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Une idée et son mythe : le "disque de Nipkow"
1. L'invention du téléscope électrique par Paul Nipkow


Paul Nipkow est certainement un des inventeurs ayant contribué à l'"invention de la télévision" sont le nom est le plus connu. La présentation du "disque de Nipkow" figure dans toute histoire de la télévision digne de ce nom, aussi brève et schématique soit elle, surpassant souvent en notoriété son système quasi contemporain, la "roue à miroirs" ou "roue de Weiller".
Un inventeur célèbre, mais méconnu

 

La célébrité de Nipkow tient au fit que les premiers systèmes de télévision opérationnels présentés en 1925 par C. Francis Jenkins aux Etats-Unis, John Logie Baird en Angleterre puis par René Barthémemy; Henri de France et Marc Chauvierre en France utilisaient des formes modernisées de "disque de Nipkow".. La notoriété de l'inventeur a également été renforcée par son utilisation de son nom, à partir de 1935, par le régime nazi à des fins de propagande nationaliste. Pourtant il n'existe pas, à ma connaissance, de monographie détaillée sur Paul Nipkow. Les historiens de la télévision comme système technique (Burns, Abramson) s'en tiennent à une présentation technique de l'invention principale de l'ingénieur allemand et néglige la biographie de celui-ci. A l'inverse, C.-D. Schmidt, un industriel allemand né comme Nipkow à Lebork,  auteur d'une très utile monographie publiée par le musée de cette ville,  de Nipkow, à l'occasion du cent-cinquantième anniversaire de la naissance  de l'inventeur, se focalise sur l'individu mais ne le situe pas vraiment dans l'histoire des développements scientifiques et techniques. Schmitt a le mérite de fournir de nombreux renseignements biographiques sur Nipkow, obtenus de membres de sa famille, ainsi que quelques documents conservés au Mitte Museum de Berlin, mais son livre présente d'importantes lacunes en ce qui concerne les travaux de l'inventeur sur la télévision : les sources autres qu'allemandes ne sont pas exploitées et le travail de Nipkow n'est pas vraiment positionné par rapport à celui de ses contemporains (1).

 

A l'inverse de la vie flamboyante de Lazare Weiller, inventeur de la roue à miroirs, système concurrent, le parcours de Nipkow paraît relativement terne, mais l'inventeur allemand a su, par quelques entretiens avec des journalistes de presse, au débat des années 30, créer lui-même la légende sur les circonstances de son invention. C'était une personnalité discrète et l'on ne connaît de lui que quatre déclarations à la presse, d'une convergence confondante .(2)  Le premier de ces entretiens a lieu le 22 août 1930, le jour des 70 ans de Nipkow, avec un journaliste autrichien, K.H. Norweg. Norweg voit dans Nipkow le "prototype de l'inventeur" qui a eu une idée géniale mais n'a pu en tirer un sou. Fin 1932, un certain Wilhelm Schrage, correspondant en Allemagne des magazines de Hugo Gernsback Television et Radio News  trouve par hasard les coordonnées de Paul Nipkow dans l'annuaire téléphonique de Berlin. Il le pensait russe, et probablement décédé, mais va, non sans émotion, rendre visite à l'inventeur, qui a alors 72 ans. Bien que bref, le récit de cet entretien est publié dans le numéro de janvier 1933 de Television et constitue une source précieuse. Quelques mois plus tard, le 6 août 1933, Nipkow a les honneurs du New York Times, à l'initiative de Orin Dunlap Jr., qui suit les actualités sur les développements de la radio pour le Scientific American et deviendra bientôt Vice-Président de RCA.

 

A partir de 1935, la gloire internationale de Nipkow va donner au régime nazi le projet de le récupérer dans le cadre d'une propagande nationaliste et ce qui biaise encore aujourd'hui certaines des narrations sur l'inventeur, présenté comme un génie unique, complètement déconnecté de son contexte scientifique.

 

Enfin, un malentendu existe sur l'invention de Nipkow, résumée en "disque de Nipkow" (Nipkow Scheibe). Or le disque - ou plus exactement les disques - ne sont que des éléments d'un appareil complet que l'inventeur lui-même désignait par le nom de "télescope électrique", en référence probable à la terminologie proposée en 1879 par Adriano de Paiva.

Dans son entretien avec  K.H. Norweg, en 1930, Nipkow regrettait que personne ne s'intéressait vraiment à l'origine de son idée. Cela reste largement vrai aujourd'hui. Le présent article vise à combler cette lacune.

Un intérêt précoce pour la télescopie et les télecommunications

 

Paul Julius Gottlieb Nipkow est né le 22 août 1860 à Lauenburg, en Poméranie (aujourd'hui Lebork, en Pologne), où son père était boulanger et conseiller municipal. Il s'intéresse très tôt aux questions d'optique :

"Looking back half a century, I see myself having left the pro-gymasium in my native town of Lauenburg in Pomerania. I then went to the full-gymnasium in our little neighbor city of Neustadt to battle with Homer, Zenophon, Tacitus and Horace. And I was on the verge of launching several experiments aided by the pocket money of an advanced high-school boy. First, I made an astronomical telescope three meter in length out of pasteboard (3)


 

En avril 1882, il entreprend  des études de mathématiques et de sciences physiques à l'Université Friedrich Wilhelm de Berlin. Il suit aussi les cours d'optique physiologique de Hermann von Heimholtz et ceux d’électrotechnique d'Adolf Slaby (futur pionnier de la T.S.F.) à l’Institut Technique de Charlottenbourg. Il est initié aux techniques de télécommunications par le professeur Zetzsche, qui a fondé en 1880 la revue Elektrotechnischen Zeitschrift (4). Selon la plupart des notices biographiques, il doit abandonner ses études pour des raisons  financières, après  la mort de son père, survenue le 13 novembre 1882. En fait, selon Schmitt, il n'a interrompu ses études qu'en août 1885, pour commencer un service militaire volontaire d'un an (Einjährige Freiwilliger") La raison en paraît simple, sa fiancée Sophia Colonius, rencontrée début 1883 était enceinte. Ils se marièrent le 12 décembre 1885 et leur première fille naquit quinze jours plus tard. (5).

Selon Walter Bruch, l'idée de créer un appareil de vision à distance lui serait venue le soir de Noël 1883, alors qu'il observait assis sa lampe à pétrole dans son appartement meublé du n°13 a de la Phillipstrasse, à Berlin-Mitte (6). Voici le récit qu'en donna Nipkow lui-même dans son interview au New York Times :

 

"One raw Winter evening I was cheered by receiving from the post-office the loan of a genuine Bell telephone for two hours" I lived in one room, which served as a living room, sleeping chamber, laboratory and workshop. The remarkable simplicity of the telephone astounded me. It gave me an idea and I constructed a microphone, using nails. It was successful in transmitting noises and words from one attic to another. This experience is what started me thinking about the problem of television.

 

That puzzle stayed with me from then on, even during the lectures of Helmholtz and Slaby in Berlin. Thus a sort of mental training along this line was developed in me and finally, on Christmas Eve, 1883, the solution came to me !

 

It was the general idea of television. And the details included the perforated spiral distributing disk. The mental experiment was a complete success. The  idea of the invention were automatically at hand - as all everyday ideas are. How sure I was of having made a great discovery may be seen from the fact that, despite serious financial difficulties, I did not hesitate to spend the money needed to apply for a patent" (3). 

Nipkow semble bien avoir créé lui-même ce mythe de la nuit de Noël déjà évoquée dans l'entretien avec Norweg. Lors de sa rencontre acvec W. Schrage, il raconte qu'il était tellement fou de joie - il se voyait riche - qu'il s'est mit à sauter dans son petit appartement au point que la propriétaire, inquiète, est venue voir ce qu'il se passait. Toujours est-il que le 6 janvier 1884, à l'âge de 24 ans, il dépose une demande brevet pour un "télescope électrique" - utilisant ainsi le vocabulaire proposé en 1879 par Adriano de PaivaSelon un tradition non vérifiable, c'est sa fiancée Sophia Colonius, rencontrée au début de 1883, qu'il épousera le 12 décembre 1885, qui paya les frais d'enregistrement du brevet.  Quinze jours après le mariage, Sophia mettait au monde leur première fille.

 

Le brevet de 1885 - Le télescope électrique
 

Le brevet est accordé le 15 janvier 1885 (7). Selon l'historien de la télévision Albert Abramson, ce brevet est le "master television patent", le premier brevet de l'histoire de la télévision, dont l'impact se fera sentir jusqu'à la  fin des années 30. Le "disque de Nipkow" fut, jusqu'à l'avènement de la télévision électronique au milieu des années 30, un des deux principaux modèles de balayage de l'image, l'autre étant le tambour de miroirs conçu par Ll.B Atkinson en 1882 et théorisé par Lazare Weiller en 1889. Bien que le brevet de Nipkow soit cardinal dans l'histoire de la télévision, il ne semble pas qu'une traduction complète en ait été publiée en français ni même en anglais. La traduction en français que nous proposons ici doit être considérée comme provisoire et est certainement susceptible d'être améliorée par des spécialistes de l'électricité et de l'optique.

(7) NIPKOW, P. Elektrisches Teleskop. Patentiert im Deutschen Reiche vom 6. Januar 1884 ab, Patentschrift n°30105, Kaiserliches Patentamt, Ausgegeben den 15. Januar 1885. :  (Source : DEPATISnet, Deutsches Patent- und Markenamt)

Graphique du "disque de Nipkow" dans  la demande de brevet (1884).

(1) SCHMIDT, C.-D., Paul Nipkow. Erfinder des Fernsehens (1860-1940). Sein Leben für den technischen Fortschritt, Museum in Lebork, 2009. Paul Nipkow: wynalazca telewizji (1860-1940) : życie w służbie postępu, Lebork Muzeum, 2009. Voir "Lębork. Powstała biografia Paula Nipkowa', Gp24.pl,  20 juillet 2009.

(2) NORWEG, K.H., "Beim Vater des Fernsehens - Was der siebzigjährige Paul Nipkow erzählt", Neues Wiener Journal, Wien, Vom 23. August 1930 ; SCHRAGE W.  "Nipkow still lives !, " Television News, n.2,, Jan-Feb. 1933 ; DUNLAP, O.D. "A Fifty-Year Riddle; Inventor of Television Disk in 1884 Tells How He Thought of the Idea -- He Applauds Latest Marvels", New York Times, August, 6, 1933. Je n'ai pu à ce jour identifier un quatrième entretien, réalisé par l'ingénieur, écrivain et journaliste allemand Eduard Rhein. D'autres entretiens dans la presse allemande existent peut-être, mais ne sont pas identifiés à ce jour, même par C.-D. Schmidt. Une étude du statut de Nipkow dans la presse grand public et dans la presse technique de la République de Weimar serait nécessaire. 

(3) Lettre de Nipkow, citée in DUNLAP, art.cit.

(4) Karl Eduard Zetzsche (1830-Dresden, 1894) qui était l'éditeur du Elektrotechnischen Zeitschrift (Berlin) et a publié divers ouvrages sur la télégraphie :

 

  • Die Kopiertelegraphen, Typendrucktelegraphen und die Doppeltelegraphie, Leipzig, 1865

  • Kurzer Abriss der Geschichte der elektrischen Telegraphie, Berlin, 1874

  • Die Entwicklung der automatischen Telegraphie, Berlin, 1875

Entre 1883 et 1894, il collabore régulièrement à la revue française La lumière électrique.

(5) L'acte de mariage (en allemand) est publié sur le site de la Ville de Lebork.

(6) BRUCH, W., Kleine Geschichte des deutschen Fernsehens. Buchreihe des SFB, Band 6, Haude und Spener, Berlin 1967, cité in SCHMITT, op.cit., pp.25-26.

 

 

 

 

 

La rue de la maison natale de Nipkow à Lauenburg en Poméranie, aujourd'hui Lebork, en Pologne (Photo : Site de la ville de Lebork, qui a créé une promenade Nipkow permettant de visiter les lieux où Nipkow passa son enfance)

Schéma du télectroscope de Nipkow. (PEETERS, J.J., "A History of television" in TV 50 Years, EBU/UER, Genève,1987. reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur). 

Le disque de Nipkow

L'histoire a retenu l'expression "disque de Nipkow". En fait, il serait plus exact de parler des "disques de Nipkow".    L'élément de base de l'appareil de Nipkow est constitué par constituées par un couple de disques : un disque de balayage, doté de trous de forme carrée et disposés en spirale et un disque de synthèse recomposant l'image pour l'observateur.

Trois parties sont à considérer dans le système :

  • la réalisation des mouvements synchroniques entre les deux stations (disque T et disque T)

  • la transformation du signal lumineux en signal électrique (analyse)

  • la transformation su signal inverse au poste de réception (synthèse)

Nipkow propose de forer de 24 trous les disques à intervalles réguliers le long d'une ligne en spirale. Le disque T tourne devant l'objet dont l'image est à transférer. Derrière le disque est disposé un panneau.  Les distances entre les trous sont sélectionnées de sorte que le trou suivant apparaisse sur le bord droit de la fenêtre de l'iris dès qu'un trou atteint le bord gauche de la fenêtre de l'iris. Le disque est mis en mouvement de manière régulière par une horloge.

Paul Nipkow étudiant, vers 1884. 

Un télescope électrique de Nipkow conservé au Telemuseet d'Oslo. Les précisions sur l'origine et la date de construction de cet appareil ne sont pas disponibles. Il s'agit probablement d'un appareil construit dans les années 20.

Hauteur : 110 cm, largeur 60 com, profondeur : 40 com.

Karl Eduard Zetzsche

"Le disque de Nipkow, sous sa forme la plus simple", HEMARDINQUER P., "Les progrès de la Radiovision en France", La Nature, 1er juin 1935

"La transmission électrique des images optiques", Revue du génie militaire, janvier 1929

Détail d'un disque de Nipkow. L'arc rouge décrit l'espacement d'une ligne de télévision. la cellule de sélénium convertit la luminosité en valeurs de résistance électrique.  Source M2Consulting/PCMagazin

Lorsque le dernier des 24 trous atteint le bord gauche de l'ouverture, le disque a effectué une révolution complète en balayant une image entière de 24 lignes. Le balayage d'image commence au début avec la rotation suivante pour l'image suivante. Pour la transmission, la valeur de luminosité de chaque pixel que les ouvertures de disque respectives libèrent doit maintenant être convertie en une valeur électrique. En outre,  Nipkow imagine une cellule de sélénium qui convertit la luminosité du point en une valeur de résistance électrique.

Pour le récepteur,  Nipkow utilise un disque identique à celui du transmetteur, qui était également piloté par un mouvement d'horlogerie et donc synchronisé avec la station d'émission en tours uniformes. Du côté du récepteur, les valeurs de résistance obtenues du côté de l'émetteur par l'échantillonnage devaient à présent être converties à nouveau en valeurs de luminosité des pixels individuels.Les sources de lumière électrique présentes au moment de la demande de brevet étaient la lampe à arc de carbone et la lampe à filament déposé par Edison en 1879 pour un brevet. Les deux n'étaient pas adaptés pour la conversion directe des changements de luminosité rapides requis par le processus électromécanique de Nipkow. Il s'est donc inspiré de l'effet de la rotation de la polarisation de la lumière découverte par Michael Faraday en 1846. Dans ce cas, le plan de polarisation d'un faisceau lumineux, qui passe dans un milieu transparent, est entraîné en rotation par un champ magnétique le long de ce milieu.

Entre les deux disques, Nipkow imagine ce qu'il appelle la "station II" (figure 3 de son brevet) et que l(on appellera plus tard un "relais de lumière". La bobine N est enroulée autour du corps O, ce qui est approprié pour le plan de polarisation d'un passage à travers elle d'un faisceau de lumière polarisée sous l'influence d'un courant électrique balayant la spirale, p. un cylindre  de Faraday en verre lourd, ou un tube rempli de disulfure de carbone, fermé des deux côtés par des plaques de verre plat. P est une source de lumière, Q une lentille convexe, R et S sont des prismes de Nicol. Un prisme Nicol est constitué de deux prismes reliés par un adhésif spécial. Il a la propriété de polariser le faisceau lumineux entrant d'une source lumineuse, de sorte qu'à la sortie du faisceau lumineux il n'y a qu'un seul niveau de vibration. Nipkow déclare que les deux prismes de Nicol sont torsadés l'un contre l'autre de sorte que la lumière de la source de lumière n'apparaisse plus à la sortie du "relais de lumière". Les plans de polarisation des deux prismes de Nicol sont alors perpendiculaires entre eux. Or, lorsque le courant traverse la bobine, l'effet Faraday fait tourner le plan de polarisation du faisceau lumineux en traversant la tige de verre et n'est plus perpendiculaire au plan de polarisation du prisme de Nicol à la sortie. Alors la lumière peut arriver. Avec la force du courant, l'angle de la rotation de polarisation et donc la luminosité peuvent être contrôlés. 

Qu'en est-il de l'interaction des stations émettrice et réceptrice? La luminosité de chaque pixel (Bildungpunkt) (8) est convertie par la résistance au sélénium en une valeur de résistance analogue. La batterie entraîne un courant correspondant à la valeur de résistance à travers la bobine du «relais de lumière» et, par conséquent, la luminosité s'ajuste elle-même à la sortie du «relais de lumière». L'œil et le cerveau de l'observateur devant le disque tournant de Nipkow du récepteur réassemblent les élément de l'image originale à partir de la luminosité des pixels transmis individuellement. 

Nipkow  décrit dans son brevet d'autres modes de réalisation de son "relais de lumière", mais qui ne sont pas adaptés à la transmission d'images. De plus, il donne le conseil d'exécution suivant, qu'il justifie par des hypothèses sur le système visuel: l'œil subit une impression de lumière momentanée pendant 0,1 à 0,5 seconde. Une image cohérente résulterait de son "télescope électrique" si les deux tranches ont accompli une révolution en 0.1 secondes. Son système délivre donc 10 images par seconde.

(8) Sur la traduction de Bildpunkt par pixel, voir LYON, R.F., "A Brief history of 'pixel'"Digital photography, 2006. Lyon indique que J.R. Price (ingénieur chez Bell Telephone, inventeur du mot transistor), dans la présentation du disque de Nipkow qu'il donne dans son livre Electrons, Waves and Messages (1956),  a traduit le terme Bildpunkt par picture element qui deviendra pixel chez  un des pionniers de l'image numérique, Fred Billingsley, en 1965

Paul Nipkow vers 1887. (Source : SCHRAGE W.  "Nipkow still lives !, " Television News, n.2,, Jan-Feb. 1933)

L'article de 1885

Le brevet est attribué le 15 janvier 1885. Nipkow, selon ses souvenirs, fait quelques présentation parmi les milieux professionnels et, quelques mois plus tard,  publie  un des rares articles,  qu'on possède de lui et qu'il a écrit durant son service militaire : "Der Telephotograph und das elektrische Teleskop",  Elektrotechnische Zeitschrift, 6, 1885, 419-425

Cet article commence par un état de la question dans lequel Nipkow affirme n'aboir pas eu connaissance de tous les travaux existants au moment où il a déposé son brevet et que ce n'est que durant l'été 1884 u'il a pris connaissance, grâce au Professeur Zetzsche des travaux d'Ayrton et Perry et de Bidwell.

Dans cet article, il revient sur le problème de la synchronisation des deux disques. Il abandonne les deux mécanismes d'horloge envisagés dans la demande de brevet et suggère le recours à des "roues crénelées", sur le modèle décrit par La Cour en 1878 et 1882.(9) Il s'agit de "roue phonique" (phonic wheel) dont le danois Poul La Cour et l'Américain Patrick B. Delany allaient se disputer l'invention  en 1886 (10). Le mécanisme a été inventé en août 1875 et breveté en 1877 par La Cour. Il s'agit d'un moteur synchrone entraîné par un diapason, qui utilisait un électro-aimant pour faire tourner la roue dentée du moteur d'une dent pour chaque vibration. Avec deux roues phoniques synchrones à distance, une multitude de dispositifs télégraphiques étaient possibles.

(9) DAGUENET.C.  "PAUL LA COUR. - Das Tonrad (La roue phonique)" Copenhague, 1878. J. Phys. Theor. Appl., 1879, 8 (1), pp.213-213.

 

L’instrument consiste en une roue dentée de fer doux, mobile autour d’un axe vertical, en face du pôle d’un électro-aimant placé dans son plan. Ce pôle est assez petit pour agir sur une seule dent à la fois. Lorsqu’on fait passer dans le fil un courant interrompu par un diapason ( courant phono-électrique), et qu’on donne à la roue une vitesse telle que le nombre de dents qui passent devant le pôle dans un temps donné soit égal au nombre d’interruptions pendant le même temps, le mouvement continue avec la même vitesse ; c’est la vitesse régulière de la roue. On pourrait aussi obtenir des vitesses mul tiples ou sous-multiples, mais cet état d’équilibre serait moins stable que le premier. Les irrégularités du mouvement disparaissent, si le moment d’inertie de l’appareil est suffisamment grand; on obtient facilement cette régularité en plaçant sur la roue un disque de bois creusé d’une rainure circulaire remplie de mercure ; le métal agit à la fois par son poids et par son frottement sur le disque pour maintenir la vitesse constante. On peut faire varier entre des limites étendues le nombre des dents et le nombre de vibrations du diapason interrupteur, et obtenir ainsi un mouvement de rotation régulier plus ou moins rapide, applicable à des chronographes, à des appareils synchrones dans la télégraphie, etc.

(10) Report of the special committee appointed october 20, 1886, to investigate the protest of poul la cour against an award of the elliot cresson medal to Patrick B. Delany for his synchronous multiplex telegraph systemJournal of the Franklin InstituteVolume 124, Issue 2, August 1887, Pages 81-108

Les deux graphiques illustrant l'appareil de Nipkow dans son article "Der Telephotograph und das elektrische Teleskop",  Elektrotechnische Zeitschrift, 6, 1885, 419-425

La légende de l'invention et les sources de celles-ci

Il existe autour de l'invention de Nipkow une légende répétée dans de nombreuses notices biographiques :  "D'après ses propres souvenirs, l'idée lui en serait venue le soir de Noël 1883, alors qu'il observait assis sa lampe à pétrole dans son appartement meublé du n°13a de la Phillipstrasse, à Berlin-Mitte : il s'agissait de recomposer une image couleur par projection d'une mosaïque de points de couleurs sur un disque spiralé." (11) Je ne sais où Walter Bruch, réputé être l'inventeur du système PAL de télévision en couleur, est allé chercher cette histoire de lampe à pétrole, qui n'apparaît dans aucun des trois entretiens connus de Nipkow avec les journalistes.

Dans sa lettre au New York Times, Nipkow évoque le contexte de son invention (12) : "Now, however, my pen hesitates? Did I at that time think about the scope and future of the 'electric telescope', alias television ? Hardly! We must remember that in those days the use of the telephone was only in its first stages. Indeed the idea of television over the telephone wires appeared before me. But then Heinrich Herz (discoverer of Hertzian waves) had not yet taught. Marconi had not telegraphed. How then, could such far-flung ideas have come to the modest student of philosophy ? No; my thoughts and worries during the next decades were devoted to my professional work, which was the practical development of the system of making railroad traffic safe. Only occasionaly was I able to give any time to my first love - television". Dans son entretien avec Norweg en 1930, Nipkow était plus explicite sur la fonctionnalité de son idée : il s'agissait bien d'un appareil permettant à des interlocuteurs téléphoniques de se voir pendant l'entretien. L'dée d'une diffusion de masse était donc absente, comme chez la plupart des concepteurs de l'époque.

L'image que Nipkow donne de lui-même en modeste étudiant en philosophie prête à sourire dès lors qu'on examine de près son brevet et son texte de 1885 : il a eu connaissance étendue et précise des travaux récents dans le domaine de l'électricité et de l'optique et connaît, par Zetzsche, les travaux pionniers de Caselli et Bain en télégraphie des images. Il peut avoir ignoré, en janvier 1884, les travaux britanniques de Ayrton, Perry et Bidwell, mais il connaissait les travaux de Bell et Tainter sur le photophone, et, lecteur de La lumière électrique, il ne pouvait ignorer les contributions de de Paiva et Senlecq, abondamment commentée par Th.du Moncel. 

 

L'idée des disques perforés peut lui être venue en étudiant le photophone de Bell et Tainter, mais plus encore celui de Mercadier qui proposait en 1881 la "roue interruptrice".(13). Différents systèmes optiques à base de disques rotatifs existaient dans la recherche optique comme l'anothorscope (1827) et le phénakistiscope (1832) de Joseph Plateau, exploités sous formes de jouets ou encore le disque rotatif de Charles Wheatsone (1841) conçu pour des applications en télégraphie Morse. La "roue interruptrice" de Mercadier est un perfectionnement du photophone de Bell : une roue de de verree recouverte de papiers noiris est percée de plusieurs rangées de trous concentriques qui permettent de capter les intensités lumineuses et d'en percevoir les effets sonores à travers un cornet accoustique.

(11) Voir par exemple la notice sur Nipkow du site du Deutsches Fernsehmuseum et l'article "Paul Nipkow" de Wikipedia.fr, traduit de Wikipedia.de, (consulté le 25 décembre 2017) qui cite Walter Bruch, Kleine Geschichte des deutschen Fernsehens, 1967, S. 14

(12) In DUNLAP, art..cit.

(13) MERCADIER, E., "La Radiophonie", La lumière électrique, 1er janvier 1881. Un des photophones conservés au Musée des Arts et métiers dispose dispose d'une roue perforée. Voir photo 0002117_005 Voir également, DU MONCEL Th.n Le microphone, le radiophone et le phonographe, Hachette, 1882, p.146 ; "Radiophonie", Elektrotechnische Zeitschrift, Juni 1881, pp.198-203)

Disque du phénakistiscope de Plateau

Le disque rotatif de Charles Wheatsone (1841) (Annual Report of Commission of Patent, 1846)

La roue interruptrice de Mercadier (1881), source d'inspiration possible de Nipkow.

Le radiophone avec roue perforée de Mercadier (DU MONCEL Th.n Le microphone, le radiophone et le phonographe, Hachette, 1882, p.146 et. s.)

Le radiophone avec roue perforée de Mercadier (in SARTIAUX E. et ALIAMET. M. Principales découvertes et publications concernant l'électricité de 1562  1900, Rueff, 1900; p.34)

Radiophone à disque perforé de Tainter 

("Radiophonie", Elektrotechnische Zeitschrift, Juni 1881, pp.198-203)

Le photophone de Bell et Tainter, les radiophones à disques perforés de Mercadier et de Tainter avaient été largement décrits dans différents numéros de la revue Elektrotechnische Zeitschrift en 1881. Certes les radiophones de Mercadier et de Tainter étaient des appareils de recomposition du son à partir d'impulsion lumineuse et ils ne concernaient pas la transmission des images. Mais ils ont pu fournir à Nipkow un modèle conceptuel. Quoiqu'il en soit, comme me le fait remarquer Mark Schubin, l'originalité de Nipkow réside dans le recours à un disque perforé avec des trous en spirales, ce qui ne produit pas seulement des lignes de balayage (que l'on trouvait déjà chez Bain, Senlecq, Bidwell,...) mais aussi des cadres continus.  

Les commentateurs de Nipkow, y compris les rares commentateurs qui lui furent contemporains, ont douté que Nipkow ait jamais expérimenté son appareil. C'est une interprétation qui colle mal avec l'image du jeune Nipkow actif expérimentateur sur un téléphone et avec les détails et les alternatives suggérées dans la demande de brevet. Il me paraît plus probable que Nipkow a, d'une manière ou d'une autre, fait des expériences, mais que celles-ci n'ayant pas été concluantes, il n'en a rien dit et n'a jamais envisagé une démonstration publique. Quoi qu'il en soit, K.L. Maul (14) résume bien pourquoi l'appareil ne pouvait pas fonctionner en 1884 :

  • La cellule au sélénium utilisée aurait été trop léthargique pour traduire les luminosités des pixels.

  • Le "relais de lumière" basé sur l'effet de Faraday aurait nécessité de tels courants élevés pour la rotation de la polarisation qu'ils n'auraient pas pu être générés avec une seule cellule au sélénium.

  • L'auto-induction de la bobine du «relais de lumière» n'aurait pas permis les changements rapides du courant requis pour la transmission de l'image.

  • La synchronisation des deux lecteurs de disque n'a pas été résolue.