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UNE ARCHEOLOGIE DE L'AMPLIFICATION, DE LA REPRODUCTION ET DE LA TRANSMISSION DU SON

 

7. La trompette parlante de Samuel Morland


 

 

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La question de l'amélioration de la maîtrise de la parole humaine par des instruments techniques, esquissée par Della Porta, Bacon et Hooke, va prendre une dimension nouvelle à partir de 1671, lorsque Sir Samuel Morland présente  son "Tuba stentoro-phonica", ou "talking trumpet" qui sera connu en France comme "trompette à parler de loin", puis "trompette parlante" et en Italie comme "tromba marina". La question n'est plus d'améliorer les capacités auditives de l'oreille humaine mais d'amplifier la transmission de la voix humaine afin de la faire porter plus loin. 

  • La contribution de Morland 

 

La contribution de Morland au développement des télécommunications acoustiques tient en une brochure de 16 pages dont le titre complet est tout un programme : Tuba stentoro-phonica, an instrument of excellent use, as well at sea, as at land; invented and variously experimented in the year 1670. And humbly presented to the Kings most excllent Majesty Charles II.  On imagine mal aujourd'hui ce que représenta cette brochure qui peut nous apparaître comme une théorisation assez sommaire de ce qui va bientôt s'appeler un porte-voix. Immédiatement traduite et publiée en français dans un Recueil de mémoires et conférences adressés au Dauphin Louis, le fils de Louis XIV, qui a alors douze ans, puis reproduite par le Journal des Scavans, dans au moins trois versions pirates de ce recueil, publiées à Bruxelles et à Amsterdam et enfin traduite en italien, cette brochure va avoir un impact considérable.

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La contribution de Morland à l'acoustique est perçue par ses contemporains comme aussi décisive que le télescope de Newton, présenté la même année. Elle va susciter, en Angleterre, en France, en Italie et bientôt en Allemagne de nombreux commentaires et contre-propositions. La moindre des réactions n'est pas celle de l'éminent savant jésuite, le R.P. Athanasius Kircher, qui, à Rome, va publier un imposant volume, la Phonurgia Nova, pour essayer de démontrer que l'invention de Morland n'en est pas une et que lui, Kircher, a mené des expériences sur le porte-voix vingt ans auparavant.

 

Il ne s'agit plus cette fois comme chez Della Porta, Bacon et Hooke d'améliorer l'écoute par un appareil auditif mais de permettre la transmission à distance de la parole humaine. Le tuba stento-phonica est un "speaking trumpet", une "trompette parlante"..  Son nom évoque Stentor, qui dans l'Illiade, (V, 784-791) fait une apparition très fugitive :

"La déesse aux bras blancs, Héra soudain s'arrête, prend l'aspect de Stentor, magnanime guerrier dont la voix est de bronze et qui, tout seul, crie aussi fort que cinquante hommes ; (...)".

 

Le terme "speaking trumpet" restera dans la langue courante anglaise jusqu'à son éviction par le megaphon. En français, dans les premières traductions, c'est l'expression "trompette à parler de loin" qui est utilisée, mais c'est rapidement le terme porte-voix qui va s'imposer La première occurrence en français de ce mot apparaît dans le Dictionnaire françois contenant les mots et les choses de Richelet en 1680 : "Sorte d'instrument de métal dont on se sert pour porter la voix plus loin" (p.192).

  • Trompette musicale et trompette parlante

 

L'utilisation d'instruments tels que les trompettes ou les cors dans la communication militaire, religieuse ou civile remonte à l'antiquité. On sait que deux trompettes ont été retrouvées dans le tombeau de Toutankhamon. Des trompettes sont représentées dans les bas-reliefs assyriens. Les pukku et les mikka, objets royaux, taillés dans les arbres sacrés des bords de l'Euphrate cité dans l'épopée de Gilgamesh ont parfois été interprétée comme des trompettes. Dans la tradition juive les shofar et les hassrah d'argent ont d'importants rôles religieux. La trompette est présente dans la Bible en particulier dans le Livre des Nombres (X, 1-10) et dans le récit de la destruction de la ville de Jericho  (Livre de Josué, , 6:1-62),  Le R.P. Kircher se plut à rappeler que son Musée au Collegio Romano détenait le cor d'Alexandre le Grand. Les Grecs, comme les Egyptiens ou les Etrusques sont réputés avoir utiliser la trompette pour les communications militaires. La Chanson de Roland installe le mythe du cor de Roland, utilisé pour appeler à l'aide dans les gorges de Roncevaux. Les représentations militaires de cavaliers ou de hérauts utilisant des trompettes sont nombreuses au Moyen-Age. (1). Une des plus célèbre est celle du Casseler Willehalm Codex, un manuscrit du 14ème siècle, conservé à Kassel.

La trompette, le cor et les autres instruments à vent sont destinés à produire des sons musicaux et non à diffuser la parole humaine. On peut évidemment imaginer que d'autres, avant Morland, et pas seulement Paolo AproinoFrancis Bacon, Mario Bettini  ou Athanasius Kircher, avaient constaté la possibilité d'amplifier et de diffuser à distance la parole humaine par l'intermédiaire de tuyaux, de tubes ou, simplement en joignant les deux mains autour de la bouche de manière à former un pavillon. Se basant sur un manuscrit de Birtsch, qui fut le premier historien de la Royal Society, l'historien Halliwell-Phillipps, laisse entendre que Morland aurait pu avoir eu un précurseur dès le début du siècle. En effet un certain Henry Reginald a envoyé en 1603 au roi Jacques Ier un livre d'inventions dont une "to convey the voice for a thousand paces without showing any one near you that you are talking". (""transmettre la voix sur mille pas sans montrer à personne que vous parlez près de vous".) (2) Quant au R.P. Kircher, il prétend, témoins à l'appui, avoir pratiqué des tests de porte-voix dès les années 1640 (3).

 

  • Samuel Morland, un ingénieur au service des politiques

Morland a été il a été fortement impliqué dans les luttes politiques des années 1640-1600 (4). Partisan de Cromwell, il a porté assistance aux protestants du Piémont, victimes des persécutions organisées par Christine de France, Régente de Savoie, lors des "Pâques vaudoises" (1655). Collaborateur de John Thurloe, Secrétaire d'Etat sous le Protectorat de Cromwell, il participe à des missions diplomatiques, notamment près de la Reine Christine de Suède, et commence à s'intéresser à la cryptographie. Ayant été informé d'un complot visant à assassiner Charles II qui tente de regagner la couronne d'Angleterre, il devient agent double et, dans des circonstances non encore complètement élucidées, prétend avoir sauvé la vie du Roi.. A la restauration de Charles II (1661), il est absout de ses activités républicaines et le roi le nomme chevalier baronnet. Il est cependant écarté des affaires politiques et se consacre dès lors à ses activités mathématiques et techniques. Dès 1662 il présente au Roi des machines à calculer. Il devra cependant attendre 1681 pour obtenir le titre de Magister Mechanicorum.

  • L'originalité de la contribution de Morland à l'acoutique

La publication de Morland sur la trompette parlante peut être considérée comme  originale en plus d'un point : elle fixe la distinction entre trompette musicale et trompette parlante, elle décrit les expériences menées sur différents types de trompettes parlantes, elle esquisse une thérie ondulatoire du son, alors que la conception de Kircher est encore très classique, et enfin elle propose diverses utilisations fonctionnelles de l'instrument, lui assignant une place stratégique dans l'économie d'un pays qui tire sa richesse de la navigation et mène différentes guerres en Europe et en Amérique du Nord.

On ne sait quant il a commencé à s'intéresser aux questions acoustiques, mais il était admis comme observateur à la Royal Institution et est donc probablement au courant des propositions de Robert Hooke et de l'intérêt créé par l'otocousticon. que celui-ci propose en 1665. Il est probable qu'il connaissait la Musurgia Universalis de Kircher, publiée à Rome en 1650, traité de musicologie qui contenait de nombreuses considérations sur le phénomène de l'écho, la propagation du son, les statues parlantes et le cor d'Alexandre le Grand et qui était prise en considération par les membres de la Royal Society (5) Il explique avoir commencé ses expérimentations sur les trompettes parlantes en 1670, mais y avoir pensé déjà depuis quelques années.

Dans le premier chapitre de la brochure,  Morland décrit l'évolution de ses recherches sur les trompettes parlantes qu'il a fait fabriquer, en commentant la planche d'illustration (6).

 

  • La première (A) était en verre et d'une longueur d'environ 2 pieds 8 pouces (soit environ 81 cm). Un premier test ayant été positif, Morland en fait faire une seconde (A2) en airain, d'environ 4,5 pieds (environ 90 cm) avec un embout en soufflet (A3), comprenant une languette de cuir afin d'éviter les déperditions d'air au moment du souffle. Deux tests furent réalisés avec cette trompette dans le parc de St James,

 

  • La seconde en présence du Roi et de membres de la Cour. Malgré un vent contraire, l'audiotion était très bonne sur une distance de 850 verges, soit environ 777 mètres.

 

  • Avec l'approbation du Roi, Morland fait construire une trompette en cuivre, sur le modèle des trompettes ordinaires (B), de seize pieds huit pouces, soit environ 41 cm, qu'il teste avec un matelot sur les bords de la Tamise. L'expérience est concluante sur une distante d'environ 1,5 mile, malgré le bruit ambiant.

 

  • Une quatrième trompette, de même format mais plus grande (C) est alors construite, ainsi qu'une trompette de forme conique en cuivre (D) et deux plus petites avec des embouts différents (E). Des tests réalisés par delà la Tamise avec les trompettes C et D furent concluants sur une distance d'au moins 1 mile et demi. Et les tests font penser que par temps calme, avec les petites trompettes E, on peut être entendu "du moins à trois quart d'un bon mille".

Suite à l'ordre du Roi, les trompettes furent transportées au château de Deal, sur les côtes du Kent. Des essais de différents modèles réalisés y furent réalisé avec l'aide de sir Francis Digby, gouverneur du château. Dans un rapport au Roi, celui-ci fait part des épreuves "qui surpassaient ce qu'on pouvaient en attendre". Une communication est notamment établie avec le château de Walmer., distant de 2 kilomètres, malgré un vent contraire et le bruit de la mer. La trompette C est également entendue depuis les bâteaux en mer à une distance de 2 ou 3 miles.

 

La deuxième partie de la brochure propose une esquisse de théorie du son, bien que Morland ne prétende pas percer le mystère de celui-ci, semblable au mystère de la lumière. Il note le caractère ondulatoire du son, en le comparant aux cercles qui se dessinent à la surface de l'eau lorsque celle-ci est frappée par un objet. Cette théorie est illustrée par un planche très étonnante, qui met en évidence la diffusion circulaire, mais également les phénomènes d'écho.

 

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Sir Samuel Morland, portrait par Sir Peter Lely

  • Traduction italienne

"Tuba Stentoro-Phonic, un instrumento di gran uso in Mare, e in Terra, inventato e variamente sperimentato nel ano 1670 e presentato alla Maesta di Carlo II, re d'Inghlieterra nell ano 1671 dal Cavalier Morland", Giornale de Letterati 29 gen. 1672, pp.10-11. Les versions disponibles en ligne ne fournissent pas les planches, traduites en italien et reproduites in GOZZA, E., "Anche i megafoni hanno un'anima: la "Tromba parlante" (1678) di Geminiano Montanari", Recercare, Vol. 16 (2004), pp. 113-131 

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RICHELET, P., Dictionnaire françois : contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, ses expressions propres, figurées et burlesques, la prononciation des mots les plus difficiles, le genre des noms, le régime des verbes..J.-H. Widerhold, Genève, 1680, p.192

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Hérauts avec trompettes et tambous (Casseler Willehalm Codex,)

(1). Voir notamment HONEGGER M.,  Dictionnaire de la musique : technique, formes, instruments, Éditions Bordas, 1976 ; WALLACE, J. Mc GRATTAN, A, The Trumpet,  Yale University Press, 2011 ; PIA J., La tromba nella trattatistica musicale del XVII secolo, BrassMusic Publications, 2013.

(2) HALLIWELL-PHILLIPPS, J.O., A Collection of Letters Illustrative of the Progress of Science in England: From the Reign of Queen Elizabeth to that of Charles the Second, Printed for the Society, 1841, p.xiii.  Le manuscrit cité est Bitsch MS4384.

(3) Voir ici-même la page consacre aux recherches acoustiques de Kircher. Kircher avait lui même comme prédécessur Mario Bettini, qui, en 1642, avait présenté un porte-voix elliptique.

(4) Sur Morland, il n'existe pas encore de biographie définitive, en particulier sur son rôle durant le protectorat de Cromwell et la Restauration.

 

 

(5) GOUK, A.M., "Acoustics in the early Royal Society 1660-1680", Notes and RecordsVolume 36 Issue 2,28 February 1982

(6) Les trompettes parlantes de Morland ont été construites par Simon Beale, "King's Trumpeter". Voir BYRNE M., "The Goldsmith-Trumpet-Makers of the British Isles", The Galpin Society Journal, Vol. 19 (Apr., 1966), pp. 71-83.

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Reprise de la planche de la brochure de Morland dans la Collection Académique, tome 1, François Desventes, 1755, pp.264-265,

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Le château de Deal en 1830.

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Le château de Walmer.

La propagation de la voix. Illustration dans le Tuba Stentoro-phonica de Morland;  Source :  UCL Ear Institute & Action on Hearing Loss Libraries

La plaquette contient également des planches représentants des édifices. Elles ne sont pas explicitement commentées, mais servent probablement d'illustration au phénomène de l'écho.

 

Morland s'interroge sur les possibilités d'analyser les phénomènes de propagation et de réverbération des sons. A défaut de proposer une théorie générale, il se contente de formuler des observations à partir des différents modèles de speaking trumpets. .Il note que les petits tuyaux n'augmentent pas les sons, mais au contraire en diminuent la portée. L'élargissement du tuyau de la trompette doit être progressive. L'embouchure doit être bien ajustée à la taille de la bouche du locuteur de manière à ne perdre aucun son. Morland note aussi que le "foyer de la voix dans la trompette" se situe au centre du pavillon et suggère que le son augmente lorsque qu'il voyage le long de l'instrument, car il tente de se propager de manière circulaire : il frappe les côtés et rebondit vers le centre. Morland analyse la propagation et la réfraction du son par analogie avec celle de la lumière frappant un miroir parabolique. Sans tirer de conclusion définitive, Morland propose l'analyse de ce problème aux hommes de science. Il sera entendu : avec le développement de l'acoustique scientifique à partir du 18ème siècle, cette question va faire l'objet de nombreuses contributions et ne sera résolue que par la formulation de l'"équation de Webster en 1919".

Dans la troisième partie de son ouvrage, Morland liste quelques une des applications. Ce texte peut-être considéré comme la première description des fonctions possibles des appareils de transmission de la voix humaine.

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Illustrations de la brochure de Morland. Source :  UCL Ear Institute & Action on Hearing Loss Libraries

Bref compte-rendu de la variété d'utilisations de ce stentorophonique, ou trompette puissante, à la fois en mer et sur la terre ferme.

I. En mer.

I. Dans une tempête ou dans une nuit sombre, lorsque deux navires n'osent pas s'approcher l'un de l'autre au point d'être entendus par une voix ordinaire de l'homme; Je pense qu’il peut être très utile que cet instrument leur permette de parler et de parler ensemble à un demi-kilomètre ou plus, au besoin, surtout si, alternativement, ils profitent du vent. . Et si cela est si fort, qu’un seul des navires peut avoir toute occasion de parler avec le vent, l’autre peut répondre par des signes, bien que ce soit directement face à lui.

II. En cas de tempête, il est d’une grande utilité, dans un seul navire, que l’on mande une voix donnant des ordres pour gouverner et diriger le navire, pour être entendu distinctement par tous les navigateurs. Sa Majesté, qui comprend parfaitement toutes les affaires maritimes, est si sensible, qu'il a déjà ordonné que certains de ces instruments de plus petite taille (jugés les plus utiles) soient fabriqués et placés dans plusieurs de ses vaisseaux royaux. Et il faut croire que, lorsque leur utilisation sera plus largement connue, peu de navires (les hommes de guerre ou les hommes marchands) iront en mer sans eux.

III. Par temps calme, un amiral peut donner des ordres à toute sa flotte, même s’ils se trouvent à deux ou trois milles environ, sans envoyer de bateaux et de messagers d’un navire à l’autre.

IV En cas de grande expédition, des ordres peuvent être donnés par des forts tels que le château de Deal, etc. à un ou à tous les navires proximité de la route. Et s’il s’agit d’une question de secret, elle peut être parlée en recourant à un chiffrement,  convenu à l’avance entre le gouverneur de ce château et l’amiral ou le commandant en chef à bord de ces navires.

II. À terre.

I. Dans le cas où une ville ou une ville serait assiégée et si rapprochée, qu'aucun message ne pourrait être envoyé; par cet instrument, à un, deux ou trois milles, on peut les avertir qu'un secours s'approche, quel est le nombre, quand ils doivent s'y attendre et comment ils doivent se comporter à leur approche; et ceci en parlant en langage crypté, comme mentionné précédemment. Et au contraire, les assaillants peuvent-ils aussi bien utiliser cet instrument pour menacer et décourager les assiégés, non seulement les officiers et les soldats des remparts sur les murs et les boulangeries, mais tous les habitants et habitants quelle que soit la ville ou la ville soit.

II. Un général peut lui-même parler à toute son armée, même si elle est composée de quarante ou cinquante mille hommes ou plus, soit pour donner des ordres à ses commandants et officiers, soit pour encourager et redonner vie à ses mercenaires ordinaires.

III. Considérant à  présent qu'un héraut aux armes faisant une proclamation, bien que jamais aussi préoccupant et important, puisse à peine être entendu par plus de trente ou quarante personnes debout; grâce à cet instrument, il peut être entendu distinctement par plusieurs milliers. Et l'affaire est presque la même dans des tribunaux judiciaires comme le Kings-Bench à Westminster-Hall, etc. où beaucoup de sujets de Sa Majesté sont punis pour ne pas avoir entendu l'appel du crieur commun, en outre et au-delà de la sphère d'activité de l'organe parlant en langage crypté.

IV Un surveillant des travaux, de quelque sorte que ce soit, peut ainsi donner des ordres à plusieurs centaines de travailleurs sans retirer une seule fois son poste.

V. En cas d'incendies importants, où généralement tout le monde est pressé, les officiers et les commandants peuvent, en vertu de cet instrument, régir les assistants de manière à éviter tout désordre et toute confusion et, par conséquent, à éviter qu'une ville ou une ville ne périsse.

VI. Au cas où un certain nombre de voleurs et de voleurs attaqueraient une maison isolée et éloignée des voisins, par un instrument comme celui-ci, tous les habitants des environs, situés dans les environs d'un mille ou plus, seraient immédiatement informés, à la maison d'une telle attaque, du nombre de voleurs ou de pillards, comment ils sont armés et équipés, de quel type de personnes il s'agit, avec la couleur et la mode de leurs habitudes, et par quel moyen ils ont réussi à s'échapper, si ils ont des avec des animaux. Avec cela,  ils sauraient certainement avec quelle force retrouver ces cambrioleurs, où les trouver facilement et quels moyens utiliser pour les poursuivre. En aucun cas, les tambours, les trompettes, les cloches  ou tout autre machine ou Instrument actuellement utilisé ne peut faire cela.

Ces applications et bien d’autres encore sont peut-être les avantages de ce nouvel instrument, tel qu’il a déjà été inventé. Et je ne doute pas, mais qu'avec la dimension de la figure C. dans l'illustration 1. suffisamment élargie, elle pourrait rendre une voix audible à au moins huit ou dix milles, en mer ou à terre, avec un vent favorable. Et d'autres ajouts et améliorations à cette invention pourront être découverts ultérieurement par l'art et l'industrie des hommes ingénieux et savants, le Temps et l'expérience En attendant, si le monde accepte avec gentillesse mes premières démarches (Endeavours), ce sera un encouragement pour moi d’en produire d’autres.

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La machine à calculer de Morland (1666) conservée au Science Museum de Londres.

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Westminster Hall où se tenait le tribunal du King's Bench (aboli en 1873). Illustration extraite de ROWLANDSON T., PUGIN A.,, Ackermann's Microcosm of London (1808-11).

Aussi bien l'illustration que le texte de Morland laissent imaginer que l'acoustique y était peu satisfaisante. 

Source : Wikimedia

 

Il ne semble pas que Morland ait prolongé ses travaux sur la speaking trumpet. Ses travaux postérieurs portent sur une machine à calculer les monnaies,  les miroirs, la théorie des taux d'intérêt, l'hydrostatique. 

  • L'intérêt pour le porte-voix de Morland et le premiers modèles alternatifs en Angleterre

 

Une affiche annonce que la brochure de Morland est en vente chez Moses Pitt, un libraire établi sur la place de la cathédrale Saint-Paul et une traduction en français est publiée à Londres dès 1671. (7) 

La brochure de Morland a fait l'objet d'une recension dans The Philosophical Transactions, et le secrétaire de la Royal Society, Oldenburg a informé tous ses correspondants de l’instrument, qui a été comparé au télescope à réflexion inventé par Newton  à la même époque (8). Il a été considéré que le principe de la réflexion utilisé dans le porte-voix était similaire à celui du  télescope. Le 11 janvier 1672, Oldenburg écrit aussi au grand astronome Huygens pour lui demander son sentiment sur l'instrument de Morland (9). Après des considérations sur le télescope d'Isaac Newton, il ajoute: 

"J'ay depuis peu envoyé à Monsieur Vernon la figure et la description imprimée de la Trompe de Monsieur Moreland), l'ayant prié de vous la faire voir, et d'entendre vos pensées la dessus particulièrement sur le problème, qu'il y a inseré, touchant la veritable figure, et les dimensions d'un instrument, qui aggrandit le mieux et le plus la voix humaine. Je ne doubte pas, que vous ne l'ayez desia vû et consideré, et que vous n'ayez la bonté de nous en dire vostre sentiment; ce qui obligera particulierement"

Le savant hollandais ne répondra pas directement à la question relative aux trompettes de Morland. mais il semble qu'il ait été d'accord avec la conception ondulatoire du son que proposait l'ingénieur anglais. Dans son Traité de la lumière, comme le remarque Baskevitch,  "la démarche de Huygens concernant l'analogie entre le son et la lumière est particulière. La modélisation de la propagation des sons étant établie, il se sert de ce modèle pour proposer une théorie audacieuse concernant la propagation ondulatoire de la lumière. L'analogie est ici inversée, c'est la lumière qui se propage comme le son. Huygens n'en dira pas beaucoup plus sur la nature physique du son, mais la description qu’il fait de la propagation ondulatoire est essentielle. Une nouvelle modélisation apparaît, qui repose sur le mouvement d’ondes sans transport de matière." (10)Cette conception ondulatoire du son sera cependant éclipsée par celle de Newton, pensée en termes de propagation d'un mouvement de pression de l'air. Il faudra attendre les travaux de Fresnel (1818) pour voir réapparaître une théorie ondulatoire de la lumière et ceux de Helmholtz pour que s'impose une théorie ondulatoire du son.

Sans que cela encore bien établi, Morland, même s'il conserve quelques concepts de l'acoustique géométrique, paraît donc être un des précurseurs d'une théorie ondulatoire du son. Charles Morton, un enseignant anticonformiste de Harvard, créateur de l'école des Dissenters à Newington Green, reprend la théorie de Morland dans son Compendium Physicae. Ces notes de cours, rédigées dans les années 1680,  ne seront imprimées qu'en 1940, mais seront souvent recopiées par ses étudiants, dont Daniel Defoe. Elles deviendront un des principaux textes de philosophie naturelle en Nouvelle Angleterre, où Morton, victime de persécutions, fut forcé de s'exiler en 1686 pour devenir un des fondateurs de la Harvard University.(11)

 

Mais les premières réactions à ses propositions vont plutôt être expérimentales.. En Angleterre, Hooke, Jonathan Goddard et John Conyers ont tous produit différentes versions de porte-voix  pour les réunions de la Royal Society, qui organise des tests  en juin 1672. Le meilleur modèle a été jugé comme étant celui de Hooke (12).  Hooke a cessé de travailler sur le sujet, mais un nouveau modèle a été présentée à la Royal Society  en 1678 par Conyers. D'après son compte-rendu, une expérience a montré que des mots diffusés depuis le siège de la Royal Society avaient pu être compris par-delà le jardin et la Tamise (13).


 

Le porte-voix de Conyers (1678)

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(7) HALLIWELL-PHILLIPPS, op.cit., p.15.  Cette version française qui aurait été éditée à Londres n'est pas signalée dans le catalogue international des bibliothèques, Worldcat.

 

(11) "The Hearing" in MORTON C.,  Compendium Physicae, Publications of the Colonial Society of Massachusetts, 1940, p.165

(12) BIRCH T., History of the Royal Society of London, 1756—7, History, vol. 3, pp. 51, 54, 55, 56 (5, 9, 26June, 3 July 1672). Robert Hooke note dans son Memorandum Book, en date du Thurd. 23 May 1672 "At home Sir S Moreland. Coxes". Le nom de Morland apparaît encore en date du 11 et 12 juin. Voir HENDERSON, F., "Unpublished material from the Memorandum Book of Robert Hooke, Guildhall Libray M 1758", Notes and Records of the Royal Society,Volume 61, Issue 2, 2007.

(13) 'Extract of a letter from Mr. John Conyers of his Improvement of Sir Samuel Morland’s Speaking Trumpet’, Phil. Trans., 12 (1678), 1027-9. Cité in GOUK, op.cit.. Traduction en français : Abrégé des Transactions Philosophiques de la Société Royale de Londres. Onzième et Douzième parties. Antiquités, Beaux - Arts, Inventions et Machines / par M. Millin de Grandmaison ; Ouvrage traduit de l'anglois et rédigé par M. Gibelin, 1789, pp. 315-316.

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Deux types de porte-voix présentés par Conyers. Source : 'Extract of a letter from Mr. John Conyers of his Improvement of Sir Samuel Morland’s Speaking Trumpet’, Phil. Trans., 12 (1678),

En 1683, le R.P. Narcissus Marsh, qualifie le Stentoro-phoneticon de "rude and unartificial instrument". Si un appareil aussi sommaire produit déjà de tels résultats, pourquoi un appareil plus sophistiqué composés suivant les règles de l'art, c'est à dire pour le R.P. Narcissus, respectant les lois du mouvement sonore et de la réfraction (en particulier en cas de tempête nocturne en mer) ne produirait-il pas des résultats plus évidents ? (14)

  • La théorie du son d'Isaac Newton et le porte-voix

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Isaac Newton intervient dans le débat en 1687 avec la première édition, en latin, des Philosophiae naturalis principia mathematica. Comme l'explique Baskevitch, "c’est un des ouvrage essentiel de l’histoire de la physique, qui présente les théories de Newton sur la mécanique et l’astronomie..  La section VIII du livre 2 traite de la ‘propagation du mouvement dans les fluides élastiques ou non. Les dernières propositions traitent du son, et à la fin de ce chapitre, Newton parle en quelques lignes du porte-voix, comme pour apporter sa contribution attendue au débat en cours." 

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Les Principia sont traduits en français en 1756 par la Marquise du Châtelet. Aux "tubis Stenterophonicis", la traductrice préfère les porte-voix :

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Cependant comme l'explique Baskevitch (17), cette traduction est imprécise : "L’usage que Newton fait des mots en latin n’est pas neutre, et comme souvent, la traduction n’apporte pas les nuances nécessaires. Si Newton emploie les termes recursus et recurrere, alors que reflexio et reflexere sont à sa disposition, ce n’est pas par effet de style, et la traduction (de la Marquise du Châtelet) par ‘réflexion’ et ‘se réfléchir’ est inappropriée. Si le sens général de recurrere est de rebrousser chemin, avec une idée de retour en arrière, reflexere implique d’abord une flexion, une action de tordre en arrière. On voit bien, dans la ‘réflexion’, l’idée d’angle formé par le rayon lumineux, comme brisé par l’obstacle qu’il rencontre. Newton évoque plutôt un rebroussement du flux sonore, un retour en arrière, presque une inversion. Et c’est en effet ce qui se produit lorsqu’une onde sonore parcourt un tube : venant buter à son extrémité contre l’air extérieur inerte, l’onde se retourne et revient en arrière, elle rebrousse chemin. Il s’agit ici d’un autre phénomène que celui de la ‘réflexion’ décrit par le modèle lumineux, qui est une modification de trajectoire. Dans le cas du porte-voix, ce que suggère Newton, c’est que cette onde inverse vient renforcer, après une deuxième inversion, l’onde principale, et donc accroître son intensité.

 

Le tube, par son volume, confine le flux sonore (in Tubis dilatationem sonorum impedientibus), et fait obstacle à sa dilatation. Ce flux se divise, en quelque sorte (tardius amittitur et fortius recurrit), une partie vers l’extérieur, qui se perd plus lentement, et une partie vers l’intérieur, qui revient en arrière plus fortement. Le son s’amplifie donc par l’augmentation de pression (impresso, d’imprimere, ‘faire pression’, et pas seulement ‘imprimer’) permise à chaque retour (singulis recursibus) de l’onde à son origine. Il semble bien que Newton ait pressenti cette propriété essentielle de la propagation des ondes, qu’on finira bien par nommer ‘réflexion’, mais qui n’a pas grand chose à voir avec les trajectoires des ‘rayons sonores’de Kircher. Cette propriété est essentielle pour la compréhension des tubes sonores, puisqu’elle est à l’origine des ondes stationnaires qui font sonner les tuyaux d’orgues, les flûtes et les trompettes. Dans les porte-voix, cette propriété est en effet mise à contribution pour une partie de l’amplification des sons, l’autre partie étant assurée par le pavillon qui permet au flux sonore de s’adapter progressivement à l’inertie de l’air extérieur, on l’apprendra bien plus tard en créant le concept d’impédance acoustique."

Les propos de Newton sur le porte-voix n'auront pas d'échos immédiats, mais le débat sur les propositions de Morland va prendre une tournure beaucoup plus passionnée en France, en Italie et, plus tardivement, en Allemagne.

André Lange, 9 mai 2019

(14) R.P. Narcissus, Lord Bishop Ferns and Lenghlin, "Essay to the Doctrine of Sounds"  Philosophical Transactions, 20 February 1784, p.481. L'essai est repris dans un recueil publié en 1705 puis 1708 par le grand astronome Edmond Halley. Miscellanea curiosa : Containing a collection of some of the principal phaenomena in nature, accounted for by the greatest philosophers of this age; being the most valuable discourses, read and delivered to the Royal Society, for the advancement of physical and mathematical knowledge., Jeffery Wale, 1705R. Smith, 1708.

Isaac Newton Philosophiae Naturalis Pinc
Newton_Principes_mathématiques_1756.JPG

(16) NEWTON, I., Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Traduction de Madame la Marquise du Chastellet, vol.I Paris, 1756, p;412

(17) BASKEVITCH, F., art.cit.

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Emilie du Châtelet (1706-1749) , mathématicienne et traductrice des Principes mathématiques de la philosophie naturelle de Newton. Portrait par Latour.

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