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La roue à miroirs et ses applications à l'époque de la télévision mécanique

 

1ère partie (1906-1919)

 

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La roue à miroirs, proposée en 1882 par Ll. B. Atkinson et théorisée en 1889 par  Lazare Weiller constitue, à l'égal du disque de Nipkow (1884),  une innovation essentielle, un système de balayage des images qui allait permettre l'essor de la télévision mécanique, avant l'arrivée, dans les années 1930 des systèmes électroniques. Nous en retraçons ici, à large traits, l'adoption progressive, jusqu'aux prototypes d'appareils, qui, à la veille de la Seconde guerre mondiale, permettaient de fournir une image en 405 lignes, d'une qualité comparable à celle des systèmes à tube cathodique proposés à l'époque. Il s'agit ici d'illustrer la puissance d'une idée et non, bien sûr, d'expliquer le détail de fonctionnement de tous les appareils proposés. Les contributions les plus importantes seront décrites plus en détail dans d'autres chapitres.

Une réception au départ discrète

L'impact de l'article de Weiller sur les recherches en matière de télévision n'a pas été immédiat. Mis à part les articles de H.W. et de Max de Nansouty et l'amplification enthousiaste d'Emile Desbeaux dans le chapitre "Téléphote" de sa Physique populaire, Il semble que la proposition de Weiller ait d'abord suscité le scepticisme. Dans son article, "La photographie des objets à très grande distance par l'intermédiaire du courant électrique", Revue générale des sciences pures et appliquées, Paris, 30 janvier 1891, le chercheur français Marcel Brillouin, comparant les méthodes proposées par Nipkow, Sutton et Weiller écrit tout net que "Le disque à trous en spirale de M. Nipkow ne permet ni finesse ni éclat; et le cylindre à 360 miroirs de M. Weiller, qui permet à peu près l'un et l'autre, est d'une construction presque impraticable, si l'on veut de la fidélité."

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En 1894 l'électricien italien Quirino Maiorana  émet une critique similaire dans son article "Il problema della visione a distanza per mezzo dell'elettricita (Telefoto)", Elettricista, 3, 1894. et il propose un système de balayage par croisement de deux disques percés, idée qui sera reprise et développée par le Major prussien Benedict Schöffler dans son projet de photo-télégraphe et par le russe A.A. Polumordvinov dans son projet de téléphote, qui obtiendra le premier brevet de télévision français, en juillet 1900.

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Un bon indicateur de l'absence d'écho de la proposition de Weiller durant la fin du 19ème siècle est le fait que Constantin Perskyi ne la mentionne pas  dans sa communication sur l'état de la question de la "télévision au moyen de l'électricité" au Congrès international d'Electricité de l'Exposition universelle de Paris (1900), pourtant présidé par le physicien Eleuthère Mascart (1837-1908), avec qui Weiller avait travaillé.

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Le premier système de balayage par tambour de miroirs, probablement conçu par LL. B. Atkinson dès 1882. L'appareil est conservé au London Museum of Science

La roue de miroirs (dans une version simplifiée à 12 faces) dans l'article de Weiller "De la vision à distance par l'électricité", (1889).

Schéma du brevet de Georges Rignoux (1908)

Station de réception du téléphote de Georges Rignoux (1914) (Scientific American Supplement, le 22 mai 1915)

Le téléphote de Georges Rignoux (1908-1914)

  

En France, l'idée de recourir à la roue de miroir proposée par Lazare Weiller semblait avoir été oubliée. Elle était cependant entretenue par le chroniqueur scientifique du journal Le Temps, Max de Nansouty, qui l'évoquera à plusieurs reprises et en particulier dans une "Causerie scientifique" du 1er décembre 1906, alors que l'invention du téléautographe du Dr. Korn rend enfin quelque crédibilité aux hypothèses émises dans les années 1880. 

 

Le second appareil de télévision utilisant une roue à miroir est le téléphote du français Georges Rignoux, pour lequel il obtient un brevet le 28 juillet 1908 (FR390435). Rignoux avait en 1906 obtenu deux brevets pour des téléphotes recourant à des miroirs oscillants. Dans son brevet de 1908, il introduit des tambours (non plus des roues comme chez Weiller) aux stations d'émission et de réception. De premier résultats, assez frustres, sont annoncés en septembre 1908, puis en décembre 1909 un perfectionnement de l'appareil est décrit. Finalement une note de Rignoux est présentée le 13 juillet 1914 à l'Académie des Sciences par le Professeur Lippmann (lequel fut un ami de Weiller). Les expériences de Rignoux sont interrompues par l'éclatement de la Première guerre mondiale, mais obtiennent une grande visibilité aux Etats-Unis grâce à une page de couverture dans le Scientific American Supplement, le 22 mai 1915, qui inclut une photographie du récepteur, avec le tambour de miroirs bien visible. L'article de R. Arapu qui décrit l'appareil utilise l'expression de "revolving mirrors".

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Le Fernseher d'Otto von Bronk (1902)

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Le premier appareil conçu avec une roue à miroirs (Spiegelrad) se trouve dans le brevet allemand DE155528 déposé le 12 juin 1902 par le physicien Otto von Bronk (1872-1951), et délivré le 22 octobre 1904. Ce brevet est le quatrième de l'histoire de la télévision. Otto von Bronk avait déjà publié un descriptif d'appareil en 1901. L'appareil de 1902 paraît plus ambitieux et imagine une transmission d'images en couleur et bi-directionnelle. Le dispositif inclut des roues à miroirs, des distributeurs, des cellules de sélénium, des transformateurs, des tubes de décharge, des prismes et des filtres rouge, jaune et bleu. Les rayons lumineux de la roue à miroir sont projetés à travers des prismes et les filtres de trois couleurs vers trois rangées de cellules de sélénium. Les cellules sont connectées de manière séquentielle via un distributeur et un transformateur vers les lignes de transmission. Un autre distributeur dans le récepteur désert les courants de ligne vers les contacts correspondants de trois tubes de Geissler à électrode multiple, équivalent chacun aux rangées de cellules de sélénium, c'st à dire la longueur d'une ligne d'image. Cet appareil n'a probablement jamais été construit et en tout cas jamais démontré. Restent de jolis graphiques. Otto von Bronk sera une figure active du monde allemand de la télévision dans les années 30.

Figure 1 du brevet de von Bronk

Figure 5 du brevet de von Bronk

Figure 6 du brevet de Von Bronk

Figure 12 du brevet de von Bronk

L'appareil à transmission de messages graphiques de Gilbert Sellers (1908)
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En 1908 également, un inventeur de Chicago, Gilbert Sellers dépose deux demandes de brevet pour des appareils de transmission électrique de messages graphiques. Le premier de ces deux appareils, qui obtiendra le brevet US939338. Le balayage se fait avec un disque munis de lentilles et des cellules de sélenium. A la réception, la lumière d'une source locale, modulée par la réflexion d'un miroir oscillantà travers une lentille, est projetée vers une série de miroirs sur un tambour tournant. L'image est vue sur la surface de ceux-ci à travers une ouverture dans le caisson de réception.

Le brevet de Michel Schmierer (1910)

 

En 1910, un berlinois, Michel Schmierer, obtient un brevet allemand (N.234601) pour un système relativement comparable à celui de Weiller. L'invention concerne un dispositif de "miroirs multiples" (Vielfachspiegel) pour transmission électrique à distance d'images, dans lequel l'angle que forment les miroirs avec l'axe de rotation, devient plus grand avec chaque miroir successif, de sorte que le premier miroir a un  angle relativement petit, le dernier forme un angle relativement grand avec l'axe de rotation. Cela est supposé garantir que l'incidence de la source de lumière sur le faisceau de miroir à travers la révolution du système de miroir balaye une surface, ou vice versa, à partir des éléments de surface d'une image à transmettre. Selon Dauvilliers (1928), Schmierer "décrit une source lumineuse réceptrice sans inertie, constituée par un spot cathodique tombant sur un petit écran fluorescent fixe ou rotatif (pour diminuer la fatigue), plus ou moins dévié électrostatiquement par le courant photoélectrique. Ce spot est repris par le système optique tournant récepteur". Le brevet est cité par Korn/Glatzel (1911), Dauvilliers (1929) et Shiers (1997), mais n'a pas eu d'application.

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En 1911, Korn et Glatzel consacrent trois pages de leur Handbuch au phoroscope de Weiller mais concluent (p.448) : "Bien qu'il ait été utilisé plusieurs fois par des inventions plus tardives, l'appareil de Weiller ne devrait pas avoir d'importance."

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Boris Rosing (1908-1912) : tambour de miroirs et tube cathodique

 

La roue à miroirs a été utilisée par le chercheur russe Boris Rosing et par les divers chercheurs russes qui ont travaillé sur la télévision mécanique.

 

En 1908, puis en 1912, Rosing a obtenu deux brevets russes pour un appareil de transmission d'images couplant deux tambours de miroirs pour le balayage et un tube cathodique pour l'affichage. Il obtient également trois brevets au Royaume-Uni (1907, 1911, 1912) deux aux Etats-Unis (1915), un en France (1911) et un au Canada (1914). Les brevets de Rosing n'ont pas eu d'application pratique, mais constituent une étape importante vers la télévision électronique. C'est un moment paradoxal de couplage entre télévision mécanique et télévision électronique.

Schémas du brevet 234601 (1910) de Michel Schmierer

Schéma du brevet russe RU18076 de Boris Rosing (1908)

Schéma du tambour de miroirs dans le brevet britannique GB190727570 (A) (1908) de Boris Rosing

Schéma du brevet GB191105259 de Rosing (1911)

L'appareil de "cinéma sans fil" de Henry Konrad Sandell (1919)

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L'inventeur de Chicago H.K. Sandell, surtout connu pour son violon électrique, obtient en 1919 un brevet américain (et par la suite un brevet britannique et un brevet canadien) pour un système de diffusion sans fil d'images et de films, qui inclut un tambour de 12 miroirs (en anglais Sandell parle de mirror prism). tournant à haute vitesse qui envoie la lumière de l'objet ou de le la scène vers une banque de cellules de sélénium. Une séries de fentes se trouvent entre le miroir et la cellule de manière telle que chaque cellule reçoit une petite portion de lumière de l'objet ou de la scène. Chaque cellule est connectée à son propre émetteur radio avec une antenne d'amplitude différente. Du côté du récepteur, un ensemble d'électro-aimants sont connecté à la sortie de chaque cellule et mettent en mouvement un petit miroir qui reçoit la lumière d'une tube. Chaque électroaimant est règlé pour recevoir seulement l'onde émise par le circuit d'émission de la cellule de sélénium correspondante. La lumière du miroir va ainsi vers une série de fentes similaires à celles de l'émetteur et au tamboir de miroir. Les demi-teintes dépendent de la force du courant émis par l'appareil émetteur. Comme il s'agit d'un système simultané, aucun moyen de synchronisation n'est nécessaire ni mentionné. (Description d'après A. Abramson). L'appareil n'a jamais été mis en application et aucune démonstration n'est mentionnée. Le 19 juillet 1923, la firme Mills Novelty Co, qui avait acheté les droits du violon électrique de Sandell, obtiendra un brevet britannique Apparatus for telegraphically reproducing pictures and the like (GB200643) pour un appareil assez similaire.

Schéma e la station de réception de l'appareil de Sandell (1919)

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