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"Is this a vision ?"
Le téléphote de McTighe et des frères Connolly,
Pittsburgh, 17 février 1880

Cincinnati Inquirer, 18 février 1880
Chicago Tribune, 18 février 1880.

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L'apparition du mot telephote

Le 18 février 1880, au moins deux journaux américains, le Cincinnati Inquirer et le Chicago Tribune rendent compte de l'annonce, en provenance de Pittsburgh, de la remarquable invention électrique pour laquelle Connelly et McTighe, avocats spécialisés, viennent d'envoyer un dossier à Washington pour l'obtention d'un brevet concernant un "téléphone amélioré par lequel deux personnes peuvent voir leurs images respectives tout en conversant". Selon le Cincinnati Inquirer, cet appareil n'est pas encore baptisé et pourrait s'appeler telephote, telicon ou telopticon. The Chicago Tribune, dont le texte est plus court et moins précis, a déjà fait son choix : ce sera telephote

 

Les différents articles de la presse américaine que nous reproduisons ici n'ont pas été repérés par les historiens classiques de la télévision : Shiers et Abramson ne mentionnent pas ce telephote ; Korn et Burns en mentionnent l'existence  à travers la traduction partielle d'un article du  American Manufacturer and Iron World (27 février 1880) dans un entrefilet, signé E.H.  (Edouard Hospitalier) paru dans la revue parisienne La Lumière électrique,  le 1er avril 1880. Hospitalier, un journaliste français spécialiste des questions relatives à l'électricité parlait de "canard le plus absurde".

Il faut dire que l'histoire est curieuse et illustre à merveille la faible distance qui, à l'époque, sépare la formulation de propositions techniques et l'annonce sous forme de canular. Le fait qu'elle cite trois inventeurs réels et une entreprise ayant pignon sur rue la distingue du canular du diaphote du Dr. Licks, paru à peine sept jours plus tôt dans le Bethlehem Daily.

Remarquons que les deux articles paraissent le même jour. Celui du Cincinnati Inquirer est plus détaillé et évoque un entretien d'un reporter du journal avec M. T.J. McTighe. Mais l'affaire se passe à Pittsburgh à 300 miles de Cincinnati et près de 500 miles de Chicago. On ne peut exclure que les deux articles soient simplement la reprise d'un article paru quelques jours plus tôt dans un quotidien de Pittsburgh, qui resterait à découvrir. Il pourrait s'agir du Pittsburgh Dispatch, dont le rapport est cité dans l'article du Democrat and Chronicle, journal de Rochester, le 20 févier ou du Pittsburg Exchange, cité par The Charlotte Observer, ou encore le Pittsburgh Telegraph cité à partir de juin par différents journaux dans une description assez cocasse de la méthode de l'inventeur McTighe et que nous gardons pour la bonne bouche, en fin d'article.

Les frères Connolly et Thomas J. McTighe

Le fait est que les frères Trios A. et M.D. Connolly ( - et non Connelly comme cela paraît le plus souvent) - ainsi que Thomas J. McTighe ne sont pas  des personnages de fantaisie, à la différence du Dr. Licks,. Ce sont de réels inventeurs ayant obtenus de nombreux brevets. Ils sont en particulier connu par les historiens des télécommunications pour avoir obtenu le 9 décembre 1879 le premier brevet pour un système de commutation téléphonique censé permettre à deux interlocuteurs téléphoniques de communiquer entre eux après s'être déconnectés du bureau central.(1) 

 

 

Voici ce qu'en écrivait en 1953 l'historien R.B. Hill :

"The first dial telephone exchange patent, No. 222,458, was applied for on September 10, 1879, and issued on December 9, 1879, jointly to M. D. Connolly, of Philadelphia; T. A. Connolly, of Washington, D. C.; and T. J. McTighe, of Pittsburgh. Although this first system was crude in design and limited to a small number of subscribers, it nevertheless embodied the generic principle of later dial systems." (...) "The Connolly and McTighe system, with eight stations connected, was exhibited at the Paris Exposition in 1881, and various modifications were made in it by its inventors in subsequent patents. It was never employed in commercial service."

Le 16 juin 1880, un article détaillé du New York Times, rapportait une démonstration faite à Philadelphie de ce système, mais aussi le témoignage d'un proche des inventeurs qui, de manière anonyme, indiquait que le système était loin d'être opérationnel. Les frères Connolly et McTighe obtiendront le 15 août 1882 un deuxième brevet pour un "Automatic Telephone Exchange" (Pt US 262,645).

 

Telephote, teleican ou teleopticon

Selon les deux articles, les frères Connolly et McTighe ont introduit, leur demande de brevet pour le telephote le 17 février 1880 au soir. 

 

Le terme Telephote, qui va connaître une certaine fortune  pendant plus de vingt ans comme le principal terme utilisé pour désigner un appareil permettant la vision à distance (en concurrence avec le terme télectroscope, lancé par Figuier en 1878 et qui sera utilisé par Senlecq, Carey et de Paiva). Peut-être le terme a-t-il été inspiré par le telefotografo proposé en mars 1879 par le chercheur italien Carlo Maria Perosino? Mais il n'y a aucune indication que l'article du professeur italien soit déjà connu aux Etats-Unis à cette date. Il résulte de l'accouplement de deux mots grecs (tele-, lointain et photo-, lumière). Il est  dommage qu'il ait été abandonné car il était plus élégant que télévision, qui mêle une racine grecque et une racine latine. On notera que le chapeau de l'article du Wheeling Daily Intelligencer du 20 février 1880 parlera d'une demande de brevet pour un téléscope électrique (electric telescope), formulation qui rappelle étrangement celle de l'article "La telescopia electrica" d'Adriano de Paiva publié dans O Instituto en octobre 1879.

L'appareil est annoncé avec différentes fonctions : la possibilité de voir son interlocuteur au téléphone, mais aussi, précise McTighe au correspondant du Cincinnati Inquirer, la possibilité de transmettre à distance des copies de documents, par exemple des pages de journaux.

 

Les spécifications de l'appareil ne sont pas détaillées. Le Chicago Tribune indique que la reproduction de l'image est le résultat de "changements chimiques" utilisés dans les procédés photographiques bien connus des pratiquants de cet art. Le sélénium n'est pas évoqués.

L'idée que la transmission se fait par un seul fil est commune avec la proposition de Perosino. L'idée du fil unique paraît bien plus être ici une sorte de réponse au 72 fils nécessités par le diaphote  de Licks/Merriman, 

 

L'article du Wheeling Daily Intelligencer insiste plus sur ce qui est indiqué comme une potentialité de l'idée ("when the new invention will be perfected", "the inventors believe that they will be able to") et sur le fait que la demande de brevet vise avant tout à acter la priorité de l'idée.

 

Il n'en reste pas moins qu'il est affirmé dans les deux premiers articles que l'appareil  fonctionne et que M. McTighe, à Pittsburgh, est arrivé à transmettre des images de personnes d'une pièce à l'autre. Cette précision laisse vraiment perplexe et - n'était le sérieux attestés des trois inventeurs - pourrait définitivement laisser penser qu'il s'agit bien d'un canard, comme suspecté par Edouard Hospitalier.

La circulation de la nouvelle et la description de l'expérience par le "young McTighe".

L'annonce du 17 février a été reprise dans de nombreux journaux, avec des variantes. Nous avons pu relever les citations dans les journaux suivants :

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  • The American Manufacturer and Iron Works, 20 février 1880

  • The Wheeling Daily Intelligencer, 20 février 1880

  • Democrat and Chronicle, 20 février 1880

  • The Detroit Free Press, 20 février 1880

  • Reno Gazette Journal, 20 février 1880

  • Harrisburg Daily independent, 20 février 1880

  • The Atlanta Constitution, 20 février 1880

  • The Sommerset Press, 26 févier 1880

  • Buffalo Daily Courrier, 20 février 1880

  • Buffalo Morning Express, 21 février 1880

  • The Daily Union Leader, 23 février 1880

  • The Boston Weekly Globe, 24 février 1880 (qui titre "The Telopticon")

  • The Jackson County Banner, 26 février 1880

  • Willamsport Sun-Gazette, 28 février 1880

  • The Charlotte Observer, 2 mars 1880

  • The Charlotte Democrat, 5 mars 1880 qui souligne la priorité de l'idée de D.F.G. Mittag, un physiologiste de Lancaster, en Caroline du Sud, qui a publié le 24 décembre 1877 un article dans The Southern Home proposant l'idée d'un Teleform suivi par un autre article dans The Charlotte Democrat le 28 mars 1878..The Charlotte Democrat revient sur la question avec plus de détails le 19 mars 1880.

  • The Herald and Torch Light, 10 mars 1880,  souligne lui aussi la priorité de l'idée de D.F.G. Mittag et en fournit les références.

  • The Belmont Chronicle, 11 mars 1880. Cet article, sourcé "Washington Special to Baltimore American", évoque un entretien d'un correspondant américain avec T.A. Connolly, "very sanguine of the ultimate success of their labors is very modest on the statements regarding the invention." Des détails sont fournis sur le principe de l'appareil annoncé, qui est le même que celui du téléphone : "les inventeurs ont adoptés la théorie selon laquelle le son, la chaleur, la lumière et l'électricité sont tous des formes différentes du mouvement et les trois premiers peuvent être résolus en électricité, d'une manière similaire à celle du son par le téléphone." La présentation imminente de l'appareil est annoncée au journaliste. Le diaphote du Dr Licks est également évoqué.

  • Manitoba Free Press, 27 mars 1880

  • The Canton Independent Sentinel, 9 avril 1880, qui titre "Diaphote et Telopticon" et compare les inventions annoncées au roman A Strange Story de Edward Bulwer-Lytton (1862)

  • Fort Scott Daily Monitor, 1er juin 1880 qui propose un portrait de la chambre noire installée par le "young man" McTighe dans sa salle de bain, et décrit la manière dont il a procédé pour transmettre les images : le bout du fil téléphonique  a simplement été passé par le trou de la serrure de la chambre noire, soigneusement calfeutré avec du coton. McTighe serait arrivé à fixer une image du disque solaire, ronde, parfaite et claire. La description est sourcée Pittsburgh Telegraph

  • "If rumor speaks truly...", Nature, 15 June 1880. Entrefilet sévère du magazine scientifique qui souligne que les rumeurs concernant le diaphote et le telephote "de deux inventeurs concurrents" émanent de la presse non-scientifique.

  • The Columbus Journal, 14 juillet 1880 qui reprend le même article, avec la même source que le Fort Scott Daily Monitor, 1er juin 1880

  • The Nebraska State Journal, 16 juillet 1880, idem.

Le cycle d'articles sur le téléphote McTighe/Connolly dans la presse américaine paraît se clôturer avec ces trois articles et le trio d'inventeurs ne réapparaît qu'en juin 1881 avec la démonstration à Philadelphie de leur système de commutation téléphonique.

En Europe, le scepticisme continuera à s'exprimer après l'article cité d'Edouard Hospitalier (1er avril 1880). L'article "Le photophone de MM. Graham Bell et Samuel Tainter - II. Le téléphote et le diaphote", "Revues scientifiques" publiés par le journal scientifique La République française, Paris, 1881 note la différence entre le photophone de Graham Bell, démontré devant les sociétés savantes, et le diaphote et le telephote non l'existence, non démontrée, n'a été rapportée que dans la presse générale.

Le brevet pour le telephote n'a pas été obtenu - sa demande ne paraît pas avoir été conservée - et les trois inventeurs ont continué leurs travaux sur d'autres sujets. Mc Tighe obtiendra divers brevets sur des sujets divers : en 1883 un brevet sur une dynamo (US5270325), en 1890  1896 et 1897 et 1899 quatre brevets relatifs aux rails de chemin de fer électrique.(US443947 A, US578829 A,  US633886 A, US633887 A), en 1893 un brevet sur une lampe électrique (US288831 A), en 1900 et 1901, trois brevets sur des connecteurs électriques (US650861 AUS650860 AUS672387 A), en 1900 un brevet sur les refroissement des gaz (US650608 A) et, en 1901 un brevet pour une presse hydraulique pour l'épissage des conducteurs électriques (US671835 A).

Une erreur de communication plutôt qu'un canular ?

Comme le fait remarquer Mark Schubin, Le jugement péremptoire qu'avaient porté en 1880, à la suite d'Edouard Hospitalier, sur le "canard" du téléphote Connelly/McTighe demande à être nuancé. Les frères Connolly et McTighe ont créé un service d'enregistrement des brevets, qui sert d'intermédiaire entre les inventeurs et le Patent Office fédéral à Washington. Ils n'ont donc pas intérêt à mettre en péril la crédibilité de leur enseigne par des canulars. Ce qui apparaît le plus probable est que la publication du canular du diaphote - à l'initiative du Professeur Merriman - a poussé les trois inventeurs à anticiper, voire à improviser, une demande de brevet, pour s'assurer de la primauté de l'idée, quitte à développer l'appareil et en faire la démonstration par la suite. La description de l'expérience de McTighe dans sa chambre noire pourrait avoir été mal rapportée par le journaliste et il n'est pas impossible qu'une empreinte du soleil ait pu être obtenue par une transmission électrique. Il serait donc possible d'accorder aux trois inventeurs le bénéfice du doute : il ne s'agirait pas d'un canular mais d'une expérience précoce et, évidemment, loin d'être aboutie, empreinte d'enthousiasme et non dépourvue d'une certaine naïveté dans la communication.


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André Lange, 14 décembre 2017.

 

Cincinnati Inquirer, 18 février 1880

Chicago Tribune, 18 février 1880

Fort Scott Daily Monitor, 1er juin 1880

Publicité pour le service des brevets des frères Connolly et McTighe

(document aimablement communiqué pat Mc Schubin)

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