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UNE ARCHEOLOGIE DE L'AMPLIFICATION, DE LA REPRODUCTION ET DE LA TRANSMISSION DU SON

1. Introduction 
 

"On sait porter la voix aussi loin que la vue". Cet alexandrin de Bernard de la Monnoye, inscrit dans La gloire des Armes et des Lettres sous Louis XIV,  Pièce qui a remporté le prix de poésie par le jugement de l'Académie françoise, en l'année 1675 pour chanter les "Célèbres inventeurs de miracles divers", nous rappelle opportunément, quoique avec un peu d'exagération, une chose oubliée : le début des recherches scientifiques sur la possibilité de voir au loin et de transmettre la voix à distance sont quasi contemporaines. La trompette pour parler au loin, qui est arrivée d'Angleterre à la Cour de France trois ans plus tôt, est quasi contemporaine du télescope et les recherches sur la diffusion du son vont s'imprégner des projets de l'optique.

  • L'archéologie de la transmission sonore comme dimension de l'histoire de la télévision

L'histoire de la transmission des images à distance est d'une telle complexité que l'on finirait par oublier que l'histoire de la télévision, en tant que système technique mais aussi en tant que dispositif social et politique inclut aussi la transmission du son. Une histoire, ou une archéologie, de la télévision ne peut donc négliger l'histoire de la transmission sonore, qui implique les premières recherches en matière d'acoustique, les débats sur la trompette parlante aux 17ème et 18ème siècle,  l'imaginaire de la diffusion de concerts, qui anticipe la mise au point du téléphonie et de la diffusion radiophonique. Le fait que les histoires de la télévision minimisent généralement la dimension sonore s'inscrit dans la conception dominante de la modernité qui favorise la vision au détriment des autres sens, comme l'a bien analysé Jonathan Sterne dans The Audible Past (1). C'est pourtant en grande partie autour des pratiques de mystification auditive (têtes et statues parlantes, poupée et femme parlantes) que s'affirment les premiers discours humanistes de critique de l'abus des technologies de communication.

La revalorisation du son dans les études sur l'histoire ou l'archéologie des médias est salutaire. Si l'essor de l'optique et de l'acoustique scientifique au 19ème siècle ont conduit à une autonomisation des disciplines, l'analyse de la lumière et du son restent intiment liées jusqu'au 18ème siècle, en grande partie comme un résultat des théories acoustiques proposées par Marin Mersenne dans son Harmonie universelle (1636). Dans le domaine du progrès technique, les recherches sur la diffusion du son et des images se stimulent mutuellement. Comme nous allons le voir, à partir du 16ème siècle la recherche sur les appareils auditifs (cornet acoustique, trompette parlante) s'inspirent des lunettes et du télescope, tandis qu'à partir de la fin des années 1870  les premières recherches sur la transmission des images naissent de l'impact de la démonstration du succès du téléphone par Graham Bell en 1876.  La plupart des projets de transmission d'images jusqu'au milieu des années 20 sont des projets de transmission par fil ('"Pictures by wire"). A partir des années 30, l'administration politique de la télévision s'inscrit dans le cadre juridique de la radiodiffusion, mis en place pour la radio, et ce seront le plus souvent des entreprises de radio, privées ou publiques, qui seront à l'origine du lancement de services de télévision.

L'invention, les perfectionnements et la mise en oeuvre du téléphone ont fait l'objet de nombreuses publications, scientifiques ou non, depuis la fin des années 1870. Nous ne visons pas ici à proposer une nouvelle version de cette histoire, ni même à synthétiser les travaux existants (2).

 

Dans ce chapitre "Archéologie de la transmission sonore", nous nous focaliserons sur trois questions qui ne nous semblent pas avoir été traitées de manière systématique par les historiens de la communication :

  • les recherches des 17ème et 18ème siècle sur la trompette parlante, c'est à dire le porte-voix, qui s'inscrivent dans les débats théoriques sur la nature et les caractéristiques du son, mais qui impliquent aussi des considérations pratiques et la formulation d'un début d'imaginaire sur les technologies de communication. Ces recherches préludent à l'invention du téléphone, un mot qui, comme on le montrera, naît en leur sein. Une histoire complète de la trompette parlante n'a, à notre connaissance, pas encore été écrite. Des historiens aussi érudits que Sterne (qui focalise son attention sur l'enregistrement musical plutôt que sur la transmission) ou que R.W. Burns la négligent quasi totalement (3). Il n'y a guère que les historiens de l'acoustique qui s'y sont intéressés, focalisant leur attention sur les débats théoriques mais négligeant les usages. (4)

  • l'expérimentation et la démonstration de l'application du téléphone en vue de la transmission d'oeuvres musicales ou théâtrales. Cet aspect de l'histoire du téléphone trouve naturellement sa place dans une histoire de la télévision car la transmission d'oeuvres musicales et théâtrales par téléphone, effective dès la fin du 19ème siècle, ouvre la voie à la consommation domestique qu'imposeront le phonographe, la radio puis la télévision. Dans l'historiographie française du téléphone, cette application du téléphone est souvent réduite aux "auditions téléphoniques théâtrales" proposée par Clément Ader à l'Exposition internationale de l'électricité (Paris, 1881), suivies de l'exploitations du théâtrophone (1889-1935)  et à l'extension visuelle, le téléphonoscope qu'en a proposé le dessinateur Albert Robida dans son roman Le vingtième siècle (1882). A l'inverse, l'apport de Clément Ader est très souvent ignoré ou négligé par les historiens anglo-saxons. L'accès plus systématique aux sources d'information, source d'époques et travaux scientifiques, que permettent aujourd'hui la numérisation des archives et leur accès en ligne, rend possible, comme pour le début des recherche sur la télévision, une description beaucoup plus complète des expériences qui ont été menées

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(1) STERNE, J., The Audible Past. Cultural origin of sound reproduction, Duke University Press, 2003 (= Une histoire de la modernité sonore, La Découverte / Cité de la Musique, 2015.

(2) Pour plus de détails, le lecteur pourra se reporter à notre Bibliographie Histoire de l'invention du téléphone et de ses premières applications.

 

Sur les problèmes méthodologiques posés par l'écriture d l'histoire du téléphone par des historiens amateurs ou des historiens dépourvus de compétences techniques, voir l'intéressant article FINN,  B.S., "Review: Bell and Gray: Just a Coincidence?" Technology and Culture, Vol. 50, No. 1 (Jan., 2009), pp. 193-201

(3) Sterne (op.cit, 2015, pp.64-66) mentionne brièvement la trompette parlante de Morland, mais ne fait pas référence à l'important débat et aux expérimentations des 17ème et 18ème siècle. Burns commence son histoire du téléphone avec la lyre magique de Wheatstone mais ignore complètement la trompette parlante. (BURNS, R.W., Communications: An International History of the Formative Years, IET, 2004).

(4) Pour une histoire détaillée de l'acoustique dans l'Antiquité et la Renaissance, incluant une approche détaillée des débats sur la trompette parlante voir :

Les ouvrages plus anciens d'histoire de l'acoustique sont moins développés sur ce sujet :

Une des premières représentation graphique de l'oreille interne (Bartoli, 1679).

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