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La circulation internationale du canular de l'électroscope

Paru dans le New York Sun du 30 mars 1877, le canular de l'électroscope va arriver en Europe trois semaines plus tard.

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L'électroscope au Québec

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Dès avril 1877, deux articles de la presse québecoise, Le journal de l'instruction publique et la Gazette de Sorel relayent le canular. 

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L'électroscope dans la presse française

 

  • C'est en France que le canular de l'électroscope commence sa carrière européenne. On le trouve mentionné pour la première fois mentionné  dans le Journal des débats le 23 avril 1877. L'article mentionne comme sources "les journaux de Boston". Nous n'avons pu à ce jour identifier de quels journaux il s'agit. Le principal journal de Boston,  Boston Globe ne  mentionnera brièvement l'electroscope que le 28 décembre 1877. L'invention est attribuée explicitement par Le Journal des débats à Graham Bell, ce que ne faisait pas la presse américaine. 

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  • Dans Le Charivari, le 5 juin 1877, le journaliste E. Villiers est le premier à transformer l'information en "Fantaisies électriques", avec des formules fortes "Nous voyons s'ouvrir un horizon sans limites" ou encore "Le temps et la distance seront supprimés dorénavant". . Villiers reprend l'idée de la vision de l'opéra à domicile et y ajoute la possibilité pour l'artiste d'observé le critique alité. Il imagine également que les peintres de paysages pourraient peindre les chutes du Niagara, les cimes du Mont-Blanc ou les steppes de Russie sans se déplacer. Un souverain pourrait surveiller un champ de bataille de son palais ou un curieux voyager dans son fauteuil. Villiers imagine également que des compagnies vont se créer pour câbler l'ensemble du globe et qu'il sera possible à chacun d'assister aux incidents tragiques de la guerre entre la Russie et la Turquie qui vient de commencer.  

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Journal des débats, Paris, 23 avril 1877.   (Source : Retronrews / BNF)

Je remercie Philippe Ethuin de m'avoir signalé cet article ainsi que les autres articles disponibles dans Retronews.

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E. VILLIERS, "Fantaisies électriques", Le Charivari, 5 juin 1877 (Source ; RetroNews / BNF)

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L'electroscope en Grande-Bretagne

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Un examen de la base The British Newspaper Archive semble indiquer que le canular de l'electroscope ne semble pas avoir eu beaucoup de succès en Grande-Bretagne.

 

  • On le trouve reproduit à l'identique pour la première fois dans Northern  Constitution, journal de Colraine en Irlande du Nord, le 8 septembre 1877.

  • quelques lignes lui sont consacrées dans The Isle of Wright Journal du 29 septembre 1877. L'article, signé (ou sourcé?) OBSERVER imagine l'utilisation de l'appareil pour la vision à distance entre amis ou pour permettre à un propriétaire furieux de "donner son avis"  à un locataire offensant. L'appareil permettra aussi de mieux connaître les "pays contagieux" (référence à un malaproprism utilisé par Mrs Malaprop, personnage de la piève The Rivals de Richard Brinsley Sheridan (1775).

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Kate Field, le téléphone et l'électroscope

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The Isle of Man Journal, 29 September 1877 (Source : Britsih Newspaper Archive). 

Portrait de Kate Field par Francis Davis Millet, 1881

Le fait que le canular de l'electroscope ne se soit pas répandu en Angleterre est peut-être lié au fait que Graham Bell lui-même est arrivé en Angleterre en août 1877. La lecture des articles de presse, en particulier du Times, relatant ses présentations, rencontres avec les journalistes et conférences ne mentionnent pas d'éventuelles questions qui lui auraient été posées sur l'electroscope.

 

Toutefois, l'electroscope va être évoqué, de manière remarquable par la célèbre journaliste et actrice américaine Kate Field (1838-1896). Arrivée à .Londres e, juillet 1875 comme correspondante de divers journaux américains, elle publie de manière anonyme (mais rapidement connue) dans les revues anglaises Truth et Whitehall Review des lettres piquantes "interceptées" à une supposée amie américaine, Ella Graham, à qui elle livre des observations sur la vie anglaise, mais aussi sur les nouveautés technologiques, notamment le téléphone. C'est pour elle l'occasion de laisser son imagination se livrer à des fantaisies scientifiques. Dans la lettre publiée par Truth le 23 août 1877, elle imagine par exemple "qu'à un stade avancé de civilisation, composé de nerfs et de susceptibilités, il y aura de la télégraphie mentale tout à fait indépendante du fil", précédant ainsi de cinq ans l'invention de la télépathie par Frederic William Henry Myers. 

 

Le 10 novembre 1877, Field publie dans la Whitehall Review une "intercepted letter" contenant un éloge du téléphone. Ce texte, qui dépasse la simple description du téléphone et de ses usages, prend un ton prophétique pour décrire ce que Robida appellera "la vie électrique", et qui inclut l'électroscope :

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"Ensuite, Ella, j'ai entendu un accompagnement solo et pianoforte, avec chaque note et chaque mot aussi audibles que possible ; j'ai entendu un clairon jouer à cinquante milles lointain c'était charmant, et j'ai entendu un orgue à 130 milles ! Maintenant, je suis prêt pour le déluge, ou ce que la nature voudra. que l'électricité fasse tout pour nous, nous nous coucherons et nous nous lèverons par l'électricité, nous mangerons par l'électricité, et nous épargnerons l'ennui des couteaux et des fourchettes, nous écrirons par l'électricité, et nous verrons par le même moyen. Oui, vous n'avez pas besoin d'ouvrir les yeux. Je viens de lire au sujet de l'électroscope, dont le rôle est de transmettre des ondes lumineuses par l'électricité. Lorsqu'on le combine avec le téléphone, et pendant que deux personnes, à des centaines de kilomètres l'une de l'autre, parlent ensemble, ils vont vraiment se voir ! Ne sera-ce pas amusant ? Si ton amoureux se trouve être un photographe amateur, il prendra ta photo, ma chérie, de l'autre côté de l'océan ! Laissez seulement l'électricité contourner l'Atlantique, et je suis son esclave à vie."

 

Field ne se contente pas d'imaginer deux amants se voyant ou même se photographiant par delà l'Atlantique. Elle reprend l'idée de la transmission d'opéras et de pièces de théâtre par l'electroscope. Elle imagine aussi la possibilité d'assister à distance aux sessions parlementaires et l'avantage que cela pourra représenter pour les femmes :

 

"Chaque électeur anxieux dans les provinces aura son fil parlementaire et son électroscope privé, de sorte qu'il pourra non seulement entendre mais garder un œil sur son député particulier, et les Londoniens qui veulent entendre les débats ne seront pas obligés de mendier pour être admis dans une salle étouffante. atmosphère. Ce sera le paradis pour nous, les femmes, qui à St. Stephen's sommes enfermées dans une cage à oiseaux."

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Ces deux paragraphes constituent la première, et une des très rares contributions féminines à la période de développement de la vision à distance. Kate Fields ne précise pas où elle a été informée au sujet de l'électroscope, mais il est intéressant de noter qu'elle reprendra dans son livre Bell's Telephone, publié l'année suivante avec le parrainage de l'Electric Telephone Company, la société que Graham Bell et son associé le Colonel William Reynolds avaient créée en Angleterre. Kate Field a en effet publié dans The Times, à partir du 16 novembre 1877, une série d'articles sur le téléphone de Bell, cette fois très sérieux et très techniques. L'inventeur les apprécia tellement qu'il engagea la journaliste pour assurer la promotion de son invention, y compris auprès de la Reine Victoria, en chantant pour celle-ci différentes mélodies et en interprétant l'épilogue de As you like it.

Sur Kate Fields :

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  • Kate FIELD, Selected Letters,  edited with an introduction by Carolyn J. Moss, Suthern Illnois University Press, 1996.

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Kate FIELD, Bell's Telephone, 1878. L'ouvrage ne contient pas de page de titre indiquant un nom d'éditeur, mais s'ouvre par une page publicitaire pour l'Electric Telephone Company.

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"The Telephone of the Future (An intercepted letter" in  Kate FIELD 'ed.); Bell's Telephone, The Elevctric Telephone Company, London, 1878, page 16 et page 18. Le texte était paru initialement dans Whitehall Review, 10 November 1877.

Le canular de l'électroscope dans d'autres pays européens

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Le canular de l'électroscope peut être repéré dans d'autres journaux européens, probablement à partir de sa reprise dans la presse française: 

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Deux avatars du canular en Océanie

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Le canular de l'electroscope arrive en Australie en juillet 1877 (Northern Star, Lismore, NSW  21 July 1877, puis 17 autres titres jusqu'au 20 août 1878) et en Nouvelle Zelande où il est repris tout d'abord le 14 août 1877 par le Wanganui Herald et on le retrouve ensuite dans le  Wairarapa Standard (28 August 1877), le  Westport Times (4 September 1877), le Nelson Evening Mail (10 September 1877), le Manawatu Times (29 September 1877), le Timaru Herald (28 September 1878), le Press (2 October 1878), et finalement dans le Taranaki Herald (8 October 1878). 

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Le terme electroscope est repris le 31 octobre 1882 par The Herald, quotidien de Melbourne,  pour un nouveau canular, qui est le premier à imaginer une transmission en direct d'un événement sportif. L'inventeur en est à présent nommé : il s'agirait d'un certain Dr. Gnidrah, de Victoria en Australie. L'événement est décrit avec érudition et détails

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André Lange, 21 mars 2023

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