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Victor Hugo annonce la vision à distance par l'électricité et découvre les auditions téléphoniques

En août 1881, lorsque s'ouvre à Paris l'Exposition internationale d'électrcité, Victor Hugo a soixante-dix neuf ans. Il est une gloire nationale et une cotisation est en cours pour lui élever une statue. L'électricité n'est pas une découverte pour lui, il y a fait référence à plusieurs reprises dans son oeuvre, souvent de manière métaphorique, et ce dès 1831 dans Notre-Dame de Paris.. Mais la visite de l'exposition lui a permis de prendre conscience des perspectives nouvelles, et, en particulier, celle de la téléphonie et de la vision à distance. Il fait part de son enthousiasme à un journaliste de La Ville de Paris. (1)

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(1) Nous n'avons pu identifier la publication originale.

 

Nous reprenons ici le texte tel que publié dans L'Electricité, 20 août 1881.

 

Le texte a également été cité dans 

  • CLERC Alexis, Physique et chime populaires, Volume 3, Jules Rouff, s.d; (1881 ?), p.5

  • Le Guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne, 7 septembre 1881 

  •  L'éducateur. Revue pédagogique publié par la Société des Instituteurs de la Suisse romande, 1895. no.21, p.380

Le texte a fait l'objet de quelques ciottaions par les historiens de l'électricité et des télécommunications :

  • ​BELTRAN Alain, La Fée électricité, Gallimard, 1991.p.86

  • BELTRAN Alain et CARRE Patrice, La fée et la servante, : la société française face à l'électricité, XIXe-XXe siècle, Belin, 1991, p;44

  • DE MATTEI, Roberto, De l'utopie du progrès au règne du chaos: des années 1900 à l'an 2000 : du rêve de construction au rêve de destruction, L'Age d'Homme, 1993, p.11

  • CARRE, Patrice Alexanxdre, Télégraphes : innovations techniques et société au 19e siècle, Editions du Téléphone, 1996, p.137, 

  • CARRE,  Patrice Alexandre, "Téléphone et lumière électrique, signes de la "modernité" ? Vers 1880 -vers 1930", Bulletin d'histoire de l'électricité  Année 1986  7 , pp. 107-128

  • MUSSO, Pierre, "La techno-utopie réticulaire", Critique des Réseaux, PUF, 2003.

  • CARRE Patrice, "Robida, Zola, l'électricité : la technique, la fiction et l'utopie", Le téléphonoscope, n°15, octobre 2008, p.52

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Albert ROBIDA, "Statue de Victor Hugo",

La Caricature, 9 juillet 1881

Les quelques historiens qui ont cité ce texte ont surtout souligné l'idée utopiste de la paix universelle établie par l'électricité (Beltran, Carré, De Mattei) et l'idée de la mondialisation des réseaux (Musso). Curieusement, ces auteurs n'ont pas souligné que, outre la transmission de l'audition (acquise depuis 1876 avec le téléphone de Graham Bell et les améliorations rapidement apportées à celui-ci), Hugo envisgeait aussi la transmission de la vision. La transmission de la vision sous la plume d'un Hugo réputé visionnaire est pourtant un élément neuf et qui, cependant, n'a rien d'original dans le contexte scientifique de l'époque..

 

Il est probable que l'écrivain a assité à l'inauguration officielle, y a été accompagné par l'un ou l'autre électricien, voire par son ami Auguste Cochery, Ministre des Postes et des Télégraphes, qui est le grand initiateur de l'événement et que quelqu'un aura attiré son attention sur les débats en cours, depuis 1877 sur l'hypothèse de la vision à distance par l'électricité. Les candidats n'ont pas dû manquer pour l'informer des sujets à l'ordre du jour des préoccupations des électriciens. L'hypothèse de la vision à distance par le biais de l'électricité ne fait pas partie du programme officiel de l'Exposition, mais elle est dans l'air du temps.

 

Les premières contributions sur la vision à distance, formulées notamment par Adriano de Paiva et de Constantin Senlecq, avaient été largement citées par la presse française dans les années 1878-1880.  De même les expériences d'Ayrton et Perry, présentées à Londres le 26 février 1881 avaient été signalées avec enthousiasme par la presse électricienne française au mois de mars.(2) La presse française avait aussi rapporté la démonstration de Shelford Bidwell faite à York le 26 février (3), et peut-être Hugo a-t-il été informé lors de sa visite de celle, absolument innovange, que l'électricien anglais allait faire à Paris le 22 septembre. (4). Lors de la troisième séance du Congrès international des électriciens qui se tiendra le 19 septembre, un représentant belge, l'ingénieur, chimiste, entrepreneur et inventeur Alexandre Neujean, demandera que soit mise à l'étude la transmission à distance des images par recours aux miroirs vibrants, proposition inédite à l'époque.(5) Cependant, la transmission à distance des forces, sujet officiellement à l'ordre du jour, est un sujet bien plus important et même Ayrton, qui avait fait sensation quelques mois auparavant, ne semble pas avoir évoqué la question

L'hypothèse de la vision à distance, depuis la fin des années 1870, a souvent été liée à l'idée de voir, au moment de la conversation téléphonique, son interlocuteur, et en particulier la personne aimée. Hugo ne reprend pas ce thème, mais évoque "les milieux aimés" et évoque la "suppression de tous les exils", qui sous sa plume, prend évidemment une résonnance très forte. Plus que la "suppression de l'absence", que Robida évoquera l'année suivante dans son Vingtième siècle, c'est la suppression du déplacement, de la délocalisation, de l'exil qu'il envisage.  Il n'est pas impossible que l'attention de Hugo ait été attirée sur la remaquable prédiction de l'ubiquité qui clôturait la brochure d'Adriado de Paiva, La téléscopie électrique basée sur l'usage du sélénium. Hugo amplifie le thème de l'universalité des communications, au point que cette universalité délocaliserait la notion de patrie. L'écrivain en tire une curieuse incitation à l'émigration des travailleurs, devenant propriétaires du monde entier, ce qu'il assimile à une fin des conflits sociaux mais que l'on peut interpréter comme une incitation implciite à la colonisation.

Le recours à l'énergie solaire pour remplacer le charbon peut nous apparaître elle aussi comme visionnaire, mais elle avait déjà été formulée par Augustin Mouchot. Celui-ci avait installé un appareril de 20 mètres carré au Trocadéro durant l'Exposition de 1878 et ses travaux étaient suivis par les vulgarisateurs scientifiques. (6)

Ce n'est pas faire insulte au poète visionnaire que de reconnaître qu'il se tient au courant des développements les plus récents de la science et de la technique.

(2) "La vision à distance réalisée par l'électrcité", L'électricien, 12 mars 1881. "La téléscopie électrique" La Revue industrielle, 12 mars 1881, Repris in Journal télégraphique, 25 mars 1881, p.52Voir également : "Chronique - Le problème de la reproduction des images à distance", Revue industrielle, 23 mars 1881.

(3) "La photographie à distance", L'Electrciité, 19 février 1881, p.53 ;"Physical Society, 26 February" (1881), Nature, March 10, 1881 ; BIDWELL, S., "On telegraphic photography", Paper read September, 5, 1881, Transactions of Section G. Report of the British Association for the Advancement of Science,  John Murray, London, 1881, , pp.777-778.; du MONCEL, Th., "La téléphotographie", La Lumière électrique, Paris, 19 mars 1881 ; L. CHARMOLUE, "Chronique scientifique", Le Pays, 29 mars 1881 ; [du MONCEL, Th.], "Transmission électrique des images", La Lumière électrique, Paris, 9 avril 1881.; "La soirée des ingénieurs électriciens de Londres", L'Electricité, 23 avril 1881, p;123.

(4) Voir le texte de la présentation  Shelford BIDWELL, "La photographie télégraphique", L'Electricien, octobre 1881, pp.29-33.

 

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Le téléphotographe de Shelford Bidwell.

(5)  Congrès international des électriciens, Ministères des Postes et télégraphes, Paris, 1881, p. 8  Voir sur ce site notre article sur Alexandre Neujean.

 

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6) Voir notamment "Utilisation de la chaleur solaire", in Louis FIGUIER, L'année scientifique et industrielle 1880, Hachette, 1881, pp.110-114

Victor Hugo, premier témoin des auditions téléphoniques de Clément Ader
Choses vues, 11 novembre 1881
A l'occasion de l'Exposition internationale d'électricité, Victor Hugo s'est également intéressé à l'une des attractions les plus populaires : les "auditions téléphoniques" qui permettaient d'écouter par téléphone les séances de l'Opéra, de l'Opéra-comique ou du Théâtre frrançais. Il a brièvement rapporté cette expérience dans son journal, Choses vues, en date du 11 novembre 1881.
 


 

 

 

 

 

 

 

 

Ce que Hugo appelle l'"Hôtel du Ministre des Postes" est probablement l""Hôtel des Postes", rue du Louvre, dessiné par l'architecte Julien Guadet et inauguré le 14 juillet 1888 en remplacement de l'"Hôtel d'Armenonville", devenu insalubre. Notons que le 11 novembre 1881 il n'y avait pas de Ministre des Postes, puisque le gouvernement Jules Ferry, dans lequel le Ministre des  Postes et Télégraphes était Adolphe Cochery, qui avait été le grand artisan de l'Exposition internationale, avait démissionné la veille. Notons également que les démonstrations d'"auditions téléphoniques théâtrales", durant l'Exposition, se faisaient au Palais de l'Industrie, aux Champs Elysées. Il semble donc que Hugo ait bénéificié d'un accès de réception particulier créé à l'Hôtel des Postes, probablement pour Cochery. 

 

 

Le grand chimiste Marcellin Berthelot était Membre de l'Académie de médecine depuis 1863, Professeur de chimie organique au Collège de France depuis 1865, Membre de l'Académie des Sciences depuis 1873, sénateur inamovible depuis 1881 et fut pendant quelques mois Ministre de l'Instruction publique du 11 décembre 1886 au 17 mai 1887.

Alice qui accompagne Victor Hugo est Alice Lehaene (1847-1928), veuve de Charles Hugo, fils du poète. Les enfants ne peuvent qu'être ceux de Charles et Alice :  Georges II Hugo (1868-1925) et Jeanne Hugo (1869-1941).

Marcellin Berthelot dans son laboratoire

A. MELANDRI, Victor Hugo avec ses petits enfants, Jeanne et George. Photographie de 1881.

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Auguste Cochery par André Gill,

Les Hommes d'aujourd'hui, s.d.

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Les auditions téléphoniques au Palais de l'Industrie durant l'Exposition internationale d'électricité (1881)

« Souvenirs de l’Exposition d’électricité », Le Magasin pittoresque, 1882, p. 93

André Lange, 4 juin 2023

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