière mention par ses contemporains, avant la redécouverte de 1824 par Chappe l'Aîné (30).
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L'abandon du projet et le départ probable pour la Drôme
Mis à part ces réactions de la presse et de quelques pionniers étrangers, on ne trouve plus trace du projet dans la presse parisienne, ni évidemment à l'Académie des sciences.. Probablement Gauthey n'a-t-il pas réussi à convaincre suffisamment de souscripteurs lui permettant de mener les expériences nécessaires pour vérifier son hypothèse. D'autres hypothèses sont possibles : a-t-il perdu le soutien de Condorcet et du Comte de Milly, qui n'apparaissent pas dans la liste des souscripteurs initiaux ? s'est-il aliéné le soutien du gouvernement pour avoir bénéficié du soutien du Comte de Chartres, devenu en 1785 Duc d'Orléans et un des plus dangereux opposants au pouvoir royal ? a-t-il été rappelé aux règles de Stricte Observance par sa hiérarchie ? Nous ne le saurons sans doute jamais.
Toujours est-il que Dom Gauthey est un homme de ressources : comme en 1783 la grande attraction sont à présent les aérostats, il fait une contribution, que Faujas de Saint-Fond et Hassenfratz qualifient d'ingénieuse, sur la construction de doubles ballons aérostatiques. Son idée suppose que l'on découvre une matière solide préférable au cuir pour construire les ballons, ce qui permettrait d'introduire dans ce ballon inflexible un deuxième ballon d'un volume égal, d'une étoffre très mince et souple, qui serait "bien tordue et privée d'air". Un petit robinet permettrait de réguler l'arrivé d'air dans le ballon intérieur. (31)
On perd la trace du moine inventeur pendant les années 1784-1787 pour ne le retrouver qu'en 1788, cité comme religieux de l'ordre de Citeaux, attaché à l'Abbaye de Léoncel, dans le Vercors et membre associé de la Société académique et patriotique de Valence (32).
La Société académique et patriotique de Valence avait a été fondée en 1784 , par le moyen d'une souscription et autorisée par lettres patentes de décembre 1786. Elle avait pour objet l'étude théorique et pratique des sciences arts et belles-lettres en vue de leur application dans le Dauphiné et en particulier le Valentinois. Elle comptait des membres tels que Necker ou le duc de Clermont-Tonnerre. Elle se réunissait chez son Président, l'abbé Jacques de Tardivon, prélat mondain, qui aimait recevoir dans ses salons et sa bibliothèque réputée, dans l'ancien palais abbatial de la Congrégation de Saint-Ruf, sécularisée en 1740. Les réunions furent fréquentées, dit-on, par le jeune lieutenant Napolionne de Buonaparte, présent dans la ville en 1785-1786. L'académie attribuait des prix pour des mémoires sur des questions agricoles et d'économie sociale. Elle s'éteignit en février 1792, dans le contexte de la Révolution (33).
Selon l'observation de Gauthey lui-même, la Société académique avait bénéficié du climat précurseur des Etats généraux du Dauphiné, dont la tenue à Vizille le 21 juillet 1788 préfigure celle des Etats générations du royaume que Louis XVI va convoquer le 8 août 1788. En mars 1789, Gauthey présente pour sa réception à cette académie deux prospectus : un prospectus sur la propagation du son et de la voix qui porte exactement le même titre que celui de 1783 (la seule différence est que le mot rapide est devenu prompt) et une autre "sur une découverte qu'il a faite dans les arts, par le moyen de laquelle on peut se procurer des copies exactes et parfaitement imitées de toutes les espèces de médailles, soit en or, argent, billon, cuivre ou bronze" qui est une reprise de ses travaux de 1781 (34). Rien de nouveau, puisque L'Esprit des journaux indique que ces deux ouvrages ont mérité l'approbation de l'Académie royale des sciences de Paris. ¨Pour nous, le seul élément nouveau est qu'à cette date, le moine inventeur revient sur son projet et que donc il n'a pas probablement pas tout à fait renoncé, le climat d'effervescence intellectuelle créé les Etats généraux pouvant lui avoir donné espoir.
Le 27 mars 1789, Dom Gauthey n'est probablement pas présent à la séance de la Société académique de Valence puisque c'est le Président de séance, M. de Rozière qui lit sa dissertation intitulée Essai sur ces questions : Qu'est ce qu'il est utile au peuple de savoir ? Qui'est ce qu ce qu'il est possible de lui apprendre ? Cette dissertation est visiblement à inscrire dans le cadre des débats qui ont fait suite aux Etats généraux du Dauphiné et qui préludent à la convocation des Etats généraux du Royaume, annoncée le 8 août 1788 par le Roi. Selon le compte-rendu du Journal encyclopédique, "l'auteur commence par rendre hommage aux vertus patriotiques dont les trois Ordres de la province du Dauphiné ont donné l'exemple". Dom Gauthey se montre favorable à l'éducation du peuple, en s'appuyant sur l'autorité des anciens et plaide également pour l'éducation des femmes.(35)
Il s(agit-là des dernières traces dont on dispose sur les activités de Dom Gauthey. On peut l'imaginer reclus dans l'abbaye cistercienne de Léoncel, sur les hauteurs d'un Vercors sans grande ressources; vivant dans une petite communauté monacale en déclin, confrontée aux problèmes posés par la vie dans une abbaye saisie par l'Etat en 1790 et dont le prieur ¨Perrier décrit ainsi les conditions de vie à la fin du 18ème siècle : "le passage des contrebandiers, l'asile, l'hôtellerie, des déserteurs, des brigands, (...) certains jours ils arrivaient au nombre de dix quinze à la fois".(36) Mais ce serait revenir à une vision romanesque de l'histoire des sciences et des techniques. Et Dom Gauthey n'apparaît pas sur la liste des moines (trois présents et deux absents) de l'Abbaye dressée dans l'inventaire effectué par la municipalité de La Vacherie, le 5 Mai 1790. (36b)
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La redécouverte de Dom Gauthey au 19ème siècle et la constitution du mythe de l'inventeur français du téléphone
Le souvenir de Dom Gauthey dans l'histoire des télécommunications aurait probablement été oublié si Chappe l'Aîné ne lui avait consacré quelques pages dans son Histoire de la télégraphie, dont la première édition date de 1824 (37). Ayant travaillé dès le début avec son frère pour la mise en oeuvre du télégraphie optique, "administrateur des lignes télégraphiques", ancien député de la Sarthe, Ignace Chappe a pris en main, après le décès de Charles en 1805, l'affaire familiale que représente l'exploitation et surtout la défense du brevet qui garantit le monopole de cette exploitation. La connaissance historique s'avère importante pour cette défense : certains mettront en cause l'originalité de l'invention en arguant qu'elle se trouve déjà chez un auteur latin du IVème siècle, Végèce (38). Ignace Chappe est cependant un esprit curieux et son Histoire de la télégraphie est une première synthèse remarquable de l'histoire des télécommunications. Chappe a par exemple retrouvé la brochure de Morland sur la trompette parlante ou traduit du latin un texte de Kircher sur la communication à distance par réseau de miroirs. En ce qui concerne Gauthey, il cite de larges passages du Prospectus et la note de Condercet et Milly. On ne peut guère lui reprocher qu'une erreur typographique : Gauthey est devenu Ganthey et d'avoir pris pour argent comptant le fait que la brochure a été "imprimée" à Philadelphie.
Le souci d'obtenir de l'Académie l'ouverture du pli cacheté de Gauthey témoigne d'un évident intérêt philologique. Ce qui était connu des moyens proposés par Gauthey ne laissait pas présager un danger de concurrence pour le brevet Chappe et l'ouverture se révéla d'ailleurs plutôt décevante, comme l'indique l'article du Globe (39)
La figure 5 de cette planche montre un tuyau cylindrique de communication caché dans le oarquet et les murs (D,F) SIGAUD DE LA FOND, M., Description et usage d'un cabinet de physique expérimentale, vol. 2, Gueffier, Paris, 1775, pp.437 et s.
(1) Sur Dom Gauthey, voir la notice que lui consacre l'Inventaire Condorcet. La seule étude critique, basée sur un réel travail d'analyse des sources est celle de Gilles Multigner. MULTIGNER G., "A propos de Dom Gauthey", Les Cahiers de la FNARH, 2/2018. Le présent article doit beaucoup à cette contribution, qu'il vise à compléter par des informations glanées dans les trésors des bibliothèques numérisées.
(2) ERSCH J.S., La France littéraire, Tome 2, 1797, p;89. Les informations généalogiques disponibles sur Geneanet indiquent que les Gauthey, au 18ème siècle se trouvent essentiellement en Bourgogne (Saône et Loire, Côte d'Or, Nièvre) et quelques uns à Châlon, dans la Drôme. On a parfois confondu Dom Gauthey avec l'ingénieur et architecte Emiland Gauthey (1732-1806) avec lequel aucun lien direct de parenté n'est établi.
(3) Procès-verbaux de l'Académie des Sciences, T.100, 1781, 199rc-200r.
L'invention est citée par la presse à partir du 7 septembre 1781. "Extrait d'un rapport et des registres de l'Académie Royale des Sciences du 29 août 1781", in Journal de Paris, n°250, 7 septembre 1781, p.1009 ; Gazette du commerce, 27 octobre 1781, p.683, Journal encyclopédique, octobre 1781, pp.330-331 ; Mercure de France, n.44 3 novembre 1781, pp.1-2 ; L'Esprit des journaux, décembre 1781, pp.366-367.
(4) Gauthey (dom) à Condorcet - 18 janvier 1782 (Paris, Archives de l’Académie des sciences / pochette de séance du 26 janv. 1782),
(5) Procès-verbaux de l'Académie des Sciences. T101 (1782), 13v-14r
(6), ibid., p.103. Nicolas-Christiern de Thy de Milly (1728-1784) était un ancien militaire, qui avait atteint le grade d'officier. Passionné par les questions scientifiques et associé à l'Académie. Il avait vécu en Allemagne et, ayant édité un livre sur les faïences de Saxe traité qui permit la réalisation de la porcelaine dure à la Manufacture de Sèvres. Condorcet à rédigé un "Eloge de M. le Comte de Milly", in Histoire de l'Académie royale des Sciences,1784, pp.64-71.
Les propositions de Gauthey étaient, d'évidence, d'intérêt militaire et ce n'est probablement pas par hasard que Condorcet s'est adjoint le Comte de Milly, ancien militaire
(7) ibid., p.126r-127
Marie Jean Antoine Nicolas Caritat, Marquis de Condorcet. Photographie de E. Desmaisons d'après une gravure (Source : Wellcome Collection)
(8) CHAPPE L'AINE, Histoire de la télégraphie, Chez l'auteur, Patis, 1824, pp. 66-71 et 226-229.
(9) Séance du 30 janvier 1826, in Journal des Sciences Militaires des Armées de Terre et de Mer, volume 3, 1826, p. 404-405
(10) "Procédé télégraphique de Dom Gauthey", Séance du 6 février 1826, in Le Globe, 9 février 1826. Egalement Annales de chimie et de physique, 1826, p.320 ; Bulletin des sciences mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques, 1826, p.383
(11) On trouvera la transcription complète du Mémoire in MULTIGNER, art.cit., pp.31-33.
(12) Mercure de France, juillet 1782 ; pp.88-89 ; Journal politique ou Gazette des gazettes, Bouillon, juillet 1782, pp 49-50 ; "18 juillet 1782" , Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres, 1783, pp.23-25; Journal encyclopédique, Bouillon, septembre 1782, pp.331-332 ; Journal politique de Bruxelles, 1782, pp. 88-89.
(13) Journal des gens du monde, v.1 1782, pp.182-183.
(14) Cité par MULTIGNER, art.cit. ; repris in Correspondance secrète, politique, & littéraire, T. XIII, John Adamson, Londres,1788; pp.160-161.
Simon-Nicolas-Henri Linguet (1736-1794) était un avocat célèbre (il défendit notamment le Chevalier de la Barre) mais controversé. Il fut embastillé de 1780 à 1782. On lui attribue généralement la lettre publiée dans Le Journal de Paris du 20 mais 1782 proposant d'établir "une communication entre deux lieux, moyennant deux fils de fer doré allant (...) sous terre dans des tuyaux de bois garnis de résine (...)"., rédigée alors qu'il était emprisonné à la Bastille. Il fut guillotiné en 1794 pour ses compromissions durant l'Ancien Régime.
(15) Annales politiques, 15 octobre 1782, pp.229-231, cité in MULTIGNER, art.cit. p.29. Linguet avait été libéré le 19 mai 1782. Dans ses Mémoires sur la Bastille, T. Spilsbury, Londres, 1793, p.13 il revient brièvement sur "son invention très précieuse, à réaliser pour l'utilité publique un nouvel usage de la lumière, imaginé dans un tems où je ne la voyois pas; la confiance qui me faisoit espérer la modification, & même la révocation de mon exil, étoit assurément sondée".
(16) Procès-verbaux des Séances de l'Académie (T.101)), 1782, p.199.
(17) (GAUTHEY D.), Expérience sur la propagation du son et de la voix dans les tuyaux prolongé à une grande distance, Philadelphie,, Chez Prault, Imprimerie du Roi, (Paris), 1783.
(18) Lettre de Dom Gauthey à Benjamin Franlin, 14 mars 1683 sur le site "Founders Online" des National Archives. Egalement in The Papers of Benjamin Franklin, vol.39, ed Ellen R. Cohn, Yale University Press, 2008, pp. 335-336.
Benjamin Franklin (1706-1790)
(19) Les archives de l'American Philosophical Society à Philadelphie ne contiennent aucune trace de la brochure et, a fortiori, d'un éventuel séjour de Gauthey. SHEA J.G., Life and times of the Most Rev. John Carroll, Bishop and first Archbishop of Baltimore embracing the history of the Catholic Church in the United States, 1763-1815, John G. Shea, New York, 1888, p.203
"Religieux de Citeaux en habit de ville" (R.P. HELIOT, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, et des congrégations seculieres de l'un et de l'autre sexe, J.P. COignard, 1714)
(20) Les pompes à feu de Chaillot (situées à l'emplacement de l'actuelle Avenue de New York) ont été les premières du genre à Paris. Elles permettaient de pomper les eaux de la Seine et d'organiser une distribution vers les immeubles qui souscrivaient un abonnement. Elles ont été été installées en 1781 à l'initiative de la Compagnie des eaux de Paris, créé par les frères Périer. Voir "Etablissement des machines à feu pour fournir des eaux de la Seine à Paris", Mercure de France, novembre 1781, pp.37-45.
(21) Journal de Paris, 13 mai 1783. ; Journal des Savants, mai 1783, p.951 ; "15 mai (1873)", Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la république des lettres en France, Londres, 1874, p.278-279 ; Journal des Scavans, mai 1783, p. 317 ; Le Journal encyclopédique, Bouillon, juillet 1783, pp.169-175 indique que Gauthey l'a "récemment fait imprimer" et en détaille le contenu. ; Journal de l'agriculture, du commerce et des finances, Septembre 1783, pp.91-104. ; Calendrier historique et patriotique des Français pour l'année 1783 (cité dans Le Rappel du 18 février 1886).
(22) L'Esprit des Journaux, septembre 1783, pp.73-86
(23) Le système de machine parlante proposée en 1791 par le hongrois Wolfgang Von Kempelen recourra également à un système de soufflet (VON KEMPELEN, W., Mechanismus der menschlichen Sprache. Wien, 1791.).
(24) TUYAU N., "Lettre sur la propagation du son et du mouvement", Variétés littéraires. Littérature légere, ou Recueil des vers, chansons anciennes, contes, tant en prose qu'en vers, Seconde année, n°2, 1787, pp.185-189.
Publié en 1786 et 1787, l'hebdomadaire de divertissement intellectuel Les Variétés littéraires était édité par l'Abbé Jean-Louis-Marie Coupé
Le rêve de Nicolas Tuyau s'est réalisé. Il est possible de "faire aboutir" les opéras de Gluck et même de Niccolo Piccini.
Orpheo et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, un opéra mis en scène par Bernard Jourdain, le Théâtre le Comédia, création. Création Vidéo : Sébastien Sidaner/Vimeo
Recréation d'Atys de Piccini (1780) par le Centre de musique baroque de Versailles et le Palazzetto Bru Zane. Classique News / Vimeo
(25) Neue Bibliothek der schönen Wissenschaften und der freyen Künste., Leipzig, 1781, p.165 (La date de publication est évidemment erronée).
(26) "Dom Gauthey und sein Erfindung", Chronologen; Ein periodisches Werk von Wekhrlin. ... v.9-10 Frankfurt und Leipzig, 1781. pp. 85-92. Ici aussi la datation de cet est ironique. L'article ironique - qui mériterait une lecture détaillée car il nous paraît contenir une critique de fond que l'on ne trouve pas dans la presse française - est, de toute évidence, postérieure à 1781, puisque l'avis de Condorcet et Milly et des arguments du Prospectus sont cités.
(27) BERGSTRASSER J.A., Angekündigtes Problem einer Korrespondenz in ab- und unabsehbaren Weiten der Kriegsvorfälle, oder über Synthematographik ... in Schreiben an Se. Hochfürstliche Durchlaucht den Prinzen Ferdinand, Herzogen zu Braunschweig und Lüneberg erster [-dritter] Sendung, Hanau, 1785,, pp. 79-94. Bergrstrasser cite quasi intégralement le Prospetus de Gauthey, et s'en démarque pour sa propre invention dans sa Correspondance sur le Problème annoncé le 21. Dec. 1784. relativement aux distances que l'oeil peut parcourir, Hanau, 1785, pp;91-106 e 114-115
(28) Edelcrantz est un des premiers à avoir proposé une alternative au téléphone optique de Chappe.
EDELCRANTZ, A.N. Afhandling om Telegrapher och Försök til en ny inrẗtning däraf Med Kopparstycken, Stockholm, 1796 ; Traité des Télégraphes : et Essai d'un nouvel établissement de ce genre ... Traduit du Suédois, par Hector B .., Paris, 1801; Treatease on Telegraphs And Experiments With a New Construction Thereof, in HOLZMANN, H.J., The early history of data networks, Los Alamitos, Calif. : IEEE Computer Society Press, 1995, p.134
(29) Algemeine Litteratur Zeitung, 15 Mai1797, p.403.
(30) BENJAMIN, G.C., Handbuch der Erfindungen, III, 1, 1805, Eisenach, p.214
Le nom de Gauthey, souvent associé à celui de Linguet, s'est maintenu dans l'historiographie allemande des télécommunications. Voir notamment POPPE A., Die Telegraphie von ihrem Ursprunge bis zur neuesten Zeit, S. Schmerber, 1848, p. 26-27 ; HARTLER, F., Ueber Ursprung u. stufenweise Ausbildung der verschiedenen Telegraphen-Systeme, Druck v. C. Wolf, 1850, p.7 ; SCHELLEN, Der elektromagnetische telegraph, F. Vieweg und Sohn, 1850, p.5 ; RICHTER, C., Staats- und Gesellschafts- Recht der Französischen Revolution von 1789-1804, Julius Springer, 1866, p.637 ; ASCHOFF V., "Beispiele zeitgenössischer Reaktionen auf die Inbetriebnahme des Chappeschen Telegraphen". in Geschichte der Nachrichtentechnik. Springer, 1984
(31) Cette contribution est peu documentée et peu connue mais citée plusieurs fois par Faujas de Saint-Fond, Description des expériences Description des expériences de la machine aérostatique .. Cuchet, 1783 ; pp.215-216, Des ballons aérostatiques, Heubach, Lausanne, p.114 ; Le dauphin enlevé, ou L'art de se diriger dans les airs , T. Spilslury & Fels, Londres, 1793, p;43 ; àrticle "Ballon", in HASSENFRATZ, J.H., Encyclopédie méthodique. Physique. T. 1, Paris, 1793, pp.67-68. ; Voir également DOLLFUS, C., "Les précurseurs du ballon dirigeable rigide", L'Aéronautique, Gauthier-Villars, novembre 1920, p.222
(32) Almanach du Dauphiné, 1789, cité par E. Arnaud, Bull. de la Société départementale d'archéologie et de statistique de la Drome, tome VIII, Valence, 1874, p. 113-114.. Voir la notice proposée oar l'Inventaire Condorcet.
(33) D'OSCELON F., "Le Dauphiné littéraire. Réunions et sociétés savantes", Revue du Dauphiné et du Vivarais, janvier 1880, pp. 74-77 ; LACROIX, M.A., "Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Drôme : archives civiles. T. II. Séries D, nos 1 à 72, E, nos 1 à 2670", Chenevier et Chavet, Valence, p.2). Voir également le portrait mi-figue mi-raisin qu'en trace un historien de Valence : la Société académique mêlait pédanterie poétique et travaux de vrais savants : OLLIVIER, J., Essais historiques sur la ville de Valence, Valence, 1885, pp. N220-221) ; EMBLARD L., "Jacques de Tardivon, dernier Abbé de la Congrégation de St-Ruf et la Société Académique et patriotique de Valence", Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme, 1893, pp.69-81
(34)'Esprit des Journaux, juillet 1789, pp.321-322
L'ancien palais abbatial de Saint-Ruf à Valence où se réunisssait la Société académique et patriotique. Devenu siège de laPréfectue de la Drôme, il a été détruit par un bombardement en 1944.
(35) Journal encyclopédique, juin 1789, pp.511-512 ; L'Esprit des Journaux, juillet 1789, p.329. La communication de mars 1789 est également mentionnée dans The Analytical review, or History of literature, ... vol. 5 (Sept. - Dec.1789), p.114, seule mention connue des travaux de Gauthey dans la presse anglaise de l'époque.
L'abbaye de Léoncel, dans le Vercors
(36) Cité in Essai sur les origines monastiques dans le diocèse de Valence, l'abbaye de Léoncel, Religieux cisterciens Valence, Jules Céas et fils, 1888, p.81
(36b) information aimablement communiquée par M. Michel Wullschleger, fondateur des Cahiers de Léoncel et auteur de divers articles sur l'histoire de l'Abbaye.
(37) CHAPPE L'AINE, Histoire de la télégraphie, Chez l'auteur, Paris, 1824 ; 2ème édition, Richelet, Le Mans, 1840.
L'erreur de typographie dans le livre de Chappe (qui se trouvait déjà dans les articles des Mémoires secrets) se répercute dans plusieurs ouvrages français (CAPEFIGUE, J.B.H.T., Louis XVI son administration et ses relations diplomatiques avec l'Europe, Belin-Leprieur, Tome 3, 1844, pp.53-54) ; quelques ouvrages anglo-saxons : Routledge's Every Boy's Annual, Warne & Routledge, 1882, p.116 ; The Eclectic Magazine, John Holmes Agnew, Walter Hilliard Bidwell, 1898
(38) REBUFFAT, R., "Végèce et le télégraphe Chappe", Mélanges de l'école française de Rome Année 1978 90-2 pp. 829-861
(39) "Procédé télégraphique de Dom Gauthey", Séance du 6 février 1826, in Le Globe, 9 février 1826. ; "Procédé télégraphique de Dom Gauthey", Bulletin universel des sciences et de l'industrie, Volume 5, 1826, pp.197-198.
Le physicien et astronome Jean-Baptiste Biot a expérimenté la transmission des sons dans les tuyaux des aqueducs de Paris et a présenté un Mémoire sur le sujet.
En 1826, Gauthey est également cité dans BERNEDE C., Des postes en général, et particulièrement en France, Raynal, 1826, p.24.
Le début de célébration de Dom Gauthey en héros populaire commence en 1838 avec un article du romancier André Delrieu dans le quotidien "Le Siècle". L'auteur décrit une supposée arrivée du moine à l'Académie française comme s'il en avait été le témoin : "La robe de bure de dom Ganthey devint le point de mire des lorgnettes et des oeillades, à la grande consternation des académiciens qui voulaient bien faire de l'effet, mais à leur bénéfice". (40)
(40) DELRIEU A., "Histoire des télégraphes", Le Siècle, 15 mars 1838 p;2.. Collaborateur du Siècle et de La Revue de Paris, Delrieu publia quelques romans durant le règne de Louis-Philippe (dont Les Enfants trouvés, 1831), ainsi qu'une Psychologie du rêve, 1839.
L'invention de Gauthey va être valorisée dans l'historiographie française des sciences, surtout l'historiographie populaire à la fin des années 1840, à partir du moment où le télégraphe Morse commence à s'imposer (41). La figure de Dom Gauthey en précurseur d'une soi-disante "télégraphie acoustique" apparaît comme une compensation pour l'orgueil national français au fait qu'une invention américaine l'emporte. Les vulgarisateurs scientifiques vont fournir des versions romancés de l'expérience inaboutie du moine bernardin. On n'a aucune preuve que, comme l'affirme Chauvet, que Louis XVI commanda que l'on expérimente les propositions communiquées par Gauthey à Condorcet ou, comme l'affirme Guyot que l'intérêt pour son projet a été supplanté par les dernières toilettes de Marie-Antoinette. Même pour l'historien anglais Lardner, la découverte de Gauthey fut victime de l'insouciance des ministres de Louis XVI" (42) En 1852, dans son très sérieux et très documenté Dictionnaire des inventions et découvertes anciennes et modernes, le Marquis de Jouffroy prend la défense, de manière plus argumentée, des travaux de Dom Gauthrey, qu'il qualifie assez maladroitement de "télégraphie acoustique".(43)
Dans le contexte des affrontements idéologiques du 19ème siècle, la contribution de Dom Gauthey est citée comme un des exemples des "religieux physiciens" (44), voire pour "faire tomber la priorité révolutionnaire du télégraphe, pour la rendre aux ordres monastiques (45).
Au fil des ans, Dom Gauthey devient un véritable mythe scientifique et en 1867 Antoine-Gaspard Bellin lui consacre quelques vers dans son Exposition universelle, poème didactique en quinze chants (46) :
(41) CHAUVET, L., "Esquisses scientifiques. - Télégraphie et téléphonie dans les temps anciens et modernes", La Revue indépendante, 25 janvier 1848, pp.201-202 ; MAYER M., Le télégraphe, Bachelier, Strasbourg, 1851, p.7 ; FIGUIER, L. Exposition et histoire des principales découvertes scientifiques modernes, T.I., Langlois-Leclercq, Masson, 1851, pp.81-82 ; "Télégraphie" in Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain, 1853, p. 257 ; MANGIN, A., Délassements instructifs: les télégraphes, les feux de guerre, Mame, 1865, pp.. 11-14 ; GUYOT, Y., L'inventeur, A. Le Chevalier, 1867, p. 401 ; VILLEFRANCHE La télégraphie française: étude historique descriptive, anecdotique et philosophique, V. Palmé, 1870, p.5
(42) LARDNER, D., Le muséum des sciences et des arts : choix de traités instructifs sur les sciences physiques et leurs applications aux usages de la vie, trad. Achille Genty, vol.III, La science pour tous, 1858, p. 267.
(43) Article "Télégraphe", DE JOUFFROY, A., Dictionnaire des inventions et découvertes anciennes et modernes, dans les sciences, les arts et l'industrie.... Tome 2. H-Z , J.-P. Migne (Petit-Montrouge), 1853, pp. 1247-1250. Gauthey apparaît dans le segment "Télégraphie acoustique" de l'article "Télégraphie" du Dictionnaire français illustré et encyclopédie universelle... par B. Dupiney de Vorepierre, Paris, 1860, p.1181
(44) R.P. HELIOT, Dictionnaire des ordres religieux, J.P. Migne, Tome 3, 1862, p;1037
(45) CAPEFIGUE, J.P H.R., Louis XVI : ses relations diplomatiques avec l'Europe, l'Inde, l'Amérique et l'Empire ottoman, Amyot, 1856, p.223.
(46) BELLIN, A.G., Exposition universelle, poème didactique en quinze chants :, Garnier, 1867, p.187.
En 1868, le vulgarisateur Louis Figuier propose lui aussi dans ses Merveilles de la Sciences, une version romancée de l'histoire de Dom Gauthey ("Il avait vingt-cinq ans à peine : il était d'une taille élevée, et son visage était empreint d'une douceur et d'un charme inexprimable" ; "En désespoir de cause, le pauvre inventeur s'embarqua l'année suivante pour l'Amérique",...) .(47) Le livre de Figuier, qui va devenir la référence pour pratiquement tous les auteurs s'intéressant à Gauthey, propose également une gravure due à Emile Bayard du moine, avec bure et tonsure, en train d'observer les sons émanant des tuyauteries de Chaillot initialement parue dans La Science pittoresque. (48) et qui va devenir l'icône du moine inventeur.
(47) FIGUIER L., Les Merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes. vol. II, Furne-Jouvet, 1868, p.13-16
(48) "Le télégraphe aérien", La science pittoresque, 28 mars 1867, p.179
Illustration d'Emile Bayard "Le télégraphe aérien", La science pittoresque, 28 mars 1867, p.179
La version romancée établie par Chauvet et Figuier sera reprise dans d'autres ouvrages de vulgarisation à a fin du 19ème siècle. La découverte du téléphone par Graham Bell en 1876 est une nouvelle occasion pour la presse (49), puis pour les auteurs d'ouvrages de vulgarisation (50), très populaires à la fin du 19ème siècle, de revenir sur la découverte de Dom Gauthey et de renforcer le mythe. Dom Gauthey va obtenir le rare privilège pour un inventeur de figurer dans les images d'Epinal
Dom Gauthey dans une planche de la Série encyclopedique des lecons de choses illustrées, Epinal, fin 19ème siècle
La citation du moine dans les histoires populaires abrégées de la téléphonie se poursuit dans la presse populaire au 20ème siècle (51) En 1930, un éditorial de l'hebdomaire Coemedia affirme ni plus ni moins que "Le jeune moine Dom Gauthey avait, en 1782, inventé l'acoustique" ! (52)
La qualité du travail historique ne s'améliorant pas nécessairement avec le temps, certain historien des télécommunications affirma même que Louis XIV, décédé en 1715, "favorablement impressionné par un rapport de l'Académie ordonna des essais" (53)
Il faut attendre les années 1960 pour voir Dom Gauthey quitter le seul domaine de l'histoire des télécommunications pour devenir une figure emblématique du Siècle des Lumières. Ainsi l'historien Alphonse Dupont, dans son cours en Sorbonne "Les lettres, les sciences, la religion et les arts dans la deuxième moitié du 18ème siècle", écrivait-il (54) :
"Mais il est certain que ce qui marque le plus dans l'immédiat de l'histoire, c'est l'"idée-force". Idée-force qui ne peut pas être préfabriquée, un conditionnement élaboré, mais qui est au contraire contrainte par une extraordinaire expansivité vitale. Un des exemples, pour moi, les plus significatifs en est celui de ce cistercien bourguignon, dom Gauthey, qui au fond de son couvent imagine, par un système de tuyaux transmetteurs de sons, un moyen de correspondre avec des lieux éloignés. Première ébauche du téléphone, présentée à l'Académie des sciences en juin 1782, elle est surtout l'image éclatante d'un effort humain, par la tension, la vision, l'ingéniosité technique, pour vaincre l'espace, séparation des hommes, et communiquer à travers lui. Et ce n'est sans doute pas hasard que cette société indépendante se cherche des connexions internes, des liens de correspondance et d'intimité".
On pourrait bien sûr chicaner le lyrisme du grand historien en faisant remarquer que le "cistercien bourguignon" n'écrivait probablement pas "au fond de son couvent" mais bien plutôt dans dans un hôtel parisien proche de l'Hôtel des Monnaies (55). Que Gauthey ait examiné avec plus de rationalité et d'imagination que d'autres le problème de la transmission du son et de la voix ne fait pas de doute, cependant sa vision de "vaincre l'espace" était loin de lui être propre, comme l'illustrent d'autres propositions littéraires et de proposition de dispositifs de communication, sonore ou visuelle, au 17ème et au 18ème siècles.
L'essor d'Internet à la fin du 20ème siècle, rendant plus aisé l'accès aux archives, est enfin l'occasion de consacrer à Gauthey des études plus documentées, se dégageant de la mythologie établie au 19ème siècle (56) mais aussi l'occasion de l'intégrer, comme il se doit, à une histoire des réseaux de données (57) ou de donner plus de rayonnement encore, sur des sites amateurs d'histoire des télécommunications aux erreurs véhiculées depuis les années 1840. Le tube acoustique de Dom Gathey n'a rien perdu de son attrait mythologique, comme en atteste l'installation "Le Tube" que l'artiste acousticien Olivier Toulemonde a présentée le 1er juillet 2017 à Chamblay avec la note d'intention suivante : "À l’ère de la communication à outrance, ce parlophone archaïque vous permet de rentrer en contact et d’échanger avec l’Autre Côté. Comme un passage, une brèche à travers l’espace et le temps". D'après l'artiste, le tube mesurait cent mètres et la réception était très bonne (58).
Il est peu probable que l'on pourra un jour compléter les lacunes biographiques sur Dom Gauthey. Les documents que nous avons pu mettre à jour dans cette étude ont permis de reculer de quelques mois (de 1788 à mars 1789) le terminus a quo de sa disparition. Nous avons pu aussi faire progresser la connaissance de la réception de son oeuvre et poser quelques hypothèses sur le contexte de ses investigations. Peut-être un jour l'examen d'archives administratives ou la découverte de correspondances mettront-t-elles plus clairement à jour les relations du moine inventeur avec le pouvoir.(59)
A.L. 30 avril 2019/ Dernière révision 18 mai 2019; Remerciements à Gilles Multigner pour ses commentaires.
"Le Tube" d'Olivier Toulemonde.
(Photo : O. Toulemonde).
(49) L'Illustrateur de l'Exposition universelle, 15 avril 1867 ; "Le téléphone", Le journal de la jeunesse, 21 juillet 1877 ; La semaine des familles, 2 février 1878 ; Gazette nationale ou le Moniteur universel 16 décembre 1879 :
(50) FOURNIER, E., Le vieux-neuf; histoire ancienne des inventions et découvertes modernes, Dentsu, 2 vol., 1877, p.81 ;LAURENCIN, P.A., Le télégraphe, J. Rotschild, 1877, p.9 ; MAIGNE, W., Histoire de l'industrie et exposition sommaire des progrès réalisés dans les principales branches du travail industriel, 3ème édition, E. Belin, 1880, p.588 ; DROHOJOWSKA Comtesse Les grands inventeurs modernes : télégraphie : Amontons, Chappe, Ampère, Morse, Babinet, Sudre, Mame, 1880, pp.119-120 ; MANGIN, P., L'air et le monde, Mame, 1864, p.77 ; FOCILLON, A, Les grandes inventions des temps modernes, Mame, 1887, p.203 ; BELLOC, A., La télégraphie historique : depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Firmin-Didot, 1889, p.62;MANGIN, P., Délassements instructifs : les télégraphes, les feux de guerre, Mame, 1893, pp.12-13. ; GAUTIER F., L'oeuvre de Claude Chappe, 1893, Librairie de la porte Saint-Denis, 1893, p;20 ; BONNEFONT G., Le règne de l'électricité, A. Mame et fils, Tours, 1896, p.69.
(51) Express : journal politique paraissant à Mulhouse, 24 octobre 1907 ; Le Populaire, 12 décembre 1931.; "Un moine inventeur", Le Progrès de la Côte d'Or, 19 mars 1935 ; Paris--Midi, 26 juillet 1938
(52) "Le siècle de la découverte", Comedia, 25 avril 1930.
(53) LAFFAY, J., Les Télécommunications, télégraphe, téléphone, radio, Collection "Que sais-je ?", P.U.F., 2ème édition, 1961, p.48 ; idem, 3ème édition mise à jour, 1968.
(54) Texte repris in DUPONT A., Qu'est-ce que les Lumières ?, Coll. Folio, Gallimard, 1996.
(55) En 1782, selon sa lettre à Condorcet, il habite à l'hôtel d'Artois, Paris, rue Guénégaut [Guénégaud], proche de l'hôtel de la Monnaie. Le 14 mars 1783, selon sa lettre à Benjamin Franklin, il habite chez le sculpteur Jean Nicolas Gardeur, cloître St-Jacques l'hopital rue Mauconseil (située à ce qui est aujourd'hui le 33 rue Saint-Denis). Gilles Multigner s'est interrogé avec raison sur le fait que Gauthey sur le fait que lorsqu'il était à Paris Gauthey ne logeait pas dans les établissements de son Ordre.
(56) DEMELEUNARE-DOUYERE C., "Un autre procédé de communication à distance : le projet de télégraphe pneumatique de Dom Gauthey e, 1782" in Claude Chappe et Ménilmontant. les débuts du télégraphe optique, Association d'Histoire et d'Archéologie du XXème Arrondissement, octobre 1993, pp.28-31 ; MULTIGNER, art.cit.
(57) HOLZMANN, H.J., The early history of data networks, Los Alamitos, Calif. : IEEE Computer Society Press, 1995, p.42.
(58) "Le Tube Installation sonore d’Olivier Toulemonde (France)", Backtothetrees
(59) Le Centre international d’étude du XVIIIe siècle (Ferney Voltaire) annonce la parution d'un ouvrage Les relations scientifiques de Condorcet avec les provinces françaises correspondance et documents inédits 1772-1791. Textes réunis et présentés par Nicolas Rieucau, avec la collaboration de Françoise Launay et Jean-Daniel Candaux, que je n'ai pas encore eu l'occasion de consulter. Les relations de Condorcet avec Gauthey y sont traitées dans l'article de Patrice Bret (Centre Alexandre Koyré) "Vingt ans d’échanges épistolaires personnels et institutionnels: Condorcet, Guyton de Morveau, l’Académie de Dijon et les savants bourguignons"