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UNE ARCHEOLOGIE DE L'AMPLIFICATION, DE LA REPRODUCTION ET DE LA TRANSMISSION DU SON

 

7. La réception de la trompette parlante de Samuel Morland en France, Italie et en Allemagne à la fin du 17ème siècle
 

 

La publication de Samuel Morland présentant sa speaking trumpet a été très rapidement connue sur le continent. La célérité avec laquelle ont été publiées des traductions en français et en italien, ainsi que le nombre de commentaires et de contre-propositions illustrent l'intérêt qu'elle a suscité, tant par le questions théoriques qu'elle soulevait sur le son et la possibilité d'augmenter celui-ci  que par les enjeux pratiques entrevus. Nous proposons ici un recensement, probablement incomplet, de ces réactions, sans toujours entrer dans les détails techniques, qui demanderaient une présentation beaucoup plus développée.

 

  • La réception en France

 

En France, la réception de la brochure de Morland se fait de manière très précoce puisque dès février 1672 sa parution, et une prochaine traduction en français, sont annoncées par Jean-Baptiste Denis. Celui-ci, médecin personnel de Louis XIV, était en charge de la la publication du Journal des sçavans. Il en interrompt de manière exceptionnelle la publication pour se consacrer à la publication d'un  Recueil des mémoires et conférences concernant les arts et les sciences’ qui rassemble les publications mensuelles de mémoires présentés par certains savants, adressé au jeune Dauphin, Louis, futur Grand Dauphin, qui a à peine dix ans.  Dès le premier mémoire daté du 1er février 1672, Denis introduit le sujet en présentant le Tuba stentoro-phonica et en annonçant la publication prochaine de la traduction de la brochure de l'ingénieur anglais. Celle-ci se fait dans le  Deuxième mémoire, le 15 février 1672. Si l'on considère que les autres mémoires du recueil incluent notamment la présentation du téléscope de Newton, d'un mémoire sur l'ovulation chez les femmes par Kerckring ou encore le traité de Huet sur l'origine des romans, on voit que la brochure de Morland a fait l'objet d'une véritable mise en valeur. Cela peut s'expliquer par les intérêts pratiques et stratégiques des propositions de Morland, mais peut aussi peut-être s'expliquer par les bonnes relations diplomatiques entre Londres et Paris depuis le traité secret de Douvres signé le 1er juin 1670.

 

Le Recueil ne se limite pas à proposer une traduction de la brochure de Morland. Il inclut également un Neuvième mémoire concernant les arts et les sciences présenté à Monseigneur le Dauphin, le deuxième may 1672. / Discours sur l'invention, les épreuves, & les proportions de la trompette à parler loin. 

 

Ce mémoire anonyme, peut-être écrit par Denis lui-même, signale que des trompettes similaires ont déjà été construites dix-huit auparavant, à la demande du R.P. Salar, Chanoine des Augustins, mais pour des usages musicaux. Le mémoire évoque également le cor d'Alexandre le Grand déjà cité par Athanasius Kircher et établit la liste d'expériences réalisées en Italie et en France à partir du modèle de Morland. L'auteur du mémoire rapporte en avoir fait construire lui-même une à Paris d'une taille plus grande que celles de Morland et qu'une trompette a été envoyée de Londres à Paris. La fin du mémoire décrit de manière assez sommaire la trompette construite à Paris, en renvoyant à la figure ci-dessous.

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Jean-Baptiste Denis, médecin de Louis XIV 
(Musée d'Histoire de la Médecine, Faculté de Médecine de Paris)

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  • La trompette parlante de Laurent Cassegrain (1673)

Le neuvième mémoire est suivi d'un Extrait d'une lettre écrite de Chartres par M Cassegrain; sur les proportions des trompettes à parler de loin. Cette lettre de Cassegrain avait déjà été évoquée par une "Extrait d'une lettre de M. De Berce écrite à Chartres à l'auteur de ces mémoires, touchant la trompette à parler de loin, dont on a donné l'explication dans le second Mémoire; & touchant la nouvelle Lunette de M Newton, dont il a été parlé dans le troisième."  Le nom de Cassegrain est surtout connu des astronomes, car ce savant a été le premier à mettre en évidence les faiblesses du télescope de Newton et a proposé un modèle alternatif, pour lequel il revendiqua, mais trop tardivement, la priorité. Malgré sa notoriété chez les historiens de l'astronomie, il a cependant fallut attendre 1997 pour que son identité, de même que celle de ce M. de Berce soit identifiée par deux historiens : Laurent Cassegrain était professeur au Collège de Chartes et était correspondant de Huygens. Quant à M. de Bercé, il s'agit du chanoine Claude Estienne (1).

 

Cassegrain note que les porte-voix parisiens l'emportent de beaucoup sur celui de Morland et donne à la voix au moins dix-fois plus de force qu'elle n'en a naturellement. Le Journal des Scavans note que M. Cassegrain a résolu le problème des porte-voix : ceux qui font le plus d'effet sont ceux dont les longueurs et les largeurs suivent la loi de la progression harmonique. La solution de Cassegrain au problème posé par Morland est de s'inspirer des pratiques de fondeurs de cloches et de concevoir une "trompette harmonique" avec deux diamètres correspondant aux sections du monocorde, c'est à dire une trompette de forme hyperbolique. Cassegrain arrive à des conclusions proches de celles qu'Aproino avait communiquée à Galilée en 1613.

 

Pour Cassegrain la grosseur de la trompette fortifie la voix et  la longueur la fortifie. En théorisant, plus que ne l'avait fait Morland, les proportions idéales de la trompette parlante, Cassegrain relance un débat qui va retenir l'attention des acousticiens pendant plus d'un siècle. Selon Baskevitch, "Cassegrain fait preuve d’anticipation avec son porte-voix, puisque la courbe exponentielle qu’il propose est une des formes retenues de nos jours dans les équipements de diffusion sonore directive et intense. Pour la forme idéale du porte-voix, Cassegrain propose une proportion harmonique entre la largeur (le diamètre) et la longueur de l’instrument. Sa démarche est peu claire, il invoque la construction des cloches et pense que les rapports harmoniques doivent être représentés dans le calcul de la forme idéale. Pour cela Cassegrain détermine sur un axe, celui du rayon de l’appareil, des divisions correspondant aux puissances de 2, c’est-à-dire aux octaves, de 2 à 8, en partant d’un rayon de 1 pouce. Puis, sur l’autre axe, longitudinal, il part du pavillon, c’est-à-dire du grand diamètre de la trompette, reporte la grandeur 8 provenant de la largeur, et ajoute son double, 16 donc, et encore son double, 32. La longueur totale est donc de 56 pouces. Cassegrain trace ensuite la courbe avec des points intermédiaires correspondants aux rapports harmoniques issus de la division du monocorde"

  • Le porte-voix Père Emmanuel Maignan (1673)

En 1673, parait, de manière posthume, la deuxième édition du Cursus philosophicus un important traité du Père Emmanuel Maignan (1601-1671), théologien et physicien toulousain, resté célèbre pour ses anamorphoses. Dans le dernier chapitre "De Tuba Vocali" de cette oeuvre, Maignan publie des considérations sur les porte-voix  et en particulier la la trompette parlante de Morland.

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Reprise dans la Collection Académique, tome 1, François desventes, 1755, pp.264-265 de la planche de la brochure de Morland, traduite pour le Receuil des mémoires.

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(2) R.P. Emanuelis Maignan Tolosatis ordinis Minimorum, philosophiae ac sacrae theologiae professoris, Cursus philosophicus, recognitus et auctior concinnatus ex notissimis cuique principiis, ac praesertim quo ad res physicas instauratus ex lege naturae experimentis passim comprobata, Toulouse, 1673.

D'après le Mercure galant d'octobre 1689 (pp.41-42), Maignan fut aidé par l'Abbé Guilhemot dans ses recherches sur "ces Trompes fervent si utilement (...) pour porter la voix fort loin Il parle à fond des chofes~ && traite tout avec beaucoup de solidité

Planches du Cursus philophicus de Maignan relatives au porte-voix.

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  • Le porte-voix de Jean de Hautefeuille (1674)

En 1674, le prêtre physicien et inventeur Jean de Hautefeuille (1647-1724) publie une brochure de 22 pages Explication de l'effet des trompettes parlantes. (3)

 

Hautefeuille raconte qu'aussitôt connue la proposition de Morland, avant même la publication des mémoires de Denis et de Cassegrain, il se confectionna une trompette de carton, faute de pouvoir en faire fabriquer une en cuivre ou en fer-blanc. Sa trompette avait 7 à 8 pieds de long et 12 à 13 pouces de grand diamètre. Il se livre à des expériences d'écho qui lui "donnerent occasion de faire cent jolies expériences". Il signale qu'après la parution du mémoire de Denis, l'abbé  Jean Gallois (directeur du Journal des Scavans de 1666 à 1674) fit réaliser un instrument composé de quatre trompettes, jointes ensemble avec un seul embouchoir et un pavillon commun. Le physicien Jean Dalancé (1640-1707) en fit également faire plusieurs, dont une sur le format du cor d'Alexandre. On fit même venir des trompettes d'Angleterre et "il ne fut question que de l'expliquer, d'en chercher les raisons et de l'augmenter si possible, car il n'était pas tel que les Anglois l'avoeint écrit dans leur journal".

 

D'Hautefeuille est un des premiers au 17ème siècle à rejetter l'analogie du son avec la lumière et les analyses géométriques qu'elle entraîne, par exemple chez Athanasius Kircher. Plutôt que d'embarquer sur de longues explications sur la nature du son et de la formation de la voix, qu'il suppose connues, d'Hauteville propose une nouvelle trompette, inspirée des anches des tuyaux d'orgue. Son système n'est pas basé sur l'idée d'une forme idéale, calculée sur des principes géométriques, mais, comme le résume l'introduction à la réédition de sa brochure en 1788, en un "certain assemblage et une certaine combinaison de cavités, lesquelles n'affectent aucune forme régulière ni géométrique". Il n'existe malheureusement pas, à notre connaissance de graphique illustrant l'invention de d'Hautefeuille.

Le fait que la brochure de d'Hautefeuille ait ait été rééditée à deux reprises, dont la seconde plus d'un siècle après sa parution initiale, illustre l'intérêt qu'elle suscita. D'Hauteville fut même reçu par Claude Perrault, l'architecte du Louvre. Celui-ci s'intéresse à la question et en traite rapidement dans ses Essais de physique, ou Recueil de plusieurs traités touchant les choses naturelles, publiés en 1680. (4) La question des trompettes parlantes y est rapidement traitée (pp.146-147) dans le cadre de considérations sur les trompettes et le bruit. Perrault note que "l'augmentation du bruit est fort remarquable dans les trompettes parlantes". Il évoque des instruments beaucoup plus longs que les "trompettes de guerre" : elles auraient "jusqu'à quinze pieds de long, étant grosses à proportion". Les lèvres entières peuvent être enfermées dans la trompette. Elle augmente la voix de la même manière que le palais augmente le son produit par la glotte.

La brochure de Hautefeuille est encore citée en 1800 dans un mémoire de Charpentier Beaumont sur les moyens d'aider l'organe de l'ouïe, mémoire sur lequel Gaspard Monge et le physicien Jacques Charlier font rapport à l'Académie le 1à fructidor de l'an VIII. 

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(4) PERRAULT C., Essais de physique, ou Recueil de plusieurs traités touchant les choses naturelles. Tome 2, J.P. Coignard, 1680, pp.146-147. Compte-rendu dans Le Journal des Scavans, 1er juillet 1680,  pp;218-224.,Voir également un compte-rendu des travaux de Perrault, "Le Son" (1677), in Histoire de l'Académie royale des sciences avec les mémoires de mathématique et physique, Hochereau, 1699, pp. 200-211.

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  • Le Père Chérubin, l'abbé Laurent Bordelon et le mathématicien Jacques Ozanam

En 1675, la trompette parlante est évoquée dans le poème La Gloire des armes et des lettres sous Louis XIV. - Prière pour le Roy. de Bernard de La Monnoye, qui remporte le Prix de l'Académie française.

La même année, dans une lettre du 27 février, le Père capucin Chérubin, réputé géomètre habile, adresse une lettre à son ami Toinard dans laquelle il raconte avoir effectué en présence du général de son ordre : "Je fis entendre très distinctement, à quatre-vingt pas de distance, et discerner les voix de particulier, dans une multitude, qui parlait ensemble, quoique dans le milieu on ne les put aucunement entendre, car ils ne parlaient qu'à voix basse, ​et néanmoins on n'en perdait pas une syllabe".(5) On n'en sait pas plus sur cette invention, qui n'était peut-être qu'une expérience de trompette parlante, car le supérieur du Père Chérubin lui interdit de divulguer cette invention qui pouvait être dangereuse pour la société civile. L'anecdote nous confirme cependant que travailler sur l'amplification et la transmission du son restait à cette époque une activité délicate.

La trompette parlante est citée dans un traité de philosophie en 1681, dans un traité de physique en 1690 (6) et dans un petit traité de cryptographie proposé par le Mercure Galant (7). La même année, l'abbé Laurent Bordelon, dans l'article sur l'Oracle de Delphes de ses Remarques ou réflexions critiques, morales et historiques reprend la théorie du Père Kircher selon laquelle les prêtres utilisaient des trompettes parlantes pour abuser les fidèles, sujet qui va devenir un thème important de débat à la fin du siècle.(8)

En 1696, le mathématicien français Jacques Ozanam (1640-1718) consacre plusieurs pages de ses Récréations mathématiques et physiques au problème  "Faire un instrument qui fasse ouïr de loin". Il cite Kircher et Morland, tout en indiquant que celui n'a pas donné de figure très exacte de sa trompette parlante, ce qui lui donne l'occasion d'en proposer une. Il cite les emplois déjà évoqués par Morland (en mer, pour guider les armée ou les chantiers). Il recommande le fer-blanc pour la fabrication des porte-voix et propose aussi des graphiques illustrant l'intérêt des voutes de plafonds elliptiques pour la propagation des sons. (9)

 

 

  • La réception en Italie

La réception de la brochure de Morland sera évidemment moins centralisée en Italie qu'en France en raison de la fragmentation du territoire et de l'existence de différents pôles de pouvoir et d'activités scientifiques. Une traduction en italien en est publiée par le Giornale de Letterati en janvier 1672, avant-même la traduction française (10). L'auteur de la traduction s'émerveille de cette découverte, comparée à l'invention du télescope et du microscope, et rapporte diverses expérimentations menées à Rome. L"une d'entre-elles, menée par l'astronome français Adrien Auzout (1622-1691) pour le compte de l'Eveque de Laon, César d'Estrée, avec une trompette de forme hyperbolique, a donné des résultats probant sur un mile et même 1,5 mile en mer.

Mgr Ciampini, qui sera bientôt le fondateur de l'Accademia Fisicomatematica, en fait construire trois en fer blanc et en laiton, en forme de cône. Il est aussi signalé l'intention d'utiliser des trompettes parlantes pour augmenter la puissance d'autres instruments tels que le luth ou le clavecin. Puisque l'hypothèse est que plus la trompette est grande plus sa portée est lointaine, il est envisagé d'en construire de très grandes, sur le modèle du cor d'Alexandre indiquée par le Père Kircher. Dans son numéro du 29 octobre 1672 (pp.160-161), le Gionale de Letterati rend compte de la parution à Paris du Neuvième Mémoire et de la note de M. Cassegrain. La trompette parlante harmonique de celui-ci est considérée comme similaire à celle d'Adrien Azout, dont il est noté que les expérimentations ne confirment pas les calculs optimistes de M. Cassegrain.

Cette publication et les premières expériences menées à Rome expliquent probablement la réaction rapide du Père Athanasius Kircher, avec la publication, dès 1673 de sa Phonurgia Nova (que nous analysons ici), dans laquelle le savant jésuite défend la priorité de son invention et de ses expériences.  

  • Paolo Casati et l'Académie de Parme (1673)

La trompette parlante est d'une telle popularité parmi les savants que paraît s'être réunie en 1673, à Parme, sous l'égide du Duc Ranuce II Farnese, une Académie de 15 physiciens et de mathématiciens, "I Scelti", venus de diverses villes du Nord de l'Italie et qui dissertent, avec arguments d'érudition historiques, théories acoustiques et démonstrations géométriques sur l'instrument. Une brochure de 38 pages est publiée qui se présente comme le verbatim des interventions. (11) Cette brochure est-elle cependant le compte-rendu d'un réel séminaire?

(5) Lettre citée dans l'article "CHERUBIN (Le Père), in Dictionnaire des sciences mathématiques pures et appliquées, Denain et Delamare, 1835, p.322.

(6) DU HAMEL, J.B.,  Operum philosophicorum, Johannis Zigieria, NUrember, 1681, p. 560. ; REGIS P.S., Système de philosophie, contenant la logique, la métaphysique, la physique et la morale. Tome 3, impr. de D. Thierry, aux dépens d'Anisson, Posuel et Rigaud, libraires à Lyon, 1690, p.126-127.

(7) "Autre manière facile d'écrire occultement par les lettres ordinaires de l'alphabet que l'on peut ensuite envoter en chiffre", Le Mercure Galant, juillet 1690, p.59.

(8) Remarques ou réflexions critiques, morales et historiques sur les plus belles et plus agréables pensées qui se trouvent chez les auteurs anciens et modernes, Arnoul Semeuse, 1690, pp. 210-211

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(9) OZANAM J., Récréations mathématiques et physiques qui contiennent plusieurs problèmes d'arithmétique... , de géométrie, d'optique, de gnomonique, de cosmographie, de mécanique, de pyrotechnie et de physique, J. Jombert, Paris, 1694. Tome II, pp. 163-170.

(10) "Tuba Stentoro-Phonic, un instrumento di gran uso in Mare, e in Terra, inventato e variamente sperimentato nel ano 1670 e presentato alla Maesta di Carlo II, re d'Inghlieterra nell ano 1671 dal Cavalier Morland", Giornale de Letterati 29 gen. 1672, pp.9-16. Les versions disponibles en ligne ne fournissent pas les planches, traduites en italien et reproduites in GOZZA, E., "Anche i megafoni hanno un'anima: la "Tromba parlante" (1678) di Geminiano Montanari", Recercare, Vol. 16 (2004), pp. 113-131 

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L'astronome français Adrien Azout, qui fut le premier à expérimenter une "tromba parlante" à Rome.

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Sur la réaction d'Athanasius Kircher, par la publication de la Phonurgia Nova (Rome, 1673), voir la page qui lui est consacrée.

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Les deux éditions de La tromba parlante, 1673

Différents éléments portent à croire que cette brochure est en fait l'oeuvre du Père jésuite Paolo Casati (1617-1707), originaire de Piacenza. Celui-ci a enseigné au Collège Santa-Lucia de Bologne (1644-1649) puis au Collegio Romano (1650-1655). En 1656 il est retourné dans le Nord de l'Italie, pour y assumer différentes fonctions, dont celle de recteur du Collegio San Rocco de Parme. C'est un mathématicien réputé qui est en correspondance avec de nombreux savants jésuites, mais aussi laïcs, dont les cercles galiléens. Il participe aux travaux de l'"Accademia degli Scelti", Académie littéraire et chevaleresque fondée le 27 février 1672 par le duc de Parme Ranuccio II Farnese, au sein du "Collegio dei nobili" de Parme. L'Accademia degli Scelti ("académie des élus") est une institution des collégiens qui se sont distingués pour leur mérite dans les lettres, armes et «spécolativa».(12). Spécialiste de l'oeuvre de Casati, V. Gavagna qualifie d"oeuvres divulgatives dialoguées" La tromba parlante ainsi qu'un autre traité, Le ceneri dell’Olimpo ventilate publié en 1657.(13) (14)

Même si les dialogues écrits par Casati sont en partie fictionnels, il n'est pas interdit de penser que la brochure correspond à une sorte de mise en forme littéraire des actes d'un séminaire qui s'est réellement tenu. Le 17 juillet 1677 le Père  Casati écrit une longue lettre au Père Bartoli (1608-1685), une des autorités jésuites en matière d'acoustique, qui l'a probablement complimenté sur la brochure, Casati s'excuse de ses propres imperfections et explique qu'il n'était pas facile de tout traiter en rendant compte de discussions qui se sont déroulées en une journée devant le Grand-Duc. Il note que la plupart des intervenants de l'Accademia étaient des philosophes qui donnaient leur avis en faisant des suppositions ("parlassero de proprio senso"), alors qu'un seul intervenant, en l'occurrence un certain Gasparo Aleardi, de Vérone, fit une présentation mathématique.(15) Ce Gasparo Aleardi, gentilhomme de Vérone paraît bien avoir existé. Ce nom apparaît dans d'autres publications de l'époque. Son intervention, basée sur une analyse géométrique de la propagation du son dans la tromba, tend à montrer qu'une forme conique est préférable à une forme cylindrique. Une gravure accompagne sa démonstration.

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Planche illustrant l'intervention de Gasparo Aleardi lors de l'Academia de Parme

Dans sa lettre à Bartoli, Casati revient sur la question non traitée dans la brochure, qui est celle de l'effet du vent sur la propagation du son. Il fait allusion à des expériences menées par des Florentins sur cette question, probablement des disciples de Galilée, mais s'interroge sur la précision des mesures qui sont prises dans ce type d'expérimentation. Il attitre également l'attention de Bartoli sur la description anatomique de l'oreille que vient de donner le chirurgien vénitien Antonio Molonetti dans ses Dissertationes anatomico-pathologicae (Lib.X, ch.VII, 1675).(15)

  • Le Père Bartoli et Francesco Lena de Terzi

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Bartoli a tiré profit des informations de Casati publie en 1679 un traité Del suono de' tremori armonici e dell'vdito. Ce traité semble peu cité et étudié par les historiens de l'acoustique. On trouve pourtant ce qui est probablement la première représentation graphique de l'oreille interne (16); Bartoli, comme Morland, ouvre sa réflexion sur le son par une observation des ondes à la surface de l'eau. Comme Kircher, il s'intéresse aux phénomènes d'écho, à la trompette parlante, aux acoustiques remarquables (en particulier la Chambre des géants du Palazzo Té à Mantoue et la Villa Simonetta), aux systèmes d'écoute dans les palais. Toutes ses observations le conduisent cependant, dans sa conclusion, à confirmer la thèse aristotélicienne selon laquelle le son n'est que frémissement et mouvement de l'air. L'exemple de la déperdition de qualité dans le cas l'utilisation de la tromba parlante par vent contraire (évoquée par un des intervenants de l'Accademia Tromba parlante qu'il cite) en est un des preuves parmi d'autres. 

Un autre jésuite remarquable, Francesco Lena de Terzi (1631-1687), qui sera connu plus tard pour un projet d'aéronef, ne semble convaincu ni par les travaux de Casati sur la tromba parlante (17) ni par l'orthodoxie aristotélicienne de Bartoli. Il écrit à celui-ci qu'il attend une tromba pour faire des expériences et le 21 juillet 1677, lui fait part de son désaccord avec ses théories. Non sans ironie, il regrette de ne pas avoir inventé le moyen qui lui permettrait d'étendre sa voix jusqu'à ses oreilles pour pouvoir le convaincre à ses arguments. Il affirme que raisonner sur le son par analogie avec les rayons lumineux est une vanité, mais pourtant tout le monde le fait. Pour lui le son est mouvement non de l'air mais de corps solides. "Si c'était l'air réfléchi, heurté, non dispersé, etc. qui occasionnait les effets de la trompette parlante, pourquoi est-ce que cela n'arriverait pas aussi bien dans une de plomb que dans une de laiton, ou dans une couverte à l'intérieur comme à l'extérieur de tissu ou de parchemin ?". Lana reviendra sur la question en 1686 dans le Livre X, consacré au son, de son Magisterium naturae et artis. Il créé à cette occasion, pour désigner la trompette parlante, l'expression latine "tuba locutoria" plutôt que d'utiliser le "tuba vocalis" que l'on trouve chez Maignan (18).

 

 

 

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(11) La Tromba parlante academia, in cui li signori academici scelti del Collegio de' Nobili di Parma alla presenza del serenissimo signor duca di Parma, Piacenza, &c. loro protettore discorrendo tra di loro vanno inuestigando le ragioni si fisiche, come matematiche del notabile ingrandimento, e propagatione della voce di chi parla in detta tromba , Mario Vigna, Parma, 1673. Seconda impressione, 1673.

(12) Le rôle des Jésuites à Parme durant l'époque Farnese a fait l'objet de nombreuses études. Voir notamment CAPASSO G. Il collegio dei nobili di Parma, L. Battei, Parma, 1901

 

(13) GAVAGNA, V., "Paolo Casati et la scuola galileana", in PEPE L., (a cura di), Galileo e la scuola galileiana nelle Università del Seicento, IRIS Università degli Studi di Ferrara​, 2011, pp.311-326. Le rôle des Jésuites à Parme durant l'époque Farnese a fait l'objet de nombreuses études. Voir notamment CAPASSO G. Il collegio dei nobili di Parma, L. Battei, Parma, 1901

 

(14) Les bibliographies du Padre Casati, au moins à partir de 1708 mentionnent qu'il est l'auteur d'une Tromba parlante parue en 1673 chez Mario Vigna, c'est à dire le même éditeur que la brochure de l'"Accademia Tromba parlante". Tout porte à croire que cette publication attribuée au Padre Casati et la brochure de l'Accademia Tromba Parlante sont bel et bien le même document. L'élément le plus probant est sans doute une citation de la Tromba volante de Casati par Bartoli  dans son traité Del suono de' tremori armonici e dell'vdito (1679), un des premiers livres qui s'intéresse à la physiologie de l'oreille interne : la citation est en fait celle des propos d'un des Nobili de l'Accademia Tromba parlante. Une publication La  tromba parlante per il Vigna,  est mentionnée dans le catalogue des oeuvres du P. Casati in "Eloge du Père Casati", in Mémoires pour l'histoire des Sciences et des Beaux Arts, Chez Jacques Etienne, Trevoux, 1708, pp.1453-1460. et se retrouve dans les publications successives sur Casati.

 

Le procédé de recours à des personnages, fictifs, ou réels, connu sous le nom de forme dialogique" était celui du Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo de Galilée (1632), et, comme le remarque Veronica Gavagna, Casati avait déjà pratiqué ce genre avec ses dialogues Terra machinis mota publiés en 1655 puis 1658.  

En référence à sa Tromba parlante, Casati a parfois été considéré en Italie comme un précurseur du télégraphe. Voir RAMBELLI, G., "Lettera XLI. Telegrafo - Telegrafo electromagnetico", in Intorno invenzioni e scoperte italiane, Dalla Tipografia Vincenzi e Rossi, 1844, p.199

(15) Lettre du 9 juillet 1677 in Lettere edite ed inedite del padre Daniello Bartoli ... e di uomini illustri scritte al medesimo, A. Mareggiani, 1865, pp.131-136

(16) BARTOLI, D., Del suono de' tremori armonici e dell'vdito, s.l.,1679, pp. 93

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Représentation graphique de l'oreille interne dans BARTOLI, D., Del suono de' tremori armonici e dell'vdito, s.l.,1679

(17) Il existe une lettre, non datée de Francesco Lana de Terzi au Père Bartoli (1608-1685), dans lequel l'auteur évoque une publication sur la "tromba parlante" du Padre Casati, qui aurait été imprimée "in foglio" à Paris en 1651. (Lettre de Francesco Lana au Père Bartoli, in BOERO G. (a cura di), Lettere edite ed inedite del padre Daniello Bartoli ... e di uomini illustri scritte al medesimo. A. Mareggiani, Bologna, 1865 p;109.) Cette  publication en latin  n'apparaît ni das les bibliographies du Padre Casati ni dans le Worldcat.. On peut supposer que Lana ironise sur la brochure Accademia Tromba parlante.

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Francesco Lena de Terzi

(18) LANA TERZI, F., Magisterivm natvrae et artis : opvs physico-mathematicvm, vol.II, Mariam Ricciardum, 1686, p.436; pp.468-469

  • Giuseppe Landini 

L'allusion que faisait Casati aux expériences des Florentins s'explique peut être par  une lettre, publiée n 1711 par le Giornale de Letterati et qui a été envoyée par le florentin Giuseppe Landini au Marquis Scipione Maffei dans laquelle Landini prétend avoir commencé à travailler sur une trompette parlante avant la publication de Hautefeuille, c'est à dire avant 1674. Il affirme expérimenté une trompette qui permettait à la fois de parler et d'écouter à distance. Il s'en serait entretenu avec le Prince de Toscane (c'est à dire probablement le Grand Duc Cosme III de Medicis) mais avoir du interrompre ses recherches en raison d'un départ pour la France où il devait assurer la promotion d'une autre invention, un faisceau lumineux à distance.

  • La tromba parlante, oraison panegyrique du Cardinal Spada

 

Un autre document curieux, qui pourrait être en relation avec l'Accademia Tromba Parlante de Parme est l'oraison panégyrique que prononce le 23 avril 1675 à Lucques, le jurisconsulte  Giovanni Torre (1637-1711) en l'honneur du Cardinal Giambattista Spada, décédé le 23 janvier de cette année (19). Pour des raisons que nous n'avons plus éclaircir, ce texte, bavard et plein d'allusions obscures, est intitulé Tromba parlante. Il fait clairement référence à l'invention anglaise mais l'expression "tromba parlante" y est prise dans un sens métaphorique. La "tromba parlante" est définie comme plus glorieuse que la très allégorique "tromba della fama", mais "avec un son plus véridique, elle répand la voix des naivetés (ingigantite) sinon des mensonges (bugiarde)". Giovanni Torre fut conseiller du Grand-Duc Ranuce II à Parme jusqu'à sa mort et a donc probablement été impliqué dans l'organisation du séminaire de 1673. 

  • Germanio Montanari, Francesco Eschinardi, Manfredo Settala

En 1678, Germanio Montanari, Professeur de mathématiques à Bologne, publie une brochure La tromba parlante, plus mythologique et philosophique que scientifique. La trompette parlante y est présentée comme une réalisation de Mercure, déjà inventeur du luth. L'écho est à l'origine de la force du son transmis par la "tromba parlante" et est interprété comme l'emblème de la philosophie naturelle du son. Montanari explique également la théorie du son de Galilée. (20) La réédition du discours en 1696 puis en 1715 attestent de l'intérêt qu'il a suscité dans les cercles vénitiens. Il reste, avec la brochure de Casati, la contribution italienne la plus citée sur le sujet.

La tromba parlante fait également l'objet de quelques considérations du jésuite Francesco Eschinardi, professeur de philosophie et de mathématique au Collegio Romano dans ses Raguagli (1680). Eschinardi est un des collègues que Kircher citait dans la Phonurgia nova comme témoin de ses recherches sur les porte-voix.  On  trouve ses considérations dans une lettre adressée à son ami Domenico Cassini, installé à Paris, est considérée comme le mémoire officiel des travaux de l'Accademia fisicomatematica réunie à la fin des années 1670 par ce même Mgr Ciampini qui avait commandé trois trompettes parlantes dès 1673. (21) Eschinardi est un grand savant - on lui prête notamment l'idée précoce d'avoir fait percer le canal de Suez - mais ses considérations sur la trompette parlante sont relativement superficielles. Il ne fait guère que mettre en doute l'importance de la taille de l'instrument, pour la même raison qu'un grand bateau n'est pas nécessairement plus stable qu'une barque.  De même que les lunettes sont l'ajout d'une grande pupille à l'oeil, la trompette parlante est une grande bouche ajoutée à la bouche.

Un dernier exemple significatif de la réception de la "trompette parlante" en Italie nous est donné par la description des cérémonies funèbres du jésuite Manfredo Settala (1600-1680). directeur de l'Académie de peinture de Milan, conservateur de la Biblioteca Ambrosiana. et créateur d'un célèbre cabinet de curiosités. Settala était membre de la Royal Society et correspondait avec les savants anglais. D'après son éloge funèbre, prononcée par Pastorini, il a été un des premiers informés de la "noble restauration de la trompette parlante, mais il a su en comprendre les raisons et en améliorer la forme".(22) Le traité Des décorations funèbres de C.F. Ménestrier nous explique qu'une trompette parlante d'origine anglaise fut utilisée lors de ses funérailles.(23)

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Détail de la Gravure représentant le cabinet de curiosté de Manfredo Settala à Milan. (Extrait de TERZAGO P.M.; Museo, ò Galeria, adunata dal sapere e dallo studio del sig. canonico Manfredo Settala nobile milanese, Figliuoli Eliseo, Tortona, 1666.

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(20) MONTANARI, G.,  Discorso sopra la tromba parlante, Alessandro Giattazai, 1678. Le discours est ensuite inclus dans le journal encyclopédique vénitien Galleria di Minerva, Tome I, 1696. Une réédition  est publiée en 1715 à Venise. Sur cette contribution de Montara, voir GOZZA, E., "Anche i megafoni hanno un'anima: la "Tromba parlante" (1678) di Geminiano Montanari"Recercare, Vol. 16 (2004), pp. 113-131. La contribution de Montanari est une des rares contributions connue en France. Voir PORTAL, A., Histoire de l'anatomie et de la chirurgie, vol.4,, 1770, pp.511-512

(21) ESCHINARDI, F., Ragguagli dati ad un amico in Parigi sopra alcuni pensieri sperimentabili proposti nell'accademia fisicomatematica di Roma, Rome, Nicolò Angelo Tinassi, 1680, pp. 50-52. Compte-rendu in Giornale de Letterati, IV, 1680, pp.49 et s. Ce compte-rendu indique que les considérations d'Eschinardi sur la trompette parlante sont bien antérieures aux articles de presse sur la question.

 

Sur Eschinardi et l'Accademia fisicomatematica de Mgr Campini, voir ROMANO, A., "A l'ombre de Galilée ? Activité scientifique et pratique académique à Rome au XVIIème siècle", in BOUTIER J., MARIN, B, ROMANO A., (dir.), Naples, Rome, Florence: Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens (XVII-XVIIIe siècles), Publications de l’École française de Rome, 2013.pp. 225-229

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Gravure représentant le cabinet de curiosté de Manfredo Settala à Milan. (Extrait de TERZAGO P.M.; Museo, ò Galeria, adunata dal sapere e dallo studio del sig. canonico Manfredo Settala nobile milanese, Figliuoli Eliseo, Tortona, 1666. Le livre dresse le catalogue du cabinet, mais ne cite pas de tromba parlante. Néanmoins, il est possible que l'objet conique que l'on voit en bas à droite soit une de ces trompettes parlantes (voir agrandissement). 

  • La réception dans les pays germanophones

  • Leibniz, le premier informé  allemand de l'invention de Morland 

Un des premiers allemands à avoir été informé de l'invention de Samuel Morland n'est autre que le grand philosophe et mathématicien Gottfried-Wilhelm Leibniz (1646-1716). Ses travaux en matière d'acoustique, constitués de notes éparses, n'ont guère retenu l'attention, mais ont été réunis en 1906 par Ernst Gerland sous le titre "Akustischen Arbeiten". Ce petit recueil commence par deux notes sur le tuba stentorphica de Samuel Morland, que Leibniz appelle "Sprachrohr".(24)

Travaux acoustiques

(Deux petites feuilles de la main de Leibniz)

1) Sur la trompette parlante de Morland. Une courbe rend les mêmes services qu'une droite. Ce serait une chose curieuse, si on la pouvait cacher sous la perruque" (en français dans le texte)

2) En fait, c'est un homme en Angleterre qui parle dans un instrument en verre de sa propre réalisation, plutôt silencieusement, comme on ne sonne pas tellement dans une trompette qu'on entend à travers tout le parc ou le jardin, et clairement. De même, quand il tend ses oreilles, il entend tout très peu. SI cela est vrai, cela peut être augmenté. Ainsi me l'a dit le Dr. v. Helmont en 167. 

   (Traduction provisoire A.L.)

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Les deux notes ne sont pas datées, mais le "hoc mohi dixit Dr. v. Helmont anno 1671" (mention rajoutée dans une autre encre, et donc probablement postérieure) laisse clairement entendre que Leibniz a été très rapidement informé de la parution de la brochure de Morland par son nouvel ami François-Mercure Van Helmont (1614-1699).(25)  Le ton des notes est plutôt amusé et n'a pas l'air de prendre très au sérieux la proposition du savant anglais. Il accordera plus d'attention aux travaux de Morland sur l'hydraulique et le rencontrera à Londres en février 1673, à l'initiative de Oldenburg, le secrétaire de la Royal Society, pour comparer leurs machines à calculer.(26)

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(25) François-Mercure van Helmont un médecin polymathe flamand, qui est aussi comme son père Jean-Baptiste van Helmont, alchimiste et figure avec lui à l'article "Théosophes" de la Grande Encyclopédie. Van Helmont est un personnage aux idées un peu curieuses, mais pour qui Leibniz gardera toujours de l'estime.

 

Il est assez intéressant de noter qu'il avait publié en 1667 un traité sur l'apprentissage de la langue aux sourds-muets où il est le premier à imaginer un système de visualisation des mots (en l'occurrence en hébreu), traduits par des mimiques. Voir BROECKX; C. Essai sur l'histoire de la médecine belge, avant le xixe siècle, Société Encyclographique des Sciences Médicales, 1838, p.100. Voir également ECO, U., La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, Le Seuil, 1994, pp.103-104. Sur ses relations avec Leibniz : BECCO,A. "Leibniz et François-Mercure van Helmont. Bagatelle pour des monades", Studia Leibnitiana Sonderheft, 7 1978, p. 121-142. 

(26) HOFMANN, J.E.., Leibniz in Paris (1672-1676). His growth to mathematical maturity, Cambridge University Press, 1974, p.25

Salomon Kleiner, Le château impérial de Kaiserbersdorf vers 1750 (Source : Wikimedia Commons)

  • Les expériences inspriées de Kircher en Autriche

Leibniz ne semble plus s'être intéressé à la question de la trompette parlante et ce n'est pas lui qui a introduit le débat à son propos dans les pays germanophones. Selon Johann Beckmann, antiquaire et physicien allemand qui publie en 1782 une première tentative d'histoire de l'invention du porte-voix, en faisant un examen critique des oeuvres de Kircher, l'Empereur Léopold Ier, à qui le savant jésuite avait dédié sa Phonurgia Nova,  aurait commandé un porte-voix aussitôt après la parution de l'ouvrage (1673). Des expériences auraient été menées entre Ebersdorf et Neugebau (27). L'information reste à vérifier. Il s'agit probablement de Kaiserebersdorf, dans la région de Vienne plutôt que de Ebersdorf en Styrie. Des châteaux impériaux existent à Kaiserebersdorf et Neugebau, qui sont quand même distants de 68 kilomètres. 

  • Un intérêt latent pour la Sprachrohr

Un médecin suisse,  Jean Ott (1639-1717), de Schaffhausen s'intéresse de manière précoce à la trompette parlante et adresse à son sujet une lettre détaillée à son collègue Johann Jakob Wepfer (1620-1695) qui la publie en annexe de ses Observationes anatomicae (1675). Ott est le premier à comparer les contributions de Morland et de Kircher (28)

 

Le mot qui va s'imposer en allemand au 18ème siècle pour désigner le porte-voix est Sprachrohr, qui semble avoir été formé par analogie avec Fernrohr, le téléscope.​ La première occurrence identifiable dans le corpus Deutsches Textarchiv se trouve dans un glossaire militaire français/allemand publié à Leipzig en 1703 pour traduire le mot tube (29). Cela ne signifie évidemment pas que la speaking trumpet n'a pas été connue plus tôt, peut-être désignée sous un autre terme. Dans l'état actuel de nos recherches, nous pouvons dater du début des années 1680 l'essor du débat en Allemagne sur la question de la trompette parlante.

Le médecin et chimiste Johann Joachim Becher (1635-1682) consacre dans son ouvrage Weißheit Und Weise Narrheit. (Frankfurt, 1682) un chapitre au tuba stentorphonica de Samuel Morland (30). Il dit que le titre même de son chapitre (qui désigne la fonction de l'appareil "auff eine Teutsche Meile miteinander laut zu reden". ("se parler à voix haute à une distance d'un mile allemand") suffit pour ne pas avoir besoin de le décrire. Becher, qui a vécu à Londres à partir de 1678 et y est mort, mentionne l'utilisation opportune par l'armée anglaise de la speaking trumpet de Morland pendant le siège de Tanger (1680).  Il raconte également, malheureusement sans le dater qu'il a vu à Nurenberg un appareil construit par le fameux opticien Frantz Gründler, et qui combinait trompette parlante et appareil auditif. Becher manifeste une certain scepticisme sur l'efficacité de cet appareil, mais trouve le concept intéressant. Becher ne mentionne pas Kircher, dont il devait connaître les travaux et les expériences menées entre Kaiserebersdorf et Neugebau, puisque lui-même était à l'époque conseiller de l'Empereur Leopold Ier, dédicataire de la Phonurgia Nova. (31)

  • L'erreur de Kircher sur le cor d'Alexandre démontrée par Daniel Georg Morhoff

Le philologue allemand Daniel Georg Morhof (1639-1691), dont le Polyhistor est parfois, considéré comme un des ouvrages fondateurs de la science de l'information et de la bibliographie, publie en 1683 une livre au titre un peu mystérieux Stentor ΫΑΛΟΚΛΑΣΤΗΣ sive de De Scypho vitreo per certum humanae vocis sonum fracto,  soit "Stentor le briseur de verre ou des verres cassés par un certain type de voix humaines"(30). Le livre est essentiellement consacré aux expériences que Morhof a présenté dès 1670 à la Royal Society sur les voix capables de briser  les verres. Mais le livre traite aussi d'autres questions acoustiques. C'est, semble-t-il, la plus ancienne publication allemande où est évoquée la problématique des trompettes parlantes. Morhof y consacre quelques pages (pp.112 et s.). Il est visiblement bien informé sur la question, : il cite Bacon, Kircher, Mario Bettini, le tuba stentoro-phonica de Morland,  mais non les écrits français (32).

 

Morhof a pu se procurer la version d'Alessandro Achillini du Secreta Secretorum Aristotelis, publié en 1516 à Bologne, cité par Kircher pour décrire le cor d'Alexandre le Grand. Cela lui permet de démontrer que le livre n'est pas d'Aristote, qu'il n'y est pas dit qu'Alexandre parle dans le cor et que le dessin fournit par Kircher ne correspond pas à celui d'Achillinus.. Dans un graphique, on peut reconnaître le cor d'Alexandre (C) tel que Morhof l'a trouvé dans le livre édité par Achillini, différent de celui présenté par Kircher (A) (33). Le B est le porte-voix elliptique de Bettini et le D est un stentoro-phonica revu par son collègue Reiher (?). Faute de traduction, nous ne comprenons pas bien à quoi correspond le graphique EF, en forme d'arrosoir. Il s'agit probablement d'une sorte de cornet acoustique.

(27) BECKMANN, J., Beyräge zur Geschichte der Erfindungen,  im Verlage Paul Gotthelf Kummer, Leipzig; IV, 1782, pp. 469  (= A history of inventions and discoveries. By John Beckmann, J. Bell, 1797, p.162

(28) WEPFER J.J., Observationes anatomicae, excadaveribus, quos sustulit apoplexia, Onophrius a Waldkirch, 1675, pp.440 et s. Réédition in WEPFER J.J., Historiae apoplecticorum, observationibus [et] scholiis anatomicis [et] medicis quamplurimis elaborate [et] illustrate : una cum espistola Johannis Ott De scriptis Holderi De elementis sermonis & Morlandi De stentorophonia, apud Janssonio-Waesbergios, Amsterdam 1724.p.401 et s.,

(29) GRUBER, J.S.: Examen Fortificatorium oder Gründlicher Unterricht von der Theoria und Praxi Der heutigen Kriegs-Bau-Kunst. Leipzig, 1703, p.212

(30) BECHER J.J., , Weißheit Und Weise Narrheit. Frankfurt, 1682, pp. 26-27.

(31) Le texte est un peu obscur : "Ich habe zu Nürnberg bei dem berühmten Optico Frantz Gündler dergleichen geſehen/ da der eine ein Instrument zum Reden/ der ander ein Instrument zum Hören gehabt/ und haben beide solcher Geſtalt auff eine zimliche diſtantz miteinander reden koönnen/ daß dar- zwischen niemands etwas gehöret eben besagter Gründler hat ein Concept vor/ etliche Worte als ein Echo durch eine spiral-Linie in eine Flasche zu verschliessen/ daß man sse wol eine Stunde lang über Land tragen könne und wann man ſie eroöffne/ die Worte erst gehöret werden/ ob er aber dieses Concept zum Effect gebracht/ ist mir unwissend/ das Concept aber scheinet so unmoöglich und närriſch als durch eine Trompet die Wort blasen/ wie durch das Englis. Stentrophonicon: und dennoch hat ſolches gut gethan/ wanns dienet nichts unverſucht/ zumahlendarum einiger Gestalt raison hat."

(32) MORHOF D.G., Stentor ΫΑΛΟΚΛΑΣΤΗΣ sive de De Scypho vitreo per certum humanae vocis sonum fracto, Kiloni, 1683. Repris in MORHOF D.G., Dissertationes academicæ & epistolicæ : quibus rariora quæ dam argumenta erudite, Sumptu Gottfredi Liebernickel, Hamburg, 1699, p.350 et s.

 

Sur le De Scypho vitreo de Morhof, voir BECKMAN, J., A history of inventions and discoveries, J. Bell, London, 1797, pp.154-156.

MATTHEW J.E., "In a Musical Library", The Musical times, Vol. 48, N° 774,  (Aug 1907): 524-525 ; BUTLER. K., "Myth, Science, and the Power of Music in the Early Decades of the Royal Society", Journal of the History of Ideas, Vol. 76, No. 1 (January 2015), pp. 47-68. Un compte-rendu en est donné par le Journal des Scavans, 26 juin 1684, pp.132-134.

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Le cor d'Alexandre en illustration de page de titre du Aristotelis philosophorum maximi secretum secretorum ad Alexandrum | De regum regimine: De sanitatis conseruatione: de physionomia. de Benedictus Hector, Bologne, 1515

Types de porte-voix dans le De Scypho vitreo de D.G. Morhof, p.113

(33) L'édition utilisée par Kircher est le Aristotelis philosophorum maximi secretum secretorum ad Alexandrum De regum regimine éditée par Achillini, d'après Averroes, à Bologne, en 1516. Le dessin repris par Morhof en C se trouve déjà dans l'édition de Benedictus Hectoris, à Bologne, en 1501 et que l'on peut voir sur le site de Ketterer Kunst.

  • La traduction en allemand de la Phonurgia Nova de Kircher

Un an après la publication du livre de Morhof, en 1684,, paraît à Nördlingen, en  Bavière, la traduction allemande de la Phonurgia nova d'Athanasius Kircher sous le titre Neue Hall und Thon Kunst une traduction en allemand de la Phonurgia Nova, signée Agatho Carione, qui est le pseudonyme de Tobias Nislen. Kircher est mort depuis quatre ans à Rome et n'a donc pu voir son livre traduit dans sa langue maternelle. Mais on ne peut exclure qu'il ait été à l'origine de cette traduction. L"iconographie est retravaillée, certaines illustrations étant copiées sans grand talent, d'autres par sont mieux travaillées.  Quelques planches ne figurent pas dans l'original, mais il est possible qu'elles aient été ramenées de Rome. Il serait intéressant que des philologues spécialisés comparent les deux versions.

  • Le porte-voix de Christoph Sturm (1685)

En 1685, l'astronome et mathématicien allemand Johann Christoph Sturm (1635-1703) publie le second volume de ses Collegium Experimentale, Sive Curiosum dont le Tentamen VIII est consacré au Tubus stentor-phonicus. (34) Comme l'explique Baskevitch, "Strum fait un historique détaillé de la question du Tuba stentorophonica, et cite Morland, Cassegrain, et bien entendu Kircher. Puis il nous présente un modèle qu’il a fait fabriquer, selon les proportions de Cassegrain, mais en cuivre, métal plus sonore que le fer d’après lui. Enfin Sturm décrit un Tuba confectionné à Nuremberg, d’une forme un peu particulière, proche d’une cloche. Le tube est enroulé sur lui-même et c’est le pavillon qui représente la masse de l’appareil. Plus maniable, nous dit Sturm, ce modèle obéit en outre aux préceptes de Kircher selon qui les courbures amplifient le flux sonore. La partie supérieure de l’appareil est constituée du tube reliant l’embouchure au pavillon, enroulé sur lui-même. (...) Il est clair que Sturm s’intéresse ici plus à la maniabilité de l’engin qu’à son efficacité dont il nous dit peu de choses, mais qu’il décrit supérieure à son modèle en cuivre.

 

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Une des planches de Neue Hall und Thon qui ne figurent pas dans la Phonurgia Nova.d'Athanasius Kircher.

(34) STURM, J.C., Collegium experimentale,(...), W.M. Nenteri, Nuremberg, 1715 pp.142-164. Compte-rendu Journal des Scavans, 3 décembre 1685, pp.515-519.

Citation in WOLFF, C., Mathematischen Lexicon, B.II, 1716, p. 1438

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Le porte-voix de Johann Christoph Sturm ((en haut à gauche, le cor d'Alexandre le Grand selon Kircher)

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En 1714, Michael Bernhard Valentini, médecin personnel du landgrave de Hesse-Darmstadt et collectionneur, publie son Museum Museorum, sorte de catalogue de cabinet de curiosité. La Sparchrohr y est présentée de manière historique, avec référence à Morland, Kircher, Becher et Sturm (35).

Les contributions des pays germanophones sur le porte-voix, au 17 siècle, n'ont pas eu beaucoup de rayonnement dans le reste de l'Europe. Il faudra attendre le 18ème siècle pour que les chercheurs allemands s'affirment comme la référence en matière d'acoustique.

Porte-voix dans le Museum Museorum de Valentini (1714)

André Lange, 9 mai 2019

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