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La découverte des propriétés photo-sensibles du sélénium (1873) à l'origine des premières recherches sur la sur la transmission des images à distance. 
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Les premiers travaux de recherche sur la possibilité de transmettre des images à distance ont été stimulés par la découverte des propriétés photoélectriques du sélénium par Willoughby Smith (1873). Comme l'hypothèse de recourir au sélénium a été le paradigme dominant de ces recherches pendant plus de trente ans, il est utile de rappeler les principales étapes des travaux sur cette substance

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 La découverte du sélénium par Berzelius

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En 1817 les chimistes suédois Berzelius et Gottlieb Gahn ont fait un examen de la méthode de préparation de l'acide sulfurique. Pendant cet examen ils ont observé dans l'acide un dépôt d'une couleur brune partiellement rougeâtre et partiellement claire, sous laquelle l'action du chalumeau provoquait une odeur particulière, telle que cette attribuée par Klaproth au tellurium. Comme le tellurium était une substance d' une extrême rareté, Berzelius a essayé d'en produire à partir de ce dépôt, mais, après de nombreuses expériences il n'a pu obtenir de traces de sa présence. Il a trouvé des signes abondants de soufre, mélangé au mercure, au cuivre, à l'étain, au zinc, au fer, à l'arsenic et au plomb, mais aucune trace de tellurium.

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Ne se décourageant pas pour si peu, Berzelius a rassemblé une grande quantité du matériel et soumis la masse entière à divers processus chimiques. Il a réussi à séparer successivement le soufre, le mercure, le cuivre, l'étain et les autres substances connues, dont la présence avait été indiquée par ses essais; et après que toutes celles-ci aient été éliminées, restait un résidu, qui s'est avéré après examen être une nouvelle substance élémentaire.

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Les propriétés chimiques de ce nouvel élément se sont avérées  ressembler à celles du tellurium à un point  tel que Berzelius a donné à la substance le nom de "sélénium " du mot grec selhum , la lune, ("tellurium"  étant dérivé de tellus , la terre). Bien que le tellurium et le sélénium soient semblables à bien des égards, ils diffèrent en ce qui concernent leurs propriétés électriques, le tellurium étant un bon conducteur de l'électricité, et le sélénium, comme Berzelius l'a montré, un non-conducteur.

 

Les travaux de Knox et de Hittorf

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Knox a découvert en 1837 que le sélénium  devenait un conducteur lorsqu'il était en fusion et Hittorff, en 1851, a prouvé qu'il est conducteur à des températures ordinaires,  dans une de ses formes allotropiques.

 

Quand le sélénium est rapidement refroidi d'un état de fusion, il est un non-conducteur. Dans son "état vitreux ", il est d'une couleur brune foncée, presque noir sous la lumière réfléchie, en ayant une surface excessivement brillante. En couches minces, elle est transparente, et apparaît d'un beau  rouge sous la lumière.

   

Quand le sélénium est refroidi, avec une extrême lenteur, d'un état de fusion, il présente un aspect entièrement différent, devenant d'une couleur mate, et ayant une structure granulaire ou cristalline qui le font ressembler à un métal. Sous cette forme il est opaque à lumière, même en couches très minces. Cette variété de sélénium a été longtemps connue comme "sélénium granulaire " ou "cristallin"; ou comme Regnault l'a appelé, " sélénium métallique".    Hittorff a trouvé que, sous cette forme, le sélénium est conducteur de l'électricité, à température ordinaire.

 

Il a également trouvé que sa résistance au passage d'un courant électrique diminue sans interruption en situation de chauffage jusqu'au point de fusion; et que la résistance  augmente soudainement dans le passage de l'état solide à l'état liquide. 

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Il a été rapidement découvert que l'exposition à la lumière du soleil accélère le changement de sélénium d'une forme allotropique à l'autre.

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Article "Selenium" in URE, A. (1778-1857), A dictionary of arts, manufactures, 
and mines; containing a clear exposition of their principles and practice
, 1871

 

Les recherches sur les propriétés photosensibles

   

Bien que le sélénium ait  été connu dès 1817, il faut attendre les années 1870 pour qu'il cesse d'être considéré comme une curiosité chimique et fasse l'objet de considération pratique. Dans les années 1870, comme en témoigne Graham Bell, le sélénium est habituellement fourni sous la forme des barres cylindrique. Ces barres sont parfois constituées de sélénium dans sa version "métallique", mais plus souvent elles fournissent du sélénium dans sa forme vitreuse et non conductrice.

 

La découverte des propriétés photosensibles est attribuable à Willoughby Smith et à son assistant J. May, qui travaillaient dans une société de télégraphie. Le 4 février 1873, Willoughby Smith adresse une lettre à Latimer Clark, que celui-ci fait immédiatement publié dans la revue Nature. Dans cette lettre, Smith indique qu'il a découvert la réactivité du sélénium sous l'action de la lumière. Ce n'était pas la première fois que l'on découvrait un effet électrique résultant d'une cause optique : en 1839, le savant français Edmond Becquerel avait montré qu'un courant électrique s'établissait dans une cellule contenant deux liquides différents, lorsque ceux-ci étaient exposés à la lumière. Mais la découverte de Becquerel n'était pas appropriée pour la transmission électrique d'images, car un galvanomètre sensible était nécessaire pour l'observation du courant.

 

Un intérêt international pour les "propriétés curieuses" du sélénium

 

L'annonce de la découverte de Smith et May a  créé un intérêt intense dans les milieux scientifiques, et des lettres  concernant les détails de l'expérience sont parues dans les colonnes de la revue Nature. Le Lieut. M. Sales et Harry Napier Draper ont corroboré les rapports qui avaient été faits par Willoughby Smith. Sales  a présenté ses recherche à la Royal Society le 8 mai1873, et en novembre suivant, Draper a présenté ses résultats à l'Académie royale irlandaise royale dans la forme d'un papier commun avec Richard J. Moss.

 

Selon Graham Bell, Draper et Moss présentent dans leur papier une excellente synthèse de l'état des connaissances concernant le sélénium à ce moment-là. Ils ont confirmé l'observation de Hittorff selon laquelle  la température de la résistance minimum du sélénium granulaire était quelque part aux alentours de 210° C, et que à 217° C. (c'est à dire au point de fusion), la résistance augmente soudainement. Ils ont porté la température à  un point encore plus élevé que Hittorff ne l'avait fait, et ont constaté que la résistance a encore diminué.

 

Pendant le cours de leurs expériences ils ont produit une variété de sélénium granulaire non différente par son aspect d'autres spécimens mais ayant des propriétés électriques différentes. Sous cette forme la résistance est devenue plus grande lorsque la température est augmentée. Ils ont également utilisé les plaques minces du sélénium au lieu des barres cylindrique autrefois utilisées, et y ont trouvé une plus grande sensibilité à la lumière.

Sales a trouvé que lorsque  le sélénium était exposé à l'action du spectre solaire, l'effet maximum est  produit juste à l'extrême bord  de la limite rouge du spectre, à un point presque coïncident avec le maximum de la chaleur rayonne, de ce fait la rendant incertaine si l'effet était dû derrière la chaleur légère ou radiante.

Durant l'hiver de 1873-4, l'astronome Laurence Parsons, 4th Earl de Rosse,  a essayé de résoudre cette question en comparant   les effets de sélénium avec les indications de la thermopile. Il a exposé le sélénium à l'action des rayonnements non-lumineux des corps chauds, mais n'a pu produire aucun effet; considérant que  la thermopile, dans les conditions semblables, a donné des indications abondantes d'un courant. 

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Le Professeur W. G. Adams, du King College, est devenu le principal chercheur sur les propriétés photo-sensibles du sélénium. Avec son assistant R.E. Day il étudie l'effet photo-voltaïque dans le sélenium solide et construit la première cellule au sélénium.

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Aux Etats-Unis, les découvertes de W. Smith font l'objet d'un article dans Scientific American dès le 18 mai 1873. Edison s'intéresse au sélénium : ses archives comportent au moins trois articles, découpés dans la presse, relatifs aux propriétés du sélénium.

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En Allemagne, Werner Siemens procède à des expériences sur le sélénium en 1875. Il observe que la conductivité du sélénium n'est pas proportionnelle à l'intensité de la lumière, mais qu'elle est proportionnelle à la racine carrée de cette intensité. Il conçoit un photomètre électrique. Son frère, C. Williams, installé à Londres, présente les travaux de son frère, le 8 février 1876 à la Royal Institution et à cette occasion, introduit un oeil électrique artificiel, qu'il a conçu pour illustrer les travaux de son frère.

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Il ne semble pas que des recherches aient été menées en France avant 1876. Le vulgarisateur Louis Figuier, consacre un article aux "Etudes sur les rapports entre la lumière et l'électricité par M. Radau", dans L'année scientifique et industrielle, Vingtième année, 1876 (paru en 1877).

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Les travaux sur les possibilités de l'utilisation des propriétés photo-sensibles du sélénium commencent en 1878.

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En 1878, trois chercheurs imaginent, quasi simultanément, que les propriétés du sélénium pourraient être utilisée pour transmettre des images à distance. Le premier est Adriano de Paiva, Professeur à l'Université de Porto, qui, publie en mars 1878 son premier article "A telefonia, a telegrafia e a telescopia". Le second est le français Constantin Senlecq, qui indique avoir commencé ses recherches sur le téléctroscope en 1876, mais dont les premières attestations datent de novembre 1878. Le troisième est l'inventeur George R. Carey, qui dès janvier 1877 dessinera une projet de caméra électrique au sélénium, également appelé telectroscope mais dont la première mention n'apparaît qu'en mai 1879.

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Il faudra cependant attendre la publication des travaux de Graham Bell et Summer Tainter sur le photophone - un appareil recourant au sélénium permettant la transmission des sons par le biais de la lumière - pour que les potentialités pratiques du sélénium soient considérées comme sérieuse. Le recours aux propriétés photo-sensibles du sélénium va dès lors devenir, pendant plus de trente ans, le paradigme des premières recherches sur la transmission des images à distance.

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Il est intéressant de noter qu'aucun des principaux chercheurs qui ont travaillé sur les propriétés photo-électriques du sélénium entre 1873 et 1880 ne sont intervenus dans les débats sur les possibilités d'utiliser ces propriétés pour la transmission des images. Notons cependant qu'un des collaborateurs du Professeur Adams  LL. B. Atkinson, est un des premiers à s'intéresser aux problèmes d'analyse de l'image et a conçu, apparemment dès 1882, un appareil utilisant une roue à miroirs. Signalons également que J.E.H. Gordon, auteur d'un article sur les propriétés anormales du sélénium paru dans Nature en 1875, réagit en 1880, dans la même revue, dans un article intitulé "Seeing by Electricity" aux propositions de Ayrton et Perry pour indiquer que, sur base de ses expériences, son scepticisme quant à l'hypothèse d'utiliser des cellules de sélénium pour la traduction des signaux lumineux en signaux électriques. De nombreux chercheurs (W.E. Sawyer, Shelton Bidwell, A.A. Swinton Campbell,...)  indiqueront que le sélénium n'est pas suffisamment réactif pour permettre son usage dans la transmission d'images animées, mais, jusque dans les années 20, des expériences seront menées avec le métalloïde.

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 Le sélénium aujourd'hui

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En définitive, les propriétés photo-électriques du sélénium ne s'avéreront pas suffisantes pour permettre la transmission des images. Mais d'autres usages vont naître. Dès 1880, Minchin envisage, à la suite des travaux de Bell et Tainter sur le photophone la possibilité d'une cellule photo-électrique.(1)  En  1885, W. Siemens imagine les possibilités de captation de l'énergie solaire grâce à des cellules de sélénium. En 1905, Schlesser utilise, une cellule photo-électrique au sélénium pour l'entretien des oscillations du balancier d'une pendule. Les  propriétés photo-électriques du sélénium sont aujourd'hui  largement utilisées dans les cellules photo-électriques utilisées pour mesurer la lumière en vue du réglage des appareils photographiques, pour alimenter en électricité les vaisseaux spatiaux, animer des systèmes d'alarme, mettre en marche des escaliers roulants, fermer des portes d'ascenseurs, etc. Le sélénium est également un bon élément de traceur dans les analyses médicales et comme traceur d'isotope des eaux souterraines dans les recherches hydro-géologiques.  Le sélénium est également utilisé dans certaines thérapies du cancer.

Le sélénium est très rare à l'état minéral. Le sélénium utilisé aujourd'hui provient du raffinage des sulfures de cuivre car le sélénium est un oligo-élément commun dans ces  minerais. 

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André Lange, 2000. Révision décembre 2017

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Les tubes de sélénium utilisés par Willoughby Smith lors de la découverte des propriétés photosensibles du métalloïde. (By courtesy of the Institution of Engineering and Technology, Herts)

Jöns Jacob Berzelius (1778-1848)

Johann Wilhelm Hittorf (1824 - 1914)

(1) Compte-rendu d'une réunion de la Physical Society, 13 novembre 1880 in Nature, November, 25 1880, p.96. Sur l'histoire de la cellule photo-électrique, voir PERLIN, J. "The invention of the Physical Cell", Popular Science, April 22, 2014.

Bibliographies sur les propriétés photo-sensibles du sélenium

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HAMMER, W.J., "The properties and applications of selenium", Transactions of the American Institute of Electrical Engineers, April 1904, pp.372-392. Egalement dans Scientific American Supplement, May, 30, 1904.

 

BROWN F.C., , "Bibliography of literature bearing on the light-sensitiveness of selenium,  The proceedings of the Iowa Academy of Science. ... v. 23 1916., pp.241-263​

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FOURNIER D'ALBE, The moon-element; an introduction to the wonders of selenium, D. Appleton & co., 1924, 1924

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MARTIN ER, Bibliography of Literature Bearing on the Light-Sensitiveness of SeleniumProceedings of the Indiana Academy of Science, 1926

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DOTY M.F., Selenium;, a list of references 1817-1925, The New York public library, 1927

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HESS J; Selen: Eine Materialgeschichte zwischen Industrie, Wissenschaft und Kunst, Mohr Siebeck, 2019

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